Thomas
Hodgskin
(1787-1869)
Élie Halévy
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53
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1 '^S'^- 1 OGO)
ELIE HALÉVY
100 3
THOMAS HODGSKIN
( X 987- X 869)
PAR
ÉLIE HAIiÉVY
1 1
I
PARTS
SOCIÉTÉ NOUVELLE DË UBRAIRIE ET D'ÉDITION
* (Librairie Gtorgeê Beilais)
17, auK cojAS» Vc
1903
Tous (iitilb rt servéit
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AVANT.PROPOS
« Le disciple illustre de Thomas Ilod^^skin,
Karl Marx.. (i) » : ainsi s'expriment Mr. et Mrs.
Webb dans leur « Histoire du Trade Unionisinc ».
Mais Karl Marx a eu tant de maîtres, et si divers,
que Ton yeut savoir sur quels points, et dans
quelle mesure, il a sid>i lïniluence de llodgskin.
Notre étude contribuera, peut-être, à élucider
cette question, en même temps qu'elle fera
connaître un penseur oublié, original cependant
et intéressant par lui même. Nous nous bornerons,
pom* raconter Thistoire des idées sociales et
économiques de Thomas Hodgskin, à présenter
le recueil, aussi bien ordonné que possible, des
citations nécessaires, empruntées à des lettres
inédites, à des opuscules épuisés, à des articles
anonymes égarés dans ues revues vieilles de
(I) iiUt. of Trade Unioniam, 1896 ; p 147.
H. - 1.
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THOBIAS UODGSKIN
cinquante ans. Miss Mary D. Hodgskin nous a
fourni des éclaircissements sur plusieurs points
obscurs de la biographie de son père ; M. Pierre
Muret, agrégé de TUniversité, a bien voulu
faire, pour nous, au British Muséum, quelques
recherches complémentaires.
CHAPITRE PREMIER
(1383-18213).
Enfancb. — Années db navigation. — L' «Essay
ON Naval Discipline » (i8i3). — Votaob sur
LE CONTINENT : LES « TllAVELS IN THE NoUTH OF
Gebmany » (i8ao). — Séjour a Edimbourg et
GORRESPONDANGB AVEC FrANCIS PlACE (i8i9-
18221).
Oigitized
Thomas Hodgskin naquit, le la décembre 1787,
à Chatham, près de Londres, où son père exerçait
les fonctions de storekeeper, de coiuniissaire aux
vivres, dans les docks de rAmirauté. Entre un
père égoïste, vaniteux, dépensier, qui, avec un
traitement annuel de sept cents livres sterling,
finit par réduire sa famille à la misère, et une
mère qui, pendant trente années, lutta patiem-
ment, mais en vain, pour dissimuler le gaspillage
et l'inconduite du chef de la famille, Thomas,
ses frères et ses sœurs, eurent une enfance sans
plaisirs et sans joies (i). Il avait d'ailleurs
douze ans à peine lorsque son père , abrégeant
son éducation, décida de se débarrasser de lui
et, piolitant de l'inUuence que lui donnait sa
position à l'Amirauté, Tembarqua comme cadet
à bord d'un bâtiment de guerre. Thomas Hodg-
skin navigua pendant une dizaine d'aunées, croi-
sant dansla Méditerranée, sur les côtes d'Afrique,
où il put observer, chez les peuples sauvages delà
région, les formes rudimentaires de l'échange (a),
(1) Hodgskm à Place, lettre non datée, Paris, juillet
1816 (lettre communiquée par Miss Hodgskm).
(a) Popnlar PoUUcal Eeonomy^ p. i53«
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6
THOMAS HODGSKIN
dans les Mers du Nord, où nous le voyons se
distinguer, en 1807, lors de Tcxpéditionde Copen-
hague. 11 lisait le plus qu'il pouvait ; mais les
livres qu'il lisait étaient choisis, nous dit- il ,
sans méthode, à la manière des marins (i).
La réflexion devrait suivre l'acquisition des
connaissances ; mais J'ai commencé à réfléchir aux
heures de faction nocturne, sur le pont solitaire, sur
le vaste Océan, en face des scènes de la nature les
plus sauvages et les plus paisibles, dans le calme
plat des tropiques, dans les teiiipôtes d'hiver, avant
d'avoir accumulé des matériaux en suflisance (2).
11 n'éprouvait ni sympathie intellectuelle pour
les camarades parmi lesquels la volonté pater-
nelle lavait jeté, ni goût pour le métier qui lui
avait été imposé. La discipline du bord ne con-
venait ni à son teuipérament ni aux principes
qu*il avait adoptés déjà. « J'avais décidé, nous
dit-il, d'opposer à Toppression, toutes les fois
qu'elle me blesserait^ une résistance énergique ».
Longtemps, cependant, il continue d'obéir à
contre-cœur, par lâcheté, par habitude. Un jour,
enfin, il éclate. « Je me plaignis, écrit-il, à un
commandant, d'une injustice dont il s'était rendu
coupable envers moi, dans les termes que méri-
•
(i) Esaax on Naval DUeipUnê, p. xziv.
(a) Hodgskm à Place, Paris, si mars 1816 (cqmmn«
niqué par Miss Hodgskin).
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CHAPITRE PREMIER J
tait» à mon sens, Finjustice commise : il m'avait
injustement interdit tout espoir d'avancer par
mon mérite, ce qui revenait à m 'interdire tout
espoir x> (i). Par son incartade, Thomas Hodgskin
aggrave son cas. 11 est mis en non - activité, à la
demi - solde. A peine âgé de vingt-cinq ans, les
circonstances ont déjà fait de lui « un homme
mécontent et désappointé (2) ».
L'absm*dité des lois et des coutumes de la marine
m'a fait un mal profond. J'en ai une opinion si abso-
lument mauvaise que, sentant sur ce point comme
beaucoup d'autres, je n'éprouve pas de honte à en
avoir subi la flétrissure. Si elles ne m'avaient coûté
la bonne opinion de la société^ qui se fonde trop
généralement sur le succès; si elles ne m'avaient
coûté, en partie, l'estime de mes amis ; si elles ne
m'avaient complètement fermé,avec la carrière mari-
time, où ma vie entière s'était écoulée, tout accès à
la réputation et à la fortune, je n'aurais pas souffert
du châtiment. C'est un devoir pour moi d'essayer de
les modifier en agissant sur l'opinion publique (3).
Il s'acquitte de ce devoir lorsqu'il publie, en
i8i3, un « Essai sur la Discipline Navale (4) ».
où il consigne les résultats des expériences de sa
(1) Xav. Disc, p. xm.
(2) Xav. Disc, p. XIV.
(3) Xav. Diae.^ p. x-xi.
An Esttay on Naval DiseipUne* — Voirie titre com-
plet à la Bibliographie»
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8
THOMAS HODGSKIN
vie de marin. Il se donne, dans cet ouvrage,
pour le disciple de Locke (i), de Paley (i))» de
Malthus (3) : n'est-on pas fondé à croire qu'il a
subi aussi F influence de Godwin» bien qui! ne le
cite jamais ? Il est chrétien, mais il se pose aussi
en adversaire des idées innées (4), en utilitaire,
en individualiste.
Se soumettre patiemment à l'oppression parce
qu'elle vient d'un suprrirur ost un vice;. . . surmonter
cette crainte du supérieur et y résister , est une vertu.
C'est là que doivent me conduire mes raisonnements,
soit que Je prenne Tutilité pour Ûn obligatoire de
mes devoirs moraux» soit que je m'adresse à cette
religion qui me dit de faire la justice et d'aimer la
pitié : la forme la plus sacrée de la justice, c'est la
justice qu'un homme se doit à lui-môme ; s'en
acquitter pleinement, c'est la façon d'agir qui se
trouvera, en fin de compte, le plus compatible avec
l'intérêt et le bien réel de la société. Une telle conduite
peut déplaire à un maître avide, à un supérieur
jaloux, mais elle est rigoureusement d'accord avec
cette utilité qui est la fin delà moralité; elle est ver-
tueuse et demeurera toujours vertueuse, tant que la
vertu consistera à bien agir, selon Tétendue des
connaissances de celui qui agit, dans l'espoir de jouir
du bonheur éternel (5).
(i) Nav, Dise,, p. i8.
(a) P. i66.
(3) P. 99.
(4) P. 7l.
(5) PP. xn-xiii. — Cf. pp. XIV, i68.
GUAPITUr: PREMIER
9
L expérience lui a enseigné que a les hommes
ont partout été créés semblables ; que leur bien-
faisant Auteur a donné à tous les hommes le
même entendement et les mêmes passions (i) »•
Si cepeiuliint ils dilTèrent les uns des autres, c'est
en raison de circonstances indépendantes des
individus eux-mêmes. Pourquoi, de tous les
peuples de la terre, le peuple anglais est-il le plus
heureux et le plus vertueux ? Parce qu'il est mieux
gouverné que les autres ou, plus exactement,
parce qu'il est moins gouverné. Pourquoi les
hommes qui servent dans la marine anglaise ont-
ils des tares qui les distinguent du reste de la
nation (a) ? Cest qu'ils sont soumis à un régime
d'exception, tyrannique et arbitraire. Ce régime
doit être réformé. Qu'on modifie le système
barbare par lequel on les recrute actuellement ;
qu'on abolisse la presse; que Ton fasse des enga-
gements à court terme. Mais, alors, trouvera-t-on
le nombre d'hommes nécessaire ? Qu'on améliore
la solde en se réglant sur le salaire normal du
travail : «c le salaire est bon quand il permet
au travailleur d'élever une famille, d'avoir le
nécessaire et un peu de superflu (3). Que, d'autre
part, on porte, 8*il le faut, des lois somptuaires
(1) Tac. Disc, p. X.
(2) Chapitres V et VL
(3) P. 1S7.
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THOMAS HODGSKnr
0
Gomment osei* dire que les bras manquent, alors
que la domesticité des riches est si nombreuse (i)?
La propriété exerce une « influence injuste et
néiaste x> : car a elle enlève d'une façon absolue
(quand même ce serait dans une proportion très
faible) au journalier pour donner au bourgeois
oisif » (a). On pourrait donc, en cas de besoin
extrême, interdire d'entretenir plus de deux
domestiques, sauf pour les travaux agricoles et
industriels (3)« Surtoat,qne Ton prenne garde à ne
pas abuser, contre les marins, des lois pénales.
Uamour de la gloire est plus fort que la crainte
de la mort. Il a plus d'influence qu'un million de
lois pénales. Le droit de punir constitue, sous la
forme absolue qu'il revêt dans la marine, une
sorte d'usurpation sur la Providence (4).
La grande autorité de l'opinion publique nous
enseigne que Ton ne saurait prendre trop soin d'évi-
ter la promulgation de lois pénales; elle nous
enseigne que Thumanité deviendra beaucoup meil-
leure si Ton se forme d'elle une opinion meilleure (5).
•
S'il faut des peines , que du moins ces
peines soient déiinies par des lois constantes
(x) iViap. Duc, p. 102.
(a) P. 133.
(3) P. i^.
(4) P. 42.
(5) P. 16.
CHAPITRE PREMIER
II
et non plus par le caprice discrétionnaire d'un
ofBcier, et qae les cours martiales prennent pour
modèle les tribunaux anglais, qui « ne punissent
pas l'innocent ni ne laissent échapper le cou-
pable (i) ». Lan<:fage peu révolutionnaire : l'indi-
gnation qui fit de Hodgskin un écrivain n'en est
pas moins an accès de colère antigouyemementale,
un désir de protester, dans un cas défini, contre
l'iniquité des règlements et des lois. Lni-méme le
confesse, un peu plus tard, sous une forme plai-
sante, dans une lettre intime.
Tons les visionnaires, depuis M** Kmedener
jusqu'à Mr. Owen et à Thomas Hodgskin, nourris de
leurs seules pensées, et que rexcenlricité même de
leurs ()})inions empôche de confronter ces opinions
avec celles de leurs semblables, sont des gens pleins
de confiance, Igniorant tout en dehors du petit cercle
de leurs idées ; ils prennent chaque commencement
de passion oo de pensée pour une immuable vérité.
Vous devez savoir que mes opinions sont nées de la
passion. J'étais en colère d'avoir été puni, alors que
je croyais remplir mon devoir d'honnête homme et
de bon citoyen ; mon devoir, je m'en aperçus, était
d'être non pas cela, mais un bon esclave patient. La
colère me fit lire des livres sur la matière, et c'est en
vain que je cherchai, et cherche encore, dans les
ouvrages des auteurs célèbres, une justification du
droit de punir. Le résultat a été uu système d'opinions
(i) Nav, Disc, p. i34.
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13
THOMAS HODGSKIN
que je puis, en somme, poar autant que j'aie lu,
considérer comme m'éianl propre (i).
C'est vers cette époque qu'il fit la connais-
sance de Francis Place, le maltre-tailleur de
Charing-Cross, ragitateui* politique de West-
minster» Tami de Bentham et de James Mill,
l'ami aussi de William Godwin, alors vieilli,
couvert de dettes et méprisé : T a Essai sur
la Discipline Navale » peut avoir attiré sur
Hodgskin rattcntion des radicaux de Londres.
Place nous le décrit tel qu'il le connut alors,
« d'une tournure d'esprit plutôt triste, singuliè-
rement modeste et discret, excitable, mais plus
porté, dans ses moments d'excitation, à la galté
qu'à la colère. Il avait un tour d'esprit spéculatif
et soutenait, comme il fait encore, certaines
thèses psychologiques très curieuses (â))>, celles,
sans doute, sur lesquelles il fonde ce système anti-
gouvernemental, « anarchiste », dont nous avons
vu l'origine. Il est triste, parce qu'il se sent
dévoyé, sans carrière, et dépourvu de Tesprit
pratique nécessaire pour en trouver une. Le voici,
pour Tinstant, à Édinibourg, occupé à mettre ses
idées philosophiques au clair, et à écrire tout un
(1) Hodgskin à Place. Dresde, lin de i8i 7 (communiquée
par Miss Hodgskin).
(2) Brit. Mus. add. mss. 27.791, f. 268. Le récit de
Place renferme des inexactitudes.
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CHAPITRE PREMIER
l3
traité sur « l'esprit » (i). Quelle est alors sa phi-
losophie ? Les lettres qu'il écrira, un peu plus
tard, à Francis Place» permettant de le deviner.
Contre Tutilitarisme benthamique, qui réduit tous
les actes vertueux à des calculs explicites de la
prudenee indiyiduelle, il prend la défense des
sentiments moraux, mêlés sans doute de préjugés
et d'erreurs, mais qui expxûment toute Texpé-
rience de Fespèee et sont nécessaires pour agir
avant que Ton puisse savoir et prévoir. Contre
rathéisme benthamique, il alHrme Texistence de
Dieu, — non pas le Dieu des prêtres et des
persécuteurs, mais 1 uniformité providentielle des
lois de la nature.
Les perceptions que nous appelons la matière sont
constamment accompagnées par les sig^ncs de l'uni-
formité des lois qui la régissent, par les signes d'un
pouvoir qui produit, détruit, conserve et recrée. Nous
nous fondons sur des signes seulement pour conclure
à l'existence de Pesprit de nos semblables. C'est
sur des signes que je me fonde pour conclure,
pareillement, à l'existence d'un esprit ou d'une cons-
cience constamment associés à la matière. Un autre
mot pour désigner cet esprit, c'est Dieu, Ou encore*
la Matière^ Dieu elia Nature m'apparaissent comme
trois mots presque synonymes, le premier et le der^
nier servant à exprimer la continuité de nos percep-
(i) Place à Mill, ao Juillet z8i5, Brit Mm,^ add. nu».
33.i5a, f. 141.
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THOMAS HODGSKIN
lions, tandis que le terme du milieu exprime les signes
de la puissance bienveillante et uniforme dont eUes
sont accompagnées. Voilà mon Dieu, c'est aussi le
Dieu de Berkeley, et c'est le Dieu de l'écrivain sacré
qui a dit qu'en lui nous vivons, nous nous mouvons
et nous avons notre être (i).
Et c'est enfin sur cette croyance à l'existence
d'une harmonie naturelle et providentielle qu'il
se tonde pour réfuter la philosophie pénale de
Bentham, pour nier le droit de punir :
Votre ami Mr. Bentham devrait, je crois, récrire le
début de son « Traité », et, adoptant Topinion de Ber-
keley, selon laquelle les sensations de chaque individu
sont tout ce qui lui est connu, conclure avec moi que
peine et crime sont des expressions presque syno-
nymes, différant seulement en ceci que le second
s'applique à Taction, le premier à son résultat, et /
qu'il est absurde et injuste d'ajouter une peine nou-
velle, alors que les impressions sensibles subies par
chaque individu sont la mesure précise, et la seule, du
crime qu'il a commis (a).
Le manuscrit du traité « sur Tesprit »
est apporté à Place ; mais Place ne trouve pas
d'éditeur. Gomment Hodgskin va-t-il gagner,
comment va-t-ii remplir sa vie ? Depuis la publi-
(x) Hodgskin à Place. Paris, x8 février iSiO-lcommu-
niquée par Miss Hodgskin).
(a) Hodgskin à Place. Rome, 5 février 1817 (eommu«
niquée par Miss Hodgskin)*
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CHAPITRE PRBMIBR
cation de son pamphlet, sa carrière militaire est
brisée : il restera, jusqu'à sa mort, un o£Bcier en
demi-solde , lieutenant d'abord, puis comman-
dant. Que devenir alors? Se faire médecin?
Mais il faudrait savoir le latin ; et d'ailleurs les
sciences de nomenclature lui répugnent. Se faire
avocat ? Il faudrait n'avoir pas le sentiment de
la justice. II comprend qu'il aurait besoin de
faire son éducation manquée, et que, d'autre
part, il n'est plus assez jeune pour cela. C'est
alors qu'il forme un nouveau projet, suggéré
probablement par Place, qui vient d'envoyer son
fils à Paris, et songe lui-m^me, avec James Mill,
à s'en aller faire un séjour sur le continent. Il
profitera du retour de la paix pour entreprendre,
à travers l'Europe/une enquête philosophique,
à la manière d'Arthur Young; il ira étudier, dans
les pays du continent, les « causes des habitudes »
des peuples et Tinfluence qu'exerce, sur le caractère
des nations, la diversité des formes de gouver-
nement (i). Il obtient un congé de l'Amirauté
et se met en route au mois de juillet i8i5.
n passe de longs mois à Paris, mais, toujours
timide et réservé à l'excès, ne se sert pas de
J.-B. Say, à qui il a été recommandé, pour
étendre le cercle de ses relations. Il est trop
(i) Place à Hodgskîn, 22 novembre i8iô, BriL Mm.
add. mss. 35.i5a, f. 184*
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i6
THOMAS BODG8K1N
Anglais pour sympathiser avec le génie des
peuples étrangers : il est déconcerté par la
gaîté française, où il est tenté de voir une
perpétuelle affectation, scandalisé par la liberté
des propos et des mœurs, puis, brusquement,
lorsqu'il pénètre dans un intérieur, étonné par
' la simplicité et le sérieux de la vie de famille,
n est trop méditatif, surtout, pour être bon
observateur. Il reçoit d'ailleurs de mauvaises
nouvelles de sa famille, réduite à accepter de
Francis Place des secours d'argent. Il s'attriste,
il s'ennuie, mais il continue à préciser sa philo-
sophie antilégislatiye. Il dénonce incessamment
le système gouvernemental à la française, la
police, rinstruction publique» les académies. Il
répudie de même — il en avertît Place — le
système d'Owen, où il rencontre encore « des
règlements, des lois et ce qu'on appelle l'ordre ».
Son système suppose des maîtres et des
serviteurs, quelqu'un pour gouverner et quelqu'un
pour obéir, et fonctionnerait très bien dans une
partie de la société, pendant que ces lois mêmes
dont il dénonce la rigueur subsistent pour façonner
les esprits des uns à la soumission et protéger les
autres dans l'exercice du commandement. Je suppose
que la société soit généralement composée de maîtres
manul'acluriers et de serviteurs, et qu'il n'y ait pas
de lois pour pro léger les maîtres si ce n'est celles qui
résultent de la raison collective. Les servitenrs,voyant
CHAPITRE PREMIER
qu'ils sont anssi utiles aux maîtres que le capital des
maîtres est utile à eiix*mêmes, qae chacun des denx
termes est nécessaire à la réussite de Pentreprise
commune, existeraient l*ég:alilé des privil^^j^es et des
profits : la première loi de cette société consisterait
probablement à abolir cette distinction entre maîtres
et serviteurs qui remplit le plan de Mr.Owen et existe
aujourd'hui en raison de ces lois mêmes, dont les
effets sont si néfastes (i) .
Déjà, en raison de ses opinions sociales sur
la distribution artificielle de la richesse, il se
sépare du malthusianisme de Place et des
autres Benthamites : il reproche à Gray, dans
son ouvrage « sur la Population i», de confondre
deux choses : la quantité d'individus oisifs et la
quantité de travail.
Nos dépenses ont été, depuis trente ans, énormes;
pendant cette période, le système s*est généralisé,
dans le pays , de payer les hommes selon leur
travail, et non plus selon le nombre d'heures de
travail ; la conséquence en est que beaucoup plus
de travail a été fait par le même nombre d'hommes;
en conséquence, plus de marchandises ont été
produites. Si, pendant cette période, le pays a gagné
en richesse, telle en a été la cause immédiate; M.Gray
a tort de confondre avec elle la cause éloignée : Ténor-
me dépense laite pour entretenir des individus oisifs,
dépense qui entraîne, dans une certaine mesure, une
(i) Hodgskin à Place, Parls^ 90 aoflt 1816 (commu-
niquée par Miss Hodgskin).
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i8
THOMAS HODGSKIN
augmentation de travail. La condition des travail-
leurs a fini par devenir assez misérable pour attirer
Tattention du législateur et prouve que les oppres-
sions qui les ont contraints de produire davantage et
accroissent ainsi la population, ont ajouté delà sorte
à la misère des masses (i).
£u septembre, il quitte Paris et gagae l'Italie,
faisant la route à pied. Il constate, en passant,
la misère du paysan français, après vin<^t ans de
troubles et de guerres ; la misère, plus grande
encore, du paysan italien. II séjourne quelque
temps à Florence, pousse jiis(ju'ii Rome, revient
au Nord visiter la vallée du Pô et le Tyrol. Mais
il s'ennuie eu Italie comme en France. Il y trouve
trop d'églises, monuments de la superstition
méridionale ; trop d'œuvres d'art, auxquelles il
avoue ne rien comprendre et dont il finit par
avoir « mal au cœur ; et, d'autre part, trop peu
d*hommes qui sachent s'intéresser aux questions
vraiment humaines, aux choses de la politique.
Toujours à pied, il traverse le Saint-Bernard
dans la neige et passe en Suisse.
n visite la Suisse, descend le Danube jusqu'à
"Vienne en radeau, traverse la Bohême, parcourt
la Saxe et le Brandebourg. Il a décidé mainte-
(i) Hodgskin à Place. Paris, i8i6(non datée. Probable-
meitt juillet. Communiquée par Miss Hodgskin).
(a) Hod«;skin à Place. Florence, lajanvieriSl? (commu-
niquée par Miss Hodgskin).
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GHAPlTaB PREMIEA
19
tenant, snr le conseil de Place, d*écrire le récit
de soji voyage dans rAUemagne du Nord ; et les
longues lettres qu'il écrit à Place ne sont plus que
desnotes détaillées, toutes prêtes pour la rédaction
future de son livre. Arrivé à Hanovre, en juillet
1818, il délimite encore l'objet de son travail et,
muni d'un questionnaire que Bentham a dicté
pour lui à James Mill (i), entreprend une enquête
sur le gouvernement, la religion, le commerce,
ragriculture du royaume où il haijite. Puis il
revient en Angleterre, passant par les bords du
Rhin ; son voyage finit mal : il prend froid, se
couche en arrivant à Francfort» se remet à peine
quand, ayant descendu le Rhin en bateau, il
arrive à Amsterdam. Mais sa doctrine écono-
inique vient d^accomplir un nouveau progrès :
il a lu Tarticle de la « Revue d^Édimbourg» où
MacCuiloch recommande à l'attention publique
les « Principes», nouvellement parus, de Ricardo;
et il a tout de suite aperçu quel parti il pou-
vait tirer des théories de Ricardo et sur quels
points aussi il se séparait de lui. Il approuve
Ricardo de voir dans la quantité de travail la
source unique de la valeur ; mais, s*il en est
ainsi^ dit-il,
(i) Le qiiestionnaii*e se trouve BriL Mus» add. mss.
33.163, t 3 sqq.
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20
THOMAS HODGâiviN
je ne vois pas de cause naturelle pour que le
capital, qui consiste purement dans Tépargnie du
travail et qoi, par lui-même, ne produit rien, soit
considéré comme affèctant le prix réel si celui-ci doit
toujours être considéré comme mesuré exactement
par la quantité de travail. Le capital [doit être] con-
sidéré coumie consistant, soit dans une quantité des
choses que les hommes désirent, soit dans la disposi-
tion de ces choses. L'argent est une de ces choses qui
produit un prix artiliciel au lieu d'un prix réel. Ses
profits sont purement et simplement une portion du
produit du travail, que le capitaliste, sans autre droit
que celui que les lois lui contèrent, prend pour lui-
même. Ce qu'il prèle n'est jamais rien de plus que le
pouvoir de disposer des denrées nécessaires à la
subsistance du travailleur , pendant qu'il produit
assez pour remplacer ce qu'il a consommé pendant le
temps de la production et pour laisser un surplus au
capitaliste (i).
Quelques jours plus tard, il se demande pour-
quoi la Frise est, à son gré, mal cultivée ; et il
en trouve deux raisons : les dépenses plus fortes
du gouvernement, et, surtout, raccumulation
capitaliste.
Le capital, comme moyen de production, ne peut
consister que dans les instruments et objets de pre-
mière nécessité que le travailleur emploie et consom-
(I) Uodgskin à Place , Amsterdam, s5 septembre
i8iS (commaniqaée par Miss Uodgskin).
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CBAPITHB PREMIER 21
me pendant qu'il produit; ~ une accumulation de ces
objets entre les mains du travailleur en abaisse le
prix et abaisse également le prix de ce qui est pro*
duit pendant qu'ils sont consommés. Mais une accu-
mulation de Targent qui représente ces objets ou
mCine de ces objets eux -mômes entre les mains d'au-
tres que les travailleurs, l'ait tout renchérir. Les per-
sonnes en question, les capitalisteS|Sans produire,non
seulement prélèvent un intérêt sur la personne qui
travaille le sol, mais encore cette même accumu-
lation permet qu'un intérêt soit exigé de tous les
autres travailleurs qui emploient ce capital. Le cultiva-
teur doit payer encore, outre le prix réel, l'inlérétque
d'autres travailleur payent sur tous les articles que
lui, cultivateur, consomme... Je ne veux pas dire
qu'une plus g^rande quantité de travail sera requise
pour produire, mais que tout homme qui produit doit
donner une plus forte proportion de ses productions
pour les objets que son propre travail ne produit
pas* , • Je suis favorable à cette économie qui épar-
gne aujourd'hui afin que demain ne soit pas sans
nourriture, mais jamais en moi la raison ni le sen-
timent n'ont été favorables à cette accumulation,
qui, commençant trop généralement par la [)arcimomc .
et l'injustice, m'apparaît comme un des plus puis-
sants moyens d'accomplir l'injustice et d'encourager,
de la part du petit nombre, un prodigieux gaspillage,
qui aboutit à l'oppression du grand nombre. Je suis
hostile à ces doctrines des économistes politiques
qui louent l'accumulation du capital. Elles confèrent
une sorte de raison à cette recherche de la richesse,
qui est actuellement le fléau de l'univers, elles encou-
ragent les riches à se faire encore plus riches, au prix
de toutes sortes d'exactions, en les persuadant que
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22
THOMAS HODGSKUî
leurs accumulations laYorisent l'industrie et la
richesse générales (i).
Enfin, après trois ans d'absence, en novembre
i8i8, ïhomas Hodgskin arrive à Londres. Il se
dérobe aux instances de Bentham et de ses fidèles,
qui voudraient le faire venir à Ford Abbey, dans
la résidence d'été du grand réformateur, défendre
et soumettre à la discussion sa philosophie d'en-
nemi des lois (2). Il part pour Edimbourg, où il
retrouve une jeune Allemande dont il s*était
épi'is à Hanovre et qui sera la compagne intel-
ligente et courageuse des cinquante années qui lui
restent à vivre (3). Sans délai, à peine marié, il
se met à l'œuvre. En janvier 1820, paraissent ses
« Voyages dans le Nord de rAilemagne (4) 1^; on
y sent le progrès accompli par sa pensée,
— progrès en précision, progrès en dogmatisme
aussi^pendant six ans de voyages et de réflexions.
Hodgskin a vu se propager, pendant quil
parcourait les routes d'Allemagne, l'agitation
libérale, d'inspii^ation irançaise, mais peut-être
(x) Hodgskin à Place, Amsterdam, la octobre x8i8
(communiquée par Miss Hodgskin).
(a) Hodgskin à Place. Deptford, 8 nov. 1817. BrU.Mnê»
add , mss. 33,i53, f. Sa.
(3) Place à Hodgskin. 8 sept. 1819 ; Brit. Mua,, add«
mss. 33.153, f. 73.
(4) Travels in the North of Germanjr. Voir le titre
complet à la Bibliographie.
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CHAPITRE PREMIER
encore davantage anglaise, contre le régime de la
Sainte-Alliance. Voyageant à pied, il n'a fréquenté
ni hommes d Etat, ni diplomates, ni généraux»
mais il a causé avec des commis-voyageors, des
ouvriers, des paysans ; il n'a pas connu ceux qui
font les lois, mais ceux qui les subissent, ceux
qui paient les impôts et les amendes. Il a compati
aux souffrances de ces Allemands « très gou-
vernés (i) ; il a vu dans l'Allemagne l'exemple
typique d'un pays « où Ton gouverne trop, quoi-
que avec de bonnes intentions » (a). Uodgsidn
glissera donc, dans ses récits de voyage, toutes les
anecdotes que l'éditeur exigera, pour rendre
l'ouvrage amusant(3). 11 donnera, sur l'Allemagne
du Nord, et particulièrement sur le Hanovre, où
règne le roi d'Angleterre, siu* le commerce et
l'industrie, sur les lettres et la philosophie, une
abondance de renseignements intéressants, nou-
veaux pour un public qui, depuis vingt ans, a
presque oublié l'existence d'une civilisation conti-
nentale. Mais, surtout, il accompagnera ses récits
et ses renseignements d'une sorte de commentaire
perpétuel, qui consistera dans une critique réflé-
chie des notions de gouvernement et de loi.
( I ) Travels^ vol. I, p* 210.
(2) Vol. 1, p. 166.
(3) Hodgskin à Place, a6 juillet 1819; BriUMus. add.
mss. 33.iâ3, f. 77.
THOHAS HODOSKUf
Dil'e : gouvernemeut, c'est dire : nation, c'est-
à-dire frontière factice, multiplicité inutile de
règlements souvent contradictoires. Que de gou-
vernements en Allemagne! Et cependant, partout,
les hommes sont semblables : pourquoi les sépa-
rer les uns des autres par des divisions imagi-
naires? « U leur suûirait d'expulser leurs maîtres
divers pour sentir que leur intérêt est pai*tout le
même. » Faudrait-il donc appeler de ses vœux la
venue d*un conquérant, absorbant dans Funité
d'un empire tant de petites nations rivales ?
Hodgskin repousse Thypothèse. 11 compte sur le
progrc's général et spontané de la raison humaine,
sur la fin du culte absurde, de la a sotte vénération »
des grands hommes, sur la propagation insen-
sible de ces sciences bienfaisantes « dont les
vérités ont été systématisées et incorporées à
Facquis de l'espèce par Smith, Say, Malthus,
Paley, Bentham )>. Il ne veut pas de l'unité
« mécanique et quadrangulaire » qui résulterait
d'un despotisme universel el qui reproduirait,
sur une plus grande échelle, les vices des gou-
vernements abolis (i). L'infirmité du gouverne-
ment d'un seul est géométriquement démontrable.
Supposer que, lorsqu'une nation tout entière
prend part à l'examen et à la confection des lois,
(i) Travels^ vol. Xi, pp. ao4-âo5.
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CHAPITRE PREMIBR
95
elle ne sera pas mieux organisée que lorsque les lois
sont faites par on seul» c'est supposer que la sagesse
de l'espèce tout entière est inférieure à la sagesse de
la pins petite partie de cette espèce (i).
Et la substitution du régime parlementaire
au gouvemement d*un seol n'arrangerait pas
les choses : Hodgskin a Tisiblement, sur ce
point, adopté la doctrine de Godwin. Des assem-
blées législatives ne garantissent pas des lois
sages. Si, moyennant quelques abus supprimés,
une nation devait accorder à son Parlement une
confiance aveugle, elle se serait, purement et
simplement, donné un nouveau raaitre. Ce qui
fait Texcellence de la Constitution anglaise ,
ce n'est pas Texistence d'une Chambre des
Communes^ c'est Texistence d'une opinion publi-
que défiante , avertie par une presse libre et
perpétuellement occupée au contrôle des actes
du Parlement (a). Que cette défiance vienne k
disparaître, et la Chambre des Communes,
trop peu nombreuse pour ne pas subir l'in-
fluence de la Couronne, reproduira les vices
du gouvernement d'un seul sous l'apparence
trompeuse, et qpi endort l'inquiétude populaire,
du gouvemement de tous (3).
(i) TravelSt vol. II, p. 444.
(a) Vol. I, pp. 459 sqq
(3) YoL J, pp. 466-466, 468.
1.
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36
THOMAS UODGSKiI«i
Eu iait^ les gouTernements ne sont, en Teriu
de leur essence même, ni intéressés à bien
gouverner, ui capables de bien gouverner. Que
i'aut-il en conclure? De cette faillite de la
sagesse humaine, répond Hodgskin,
ii résulte clairement que les limites en deçà des-
quelles il faut restreindre la puissance du gouverne-
ment et au delà desquelles elle devient pernicieuse
sont encore absolument inconnues ; et, si Ton remar-
que d'ailleurs que la puissance d*une nation est en
raison inverse de la puissance et de l'activité du
gouvernement, ne sera-t-on pas presque tenté de
tenir l'opinion courante, suivant laquelle les gouver-
nements sont nécessaires et bienfaisants, pour un de
ces préjugés universels, héritage des siècles d'igno-
rance et de barbarie, et dans lesquels une science
plus étendue, une civilisation plus développée, révé-
leront autant d'erreurs funestes ? (i)
Si Ton admet, en effet, avec Adam Smith»
que la société est soumise à ropcratioii de lois
naturelles et nécessaires, ou bien les prescrip-
tions de la loi positive seront contraires, ou bien
elles seront conformes aux commandements de
la nature. Il est évident que, dans le premier cas,
elles sont nuisibles ; mais, dans le second cas,
il peut sembler qu'elles sont seulement inutiles :
en réalité elles sont nuisibles encore. D'une
(X) TraveU, voL I, p. 4i7»
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CHAPITRE PREMIER
27
part, en effet, il iaut rétribuer les fonctionnaires
chargés de veiller à l'exécution des lois ; et cette
rélributioa dérange I harmonic naturelle des inté-
rêts. Pour prévenir le crime, on institue une
police ; on prélève' la rémunération des policiers
sur le produit du travail national ; la police coûte
d'autant plus cher que la profession est impo-
pulaire et que le nombre des agents est accru.
« Le travailleur est réduit à la pauvreté ; i, inéga-
lité de sa condition est encore augmentée ; d*où
un nombre de crimes plus grand que n'en
peut supprimer la poUce la mieux organisée (1)».
D'antre part , passer de la constatation d'une
loi de la nature à la promulgation d une peine
contre celui qui Tenfreint, c'est entretenir, dans
r intelligence des administrés , uue confusion
funeste d'idées.
Les auteurs des lois sur les corporations ont erré,
comme errent presque tous les faiseurs de lois, pour
n'avoir pas distingué deux choses, qui sont en elles-
mêmes essentiellement distinctes. Ce sont une liffne
de conduite que l'on désire voir suivre, et une loi
pour imposer cette ligne de conduite. C'est une chose
de dire qu'un homme doit accomplir un certain acte;
c'en est une autre de faire une loi pour lui imposer de
raecompliTy et de le punir sH néglige de Taccomplir.
[n est, par exemple, désirable que l'on ne fabri-
que pas de fausse monnaie.] Mais ce sont deux
(z) TraveU, vol. p. 333.
TmMAS HODGSKUf
choses parfaitement distinctes de faire une loi pour
interdire aux hommes de fabriquer de faux billets de
banque et de les condamner à être pendus 8*ils sont
pris sur le fait. Le résultat de cette manière de pro-
céder, c'est d'encourager une ligne de conduite direc-
tement contraire à celle qu'on désire. L'expérience
l'a prouvé ; et, lorsqu on dit aux hommes qu'ils ne
doivent pas accomplir une certaine action sous peine
d'ôtre pendus, on les persuade immédiatement qu*il
y aurapour eux grand avantage à Faocomplir, pourvu
qu'ils évitent d*étre sorpris (i) .
Les gouvernemeuts allemands protègent les
lettres et les sciences : ils ont tort. Sans doute le
régime des universités allemandes est préférable
à celui des universités anglaises, pour toujours
soumises à des lois plusieurs fois séculaires,
« gothiques y> : les universités allemandes obéis-
sent à rimpulsion capricieuse du souverain et de
son ministre, qui, du moins, appartiennent à leur
siècle et peuvent avoir, par accident, le goût des
i lumières (a). Mais, en principe, tout enseigne-
i ment d'État est conservateur et routinier (3). 11
coûte cher, en outre, et contredit les leçons de
Féconomie politique. Dans la mesure où les
\ sciences et les arts sont utiles, ils sont Tobjet d'une
; demande et trouvent, sur le marché, la rémuné-
I
(I) TravelSy vol. II, p. 179.
V2) Vol. II, pp. 266-267.
(3} Vol. 11, p. a58.
k
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GBAPITaB PRBMIBR ^9
ration qui leur est due ; et le fait même que bien
des savants, bien des artistes, ue ti^ouvent pas
l'emploi de leurs talent8,prouye,non qu'ils doivent
être secourus, mais que l'oUVe, en ces uialières, a
été forcée au-delà de ce qu'exigeait la demande (i).
Les gouvernements allemands protègent l'in-
dustrie, règlent la distribution de la propriété
foncière. Mais les pépinières d'État, les salines
d*État, que Hodgskin a visitées, lui ont paru
médiocrement prospères. Les lois du Hanovre sur
la propriété foncière ont eu, Hodgskin le recon-
naît, quelques bons eflets : elles ont empêché
l'émiettement, empêché aussi une concentration
excessive des propriétés. Mais ces maux eux-
mêmes, contre lesquels certaines lois peuvent
avoir utilement réagi, proviennent, en dernière
analyse, selon Hodgskin, d'autres lois : car les
lois, œuvre des riches, ont pour fonction essen-
tielle de protéger la richesse. « Ne subvenir aux
besoins d'aucun homme etlaisserà chaque homme
le produit de son propre travail, voilà quelle
serait la meilleure loi agraire » (2) ; et Hodgskin,
non sans quelque apparence de paradoxe, oppose
à l'exemple de l'Allemagne celui de l'Angleterre,
où, à l'en croire «la propriété i'uncière est restée
entièrement libre », où « le possesseur est resté
(l) TraçelSf vol. II, p. 378.
(a) Vol. U, pp. 86-8;.
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THOMAS HODOSRnr
libre de disposer de son bien comme il a jugé à
propos », où, par suite, « Tintérêt personnel a
effectué un grand bien général, sans restriction
ni prescription législative » (i).
Les gouvemements allemands ont voulu 'pré-
venir la misère par des règlements d'assistance
publique : c'est toujours la même volonté absurde
de substituer les prescriptions de la loi à celles
de la nature. Hodgskin, qui déjà se détacbe de
Malthus, continue à penser, en ceci, comme
Malthus. On ne peut se marier entre pauvres, au
Hanovre, qu'avec la permission du magistrat. On
en conclut que tout mariage autorisé par le
magistrat est légitime et sacré. En réalité, la
misère qui en résultera, voilà la seule raison
naturelle pour laquelle il ne devrait pas être
conclu ; et « le magistrat, par la substitution de
son autorisation à la raison naturelle, empêche
les parties contractantes de connaître cette impor-
tante vérité » (a). Les classes gouvernantes, qui
sont aussi les classes rîches,ont la vanité de croire
qu'il est en leur pouvoir, par des lois, de sou-
lager la misère ; mais la loi, œuvre des riches,
est, par essence, la cause de la misère; comment
pourrait-elle, sinon par accident, diminuer la
misère ?
(i) Travcls, vol. II, p. 96,
(âj Vol. 11. pp. 94^100.
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CHAPITRE PRBIIIBR
3l
Le propriétaire foncier et le capitaliste ne produi-
sent rien. Le capital est le produit du tr;ivail, et le pro-
fit ii*est rien qu'une portion «le ce produit, impitoya-
blement extorquée contre la permission accordée au
travailleur de consommer une partie de ce "que lai-
même a produit. Quand cela lui est accordé à titre
d*aumône, s*il n'est pas opprimé, il est toul an moins
insulté. Ceux qui s'imaginent être bienfaisants, parce
qu'ils concèdent au travciilleur une bribe de ce qu'ils
lui ont extorqué, se paient d'un ca/it hypocrite, qui,
même s'il est consacré par les lois, même s'il s'accorde
avec les habitudes de la société., n'a jamais été sur-
passé par le eant des religions les plus absurdes. Par
votre travail, vous mangerez votre pain ; voilà le
langage de la sagesse divine, et celui qui ne gagne
pas ce qu'il consomme par sa propre industrie,mangc
un pain dont la nature a l'ait la propriété d'un autre.
Les pauvres sont la terreur des riches et le fléau de
la société. Mais ceux qui vivent dans l'abondance
n'ont guère le droit de se plaindre quand leur repos
est troublé ; car c'est eux qui infligent la pauvreté à
leurs semblables et, en mùnie temps, leur enseignent
à désirer la richesse. Les maux de la société ne sau-
raient trouver de remèdes dans des lois du Parlement.
On paraît généralement supposer, parce que les
riches font les lois, que les pauvres ont seulement
besoin d être réprimés et réformés. C'est une erreur.
C'est la classe gouvernante de la société qui a besoin
d'une réforme et qui mérite le plus de blâme pour
les maux sociaux existants (i).
L'erreur allemande réside, en dernière analy se ,
(I) TraveU, vol. U, pp. 97-98.
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39
TH0MA3 UODGSKIM
dans une fausse conception de Féconomie poli-
tique, entendue comme « la connaissance des
moyens de développer la prospérité du peuple,
au moyen du gouvernement » (i), alors qu^en
réalité elle consiste dans la connaissance des
lois naturelles, conformément auxquelles se
réalise, sans- intervention gouvernementale,
1 intérêt général (12), La conséquence de cette
méprise, c'est que Ion rejette sur la nature la
responsabilité des crimes dont les gouverne-
ments et les lois sont les véritables auteurs.
Au lieu d'expliquer le crime et la misère
par un état «artiiiciel» de la société, où une
« aristocratie de richesse » exerce une influence
peut-être aussi pernicieuse que celle de Fan-
cienne « aristoci^atie de naissance » (3), où
« celui qui produit tout ne reçoit presque rien,
tandis que ceux qui ne produisent rien abon-
dent en superiluitésx>, où « Tindustrie estresclave
de la paresse et, par son association constante
avec les idées de pauvreté et de mépris, est
devenue plus détestée, plus abhorrée que le
crime » (4), on aime mieux faire retomber tout le
mal sur I mdustrie et le commerce. Cependant,
(1) Travels, vol. I, 4i4'
(2) Vol. I, p. 467.
(3) Vol. II, p. m.
(4) Vol. 1, p. 3o2.
CHAPITRB PREMIER
33
le fait d'employer des espèces différentes de tra-
vail à la satisfaction de besoins différents ne peut
jamais produire la pauvreté et la détresse. Et, dans
l'intérêt de i'humanitéy si Ton veut que nulle espèce
d'industrie ne soit injustement discréditée, il faut
livrer à la censure les règlements sodaux qui nous
ont infligé tant de pauvreté et de détresse. Toutes
les espèces diverses de travail productif doivent être
bienfaisantes, mais la manière dont le produit du
travail est distribué dans la société est distincte du
travail lui-même et résulte des règlements sociaux.
C'est pour avoir confondu ces deux choses, et avec
la préoccupation sincère du bien-être national, que j'ai
entendu plusieurs hommes intelligents, au Hanovre,
exprimer le vœu de ne pas voir leur patrie devenir
commerçante (i).
Mais, si la distribution actuelle de la propriété
est à la fois (au tond, pour Hodgskin, les deux
choses se ramènent à une seule) injuste et artifi-
cielle; si elle est due à llntervention législative
« d'un petit nombre d'individus séparés et dis-
tincts, agissant, en tant que gouvernement, au
nom de la société entière » (a), c'est une illusion
de considérer le mouvement général de l'Europe
vers l'émancipation industrielle et commerciale
comme autre chose qu'une révolte irrésistible des
lois de la nature contre les lois de l'homme.
(1) Travela, vol. II, pp. iiz«ii9.
[2) Vol. I. p. a^.
Digitized
THOMAS HODOSKIN
Ceux-là seuls, dans la société actuelle, ont raison
de s en alarmer,
qui mettent tout leur bonheur à voir leurs besoins
satisfaits par des esclaves impayés et tremblants.
A leur point de vue, la moralité consiste dans l'accep-
tation paisible de la misère si elle est infligée con-
formément à la loi, et toute tentative faite par les
hommes pour échapper à cette misère légitimement
infligée est flétrie comme immorale (i).
Gèux-là seuls peuvent espérer entraver le mou-
vement qui croient à raction des causes acciden-
telles dans rhistoire.
Les mœurs d'une nation ne peu vent être changées
subitement ou détruites par un événement isolé. . •
Jamais événement miraculeux ne s'est produit ni ne
peut se produire dans les démarches d*une nation
tout entière. . . Les lois morales de la nature sont
aussi régulières et inaltérables que ses lois physiques.
Le pouvoir qui gouverne le monde n'est pas un tyran
sanguinaire qui fait ses délices, par des orages subits
et inattendus, de ruiner les plus belles espérances de
l'humanité. Des lois régulières sont établies dans le
monde moral, et nous avons la faculté de les découvrir
et de régler sur elles notre conduite assez bien pour
pouvoir diminuer ou détruire le mai sous toutes ses
formes (a).
Pendant que paraissent les <( Voyages dans le
Nord de T Allemagne », Hodgsldn travaille à
(i) Travels, vol. II, pp. 40i-46a.
(a) Vol. U, p. 465.
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CHAPtTRB PRBBOBR 36
organiser son existence dans la grande ville intel-
lectuelle, fière de ses grands hommes, de son
Université, de ses Revues critiques, oà, depuis
un an, il s'est fixé. Il est en relations avec
Constable, Téditeur de la « Revue d*Édimboui^ » ;
avec Napier, le directeur du u Supplément de
rEucyclopédie Britannique » ; avec MacCulloch,
le rédacteur en chef du Scotsman, 11 cherche
à gagner sa vie par des articles de Revue : sa
connaissance de la langue et de la civilisation
allemandes ne doit-elle pas Taider à trouver des
occasions ? Sa femme, en même temps, apprend
l'anglais et cherche à donner des leçons d'alle-
mand. Il continue cependant — et jamais son
travail ne fut plus fécond — ses recherches per^
sonnelles. Le point de départ de ses reflexions,
c est le radicalisme utilitaire. Depuis le moment
où il a été conseillé et protégé par Francis Place,
ses relations avec le groupe des amis de Bentham
ont été étroites et constantes ; et, en fait , snr
tous les points où les Benthamites défendent
la cause du libéralisme, le radicalisme de Hodg-
skinne diffère pas du leur. Il se félicite du progrès
que fait, en Angleterre, l'idée du libre-échange.
Il écrit à la suite d'une discussion à la Chambre
des Lords sur le commerce extérieur :
La confession, faite des deux côtés, que notre
législation a jusqu'ici été mauvaise et que, si les
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36
THOMAS HODGftKDf
lois devenaient permanentes, les hommes conforme-
raient à elles leur conduite, m'a paru importante.
Le premier aveu est un aveu d insuffisance, et le
second prouve que les hommes s'accommoderaient
môme des lois de la Nature si lord Liverpool voulait
nons permettre de les snivre : rien n'offre plu» de
constance qu'elles n'en ont, et rien qui ressemble à
une loi n'est plus changeant que les règlements des
deux Chambres (i).
Il applaudit à la campagne libre - échangiste
que mène MacGulloch dans la a Revue d^Édim-
bourg » (a), <( Cela ue fait pas de doute x), éciit-il
à Place»
l'abolition de toutes les restrictions , quelles
qu'elles soient, est le grand but à atteindre. Ce qu'il
nous faut, c'est une législature destructive, dont la
grande alfaire soit d'en Unir avec les lois promulguées
par les précédentes (3).
Entre MacGulloch, qu'il voit constamment, et
Francis Place, avec lequel il est en correspon-
dance, il sert d'intermédiaire, lorsqne Mac-
Gulloch, d'accord avec les radicaux de Westmin-
ster, commence à faire campagne en faveur de
(i) Uodgskin à Place, 3o mai iSjo, BriU Mua., add.
mss. 33.153, f. j59, verso.
(a) Hodgskin à Place, avril i8ao, Brit, Mus, add.
mss. 33.163, f. i3j verso.
(3) Hodgskin à Place, 27 août 1819, Brit, Mas, add,
mss. 33.163, f. 98 verso.
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CUAPlïlŒ PUËMIER
l'abolition de la loi sur les coalitions (x). Avec
les radicaux, il s'indigne contre la réaction
régnante, proteste conti*e le massacre de Man-
chester, étonné seulement de voir que Toppo-
sitioii libérale se prt3occupe surtout de chei*clier
si le massacre n'a pas été contraire aux lois»
L^horrible violation des lois à Manchester semble
n'avoir servi que de cri de guerre et de mot d'ordre
pour les défendre. Quelque uiisère qu'elle ail produite,
e'esl notre misérable Conslilulion que l'on enjoint
maintenant de déi'endre et de soutenir. 1* raucheuient»
ces bôtises me font mal au cœur. Je voudrais con-
naître une loiy une seule loi, qui vaille qu'un honaôle
homme se donne du mal pour la défendre. Ce n'est
pas la loi du Parlement, ni la loi des juges, ni les
lois relatives au libre-échange, ou à la liberté de
parler et d'écrire ; moi, Je n'en connais pas une qui
vaille la peine d'être soutenue, mais tout le monde
semble croire qu'il vaut mieux être sabré par des
hussards ou enfermé dans des Bastilles selon les
règles que d*avoir confiance en ses semblables. Ils
semblent croire qu'il vaut mieux être tondu selon
les règles que de courir le plus léger risque de vivre
selon la raison (2).
Dans un article qu'il porte au Scotsman^ en jan-
vier 1820, et que le Scotsiuan refuse , Hodgskia
(i) Hodgskin à Place, !«' septembre 1S19, BriU Mus*
add. mss. 33.i53, t ^.
(a) Hodgskin à Placera sept. 18199 BriL Mas. add. mss.
33.154, f. as.
H.
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38
TliOMiLS UODUSKIN
développe cette idée que la grande œuvre accom-
plie par les nouveaux philosophes, «Adam Smith,
Malthus, Bentham et tous les économistes poli-
tiques, et tous ceux qui ont écrit sur la législa-
tion depuis un demi-siècle », c'est d'avoir discré-
dité les lois existantes et profondément modifié
« les sentiments éprouvés par les peuples à
l'égard des gouvernements » (i). Mais son anar-
chisme va plus loin que leur réformisme : il
n'attaque pas les lois existantes en détail, mais
toutes les lois sans exception ou, mieux encore^ la
notion même de loi.
La philosophie économique des Benthamites
est antilégislative : pourquoi en est-il auti*e-
ment de leur philosophie juridique ? C'est
/d'une façon absolue que la notion de loi positive
est inconciliable avec Texistence de lois natu-
relles : voilà ridée qui s'est emparée de l'esprit
j de Hodgskin dès ses premières réflexions, dès
! ses premières lectures. Mais, alors, comment
^ expliquer Texistence, Torigine des lois posi-
' lives? Hodgskin étend à toutes les lois sans
restriction Texplication^ donnée par les Ben-
fhamiles, de Torigine des lois mauvaises ou,
comme ils disaient en leur langage, « sinistres».
Elles ont été faites par des oligarchies pour
(i) Hodgskin à Place, so janv. i8ao« Brit Mua. add.
mss. 36.153, t iso verso.
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CHAPITRB PRBMIBR
la défense de leurs intérêts particuliers contre
riutérêt de la masse des sujets. Hodgskin se
livre donc à des recherches sur l'origine des
lois, demandant à Place de le renseigner sur
certains détails relatifs à l'antiquité biblique :
Est-ce que toutes les nations de l'antiquité dont
nous avons connaissance n'étaient pas composées de
maîtres et d'esclaves ? ei les lois pénales ne peuvent-
elles avoir pris naissance, n'ont-elles pas eUective-
ment pris naissance dans un état social de ce genre ?
ne forent-elles pas créées principalement pour iaire
régner Tordre parmi les esdavés (i) ?
Il se fait adi^esser par Francis Place les «Traités
de Législation » de Bentham (a)» et réussit à faire
passer, dans le Magazine que dirige Constable,
un article sur le droit pénal, très modéré de ton,
où il rend hommage à Bentham. Mais un second
article, qui devait l'aire suite au premier, est
refusé (3). .Pour un temps, Hodgskin cesse de
s ^intéresser à Fétude de ce problème fondamental.
Sur d'autres points, aussi bien» le bentha-
misme appelle la critique. En matière de droit
constitutiouiiel^ les radicaux utilitaires attaquent
(1) Hodgskin à Place, 8 février i8ao, BriU Mus. add.
mss. 33.153, f. 124 verso.
(2) i5 féyr. x8ao Brit.Mua, add. mss. 33.i53, f. ia6 verso.
Cf. ao avril, f. i33.
(S) i5 févr. x8ao, BHt Mu», add. mss. 3?.i53, 1. ihq.
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40 THOMAS BODGSKIN
le régime monarchique et le régime aristoera-
tique, mais c'est pour proposer un parlementa-
risme démocratique, où se irouTera garantie» par
des procédés en quelque sorte mécaniques, Tliar-
moniedes intérêts entre gouvernants et gouvernés.
Hodgskin, qui a déjà prémuni les lecteurs de son
« Voyage en Allemagne » contre la superstition du
régime représentatif, est sceptique sur 1 eiiicacité
de ce mécanisme législatif. Un instant, il songe
à entreprendre une histoire critique de la légis-
lation parlementaire en Angleterre (i). Puis James
Mill, dans la publication de Napier, publie son
fameux Essai sur le Gouvernement qui fixe le
programme constitutionnel des Benthamites ; et
Hodgskin, dans une lettre à Place où il discute
James Mill, oppose à lldée d*un gouvernement
démocratique l'idée d'une société sans gouverne-
ment : si Topinion publique fait toute la force
d'une constitution, pourquoi Topinion publique,
sans mécanisme constitutionnel, ne pourrait-elle
suffire à constituer une société stable? Contre
James Mill, il ressuscite la docti*ine de Godwin*
11 (Mr. Mil!) postule la seule proposition que je
serais disposé à contester, à savoir que Tobjet du
gouvernement (la protection de la propriété) est
atteint quand un grand nombre d'hommes s'unissent
(i) Hodgskin à Place; m avril i8ao. Bril. Mu8. add.
mss. a3.i53, f. i33.
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CHAPITRE PRËMIEU
et délèguent à m petit nombre le pouvoir nécessaire
pour les protéger tous. Concédez-lui cela, et toute la
suite de ses raisonnements est magistrale, elle fournit
des arguments nouveaux et bons contre le mauvais
gouvernement. Mais je ne suis pas disposé à lui
concéder cela. L'c xpériencc me dit que les hommes
peuvent s'associer pour se protéger l'un l'autre sans
délégation de pouvoir à un petit nombre. C'est ainsi
qu'à présent le peuple, mû par un désir commun,
s^est uni pour la protection de la reine et Ta en fait
protégée contre le pouvoir d*un mauvais gouverne-
ment sans délégation de pouvoir. Scmblablement, je
crois que l'on ne saurait postuler, en argumentant
contre la démocratie, que le peuple doit être assemblé
pour faire des lois.
Dans l'état actuel de la société, il n'y a pas de
raison pour cela. L'opinion d'un individu quelconque
sur un sujet donné quelconque pourrait être connue
en peu de mois, sans réunir la nation. Et cette trans-
mission d'opinion serait assez rapide pour servir à la
coni'ection des lois. Je suis donc porté à me séparer
de Mr. MUl sur cette partie de son sujet et à penser
que, dans la mesure où il s'agit de LégiêUUianf «la
collectivité en masse n'est pas mal adaptée aux fonc-
tions du gouvernement». Je crois que Tanalogie d'une
société de secours mutuels {benefit club) n est pas
complète. Car une société de secours mutuels, si je ne
me trompe, ne fait que nommer des fonctionnaires,
et ne permet ni à eux, ni au conseil d'administra-
tioDi de foire des lois ; or cela est impliqué dans
ridée courante des pouvoirs gouvernementaux et
semble être compté au nombre de ces pouvoirs par
Mr. Mill. Si la législation n'est pas un des pouvoirs
qu'il faut remettre au petit nombre^ je n'ai presque
4a
THOMAS HODGSKIM
pas d'objections à faire au système; raais si elle l'est,
alors le système paraît mal fondé, parce que les ins-
titutions de contrôle (checks) établies par le peuple,
et à qui Ton attribue ensuite la fonction de faire en
sorte que le gouvernement ail les mêmes intérêts que
le peuple, pourraient certainement protéger le peuple
sans intervention de ce gouvernement (ou du petit
nombre des délégués) aussi bien qu'elles le protègent
contre lui ou contre eux. Ou encore, le contrôle qui
suppose (ju'on laisse au pt uphî un pouvoir de décla-
rer ee qui est juste est, en vérité, l'essence de la
législation, et non seulement ne doit pas, mais
semble ne pouvoir pas, pendant que Ton conserve
des contrôles, être délégué. Si l'on retient le pouvoir
de légiférer sur ce point important, qui consiste à
exercer un contrôle sur le petit nombre des délégués,
je ne vois pas pourquoi on ne le conserverait pas
sur tous les points, — je ne vois pas, en d'autres
termes, de raison pour que le pouvoir de la iégisla-
tionnesoltpas exercé par la nation tout entière sans
délégués aucuns. Le cas est différât cependant en
ce qui concerne les deux branches de l'Administration
et de la Justice. Elles doivent être conlîées à des
individus délégués, mais toutes deux probablement,
considérées au point de vue nationcd, seraient enfer-
mées dans des limites beaucoup pins étroites que
leurs limites actuelles, et très différentes* Je ne pré*
tends pas dire, cependant, jusqu'à quel point, mais
je suppose que les relations des nations entre elles,
seule occasion où soit requise une administration
nationale consistant en rois et en ministres, seraient
très rares
Mr. Mill semble avoir été quelque peu induit en
erreur pour n*avoir pas pris garde à la vraie source
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CBAPlTaS PRBHIHR
43
des pouvoirs ilu gouvernement. Ils ne sont, bien cn-
teoda, rien de distinct de la richesse el des privilèges
que Tapinion dn peuple en favenr da gouvernement
lui confère ou lui permet de s'approprier. Ou encore,
le gouvernement n'a de pouvoir pour protéger la pro*
priété que celui qu'il dérive de l'opinion. Si l'opinion
est capable de cotislitiier, de restreindre et de douer
de pouvoirs déiinis, avec les variations de l'opinion,
chaque gouvernement, je ne saurais dire pourquoi
Topinion ne pourrait, en première instance, protéger
la propriété (c^est la fin pour laquelle le gouverne-
ment est institué) sans l'intervention d'une machine
aussi encombrante. Mais je n'en dirai pas davan-
tage sur ce sujet. Si l'on accorde (^le la meilleure
manière de protéger la propriété est, pour un
grand nombre d'hommes, de déléguer h un petit
nombre les pouvoirs administratif, judiciaire et
législatif, si l'on suppose que le fait du gouverne-
ment résulte nécessairement du désir qu'ont les
hommes de s'appro[)rier les objets de désir, alors
rarlicle est excellent (i).
Mais ce n'est pas seulement la philosophie
du droit pénal, ni la philosophie du droit public,
c'est la philosophie économique elle-même, qui,
chez les Benthauiites, ne satisfait pas Ilodgskin.
La littérature du parti radical s'est enrichie,
pendant (pie Hodgskin voyageait en Italie et en
Allemagne, du grand ouvrage de Ricardo, qui a
défini une seconde fois et enrichi de traits nou-
(I) HodirslNin à Place, 17 sept. i8ao. BriL Mu8, add.
mss. 33.1 53, 1. iG^ sqq.
44
THOMAS HODGSKIN
veaux la doctrine d'Adam Smith ; or, Hodgskia
croit devoir condamner les innovations de Ricardo
parce qu'il y voit autant d'infractious au grand
principe de la philosophie nouvelle, au principe
de l'identité naturelle des intérêts. Âdam Smith
avait aflîrmé que, dans le monde de l'échange et
de la division du travail, les lois naturelles de la
production et de la distribution des richesses
étaient harmoniques et bienfaisantes ; cette har-
monie naturelle ne pouvait être dérangée que
par des accidents historiques, appropriation du
sol ou accumulation du capital. Puis Malthus
était venu, qui avait trouvé à la misère une
cause indépendante de la volonté humaine dans
l'accroissement, naturellement excessif, de la
population, dans la désharmonie naturelle qui
existe entre le nombre des consommateurs et la
quantité des subsistances : la rente foncière,
prélevée sur le produit du travailleur par le
propriétaire du sol, lui était apparue comme un
effet nécessaire de la stérilité relative et de la
rareté du sol cultivable. Maintenant, Ricardo se
donne pour tâche d'incorporer les théories de
Malthus à un système intégral d'économie poli-
tique. Dans les lettres qu il adresse à Place le
néo-malthusien, Hodgskin proteste contre le
système de Ricardo, et réclame le retour «\ Adam
Smith par Télimination des élément^ malthu-
GHAPITRB PEEMIRR
45
siens que renferme la doctrine de Ricardo.
A rinstant même où Godwin, après vingt-
einq années de silence, réplique à l'ouvrage de
Malthus, Hodgskin, à tant d'égards disciple de
Godwin, conteste, lui aussi, le principe de
population. Il attache^ sans doute, à raccroisse-
ment numériqae du genre humain, la même
importance que Malthns dans l'interprétation de
Thistoire. Seulement, sa philosophie de Thistoire
est optimiste an lieu d*étre pessimiste. Si la
multiplication du genre humain est un fait
naturel» elle ne saurait être que bienfaisante:
elle explique, à ses yeux, non plus la perma-
nence de la misère, mais la civilisation elle-
même, le progrès des hommes en connaissances
et en bonheur. Il écrit un article
pour montrer que Thumanité a gagné dans toutes
les vertus de sobriété, de douceur, d'équité, d'indul-
gence, etc. etc. ; qu'elle a gagné en savoir et en indus-
trie, en proportion exacte de l'augmentation du
nombre des hommes ; que c'est là une admirable
invention de la nature pour corriger la plupart des
maux apparents de notre condition ; et que les affir-
mations de nos orateurs sacrés et de nos oracles du
Parleroent,8elon qui une abondance d'honunesestune
pépinière de vices et selon qui nos crimes sont dus
non à un défaut de notre gouvernement, mais à nos
grandes villes, visent sonloment à nous inculquer la
foi en labienfaisanci'des prêtres etdelord Castlorea^h.
U me semble que rarlicie ne contenait rien que des
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46
THOMAS HODOSKUT
faits et présentait, de notre condition naturelle, an
tableau qui devrait être consolant pour tout le
monde. On Ta refusé cependant comme trop poli-
tique. Je vois qu'on ne se préoccupe que de dire* en
langage élégant» ce que les autres croient déjà. Et,
comme je me suis toujours très peu soudé de Télé-
gance de la forme, comme j'ai toujours pensé autre-
ment que ne pensaient les autres, je me trouve très
mal fait pour le métier de scribe (i).
Une fois, deux fois, Tarticle est refusé. Le
malthusianisme est devenu un des dogmes du
parti libéral ; il n'est pas permis de le réfuter
dans une publication whig ; et Hodgsldn finit
par communiquer à Francis Place, avec prière
de le soumettre à Godwin, le résumé de son
étude (2). Ce résumé contient, sous une forme
succincte et nette, tout Tantimalthusianisme de
Hodgskin (3).
Sun L*INFLURNCB MORALE d'uN AGCROISSBIIBNT
DU NOMBRE DES HOMMBS.
1° Si Von admet que la population a une tendance
à déborder la subsistance, ne devons-nous pas attri-
buer la misère, dont cette tendance peut avoir été
jusqu'à présent la cause^ à Vignorance où était
fi) Hodg^skin à Place, ao janv. 18110. Brit, Mm, add.
mss, 33. i53, f. 121.
(2) 3o nini 1S20. Brit. Mus. add. mss, 33.i53, f. iSg.
(3j Brii. Mus, add. mss. 33.1Ô3, f. 161 sqq.
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GHAPITRB PRBMUR
43
l'homme da fait que c'était là une. loi de la nature,
plutôt qn*k la loi elle-même?
2" M. Malthus admet que, dans la mesure où la
population s'est accrue — en Grande-Bretagne par
exemple, — la famine, la peste et tous les maux qui,
selon lui^ diminuent la population, sont devenus
moindres. Comparez les souffiranoes d'un saurage
de la Nouvelle-Hollande avec celles d'un habitant
de l'Angleterre. Bn Turquie, 3i habitants vivent sur un
mille carré; en Angleterre, i52. Dans le premier cas,
la contagion et la famine font plus de victimes que
dans le second. C'est donc Tignorance, le mauvais
gouvernement ou quelque autre cause qui produiseiit
la fàmine et la mort; ce n'est pas un excès de
population;
3^ On a des raisons de croire que la malpropreté
et rinertie sont des causes de maladies, et il est
incontestable qu'elles seraient plus grandes qu'elles
ne sont, si la faim n'était un stimulant de l'effort;
4° Quand on compare l'Amérique possédée par
les Indiens à l'Amérique possédée par les Européens;
quand on compare la condition antérieure avec la
condition actuelle des États-Unis, il est évident que
ce n'est pas l'étendue superficielle du sol, mais le
travail et l'ingéniosité qui produisent les aliments.
Un petit nombre d'Indiens misérables mouraient de
faim sur un continent immense; un petit nombre
d'hommes, auxquels étaient familiers le savoir et les
arts de l'Europe, se sont multipliés graduellement
jusqu'à devenir une nation puissante et disposent
d'une abondance de subsistances. L'ingéniosité et le
savoir, bref, quelques qualités morales de l'homme,
sont, par conséquent, le principal moyen de multi-
plication de la nourriture ;
THOMAS HODGSKIN
5"* Il rloit y avoir en un temps où la sarface de
rSarope était dans le même rapportjqaantàrétendae,
an nombre de ses habitants, qne TAmérigne d'anjonr-
d'hni ; mais i! ti'y a pas de période dans l'histoire de
l'Europe où ses habitants aient multiplié aussi vite
qMC les habitants de l'Amérique. Il nous faut donc
chercher quelque cause autre qu'une insuffisance de
territoire, -—nn mauvais gouvernement, par exemple,
source d'ignorance et, d*nne façon générale, Tigno-
rance, — pour expliquer le lent accroissement de la
population en Europe;
6" C'est un fait que, toutes choses ég-ales d'ailleurs,
le savoir et Vins^éniosité, c'est-à-dire, bien entendu,
les moyens de produire les aliments (v. /J), doivent
être grands dans la mesure où le nombre des hommes
est grand et doivent croître dans la mesure où croît
le nombre des hommes. Les arts mécaniques fleuris-
sent dans l'Angleterre, encombrée d'hommes ; les
beaux-arts fleurissaient dans la Grèce encombrée;
7" Les désirs se multiplient avec le nombre des
hommes et avec leur industrie. Comparez le sauvage
qui se chanflè an soleil avec un Européen lettré
et riche;
8* L'accroissement de savoir, qui suit un accrois-
sement de population, accompagné d'un accroisse-
ment de moralité. — Voyez l'histoire de l'Europe,
qui a crû en moralité à mesure que croissait le
nombre de ses habitants. St-Barthélemy, — Guerre
des Paysans, etc. ;
9« Accroissement de moralité dù à un accroissement
de population. La collision abat et apaise les pas-
sions. Le poids de la masse donne à ses opinions une
force qui domine la volonté de chaque individu;
io*> L'homme civilisé est un être totalement dif-
kju,^ jcl by Google
CHAPITHC PREMIER
49
férent d'an homme sauvage et ne connaît presque
aacune dea passions foiienses de celui-ci. On en tire
cette hypothèse que toute passion peut être diminuée
ou plutôt contenue jusqu'au niveau où l'opinion
autorise l'indulgence;
II" Gonclubion. Un accroissement de population
développe l'induslrie, l'ingéniosité cl le savoir; il
développe en conséquence aussi les moyens de pro-
duire Talimentation. Le pouvoir du principe de
peuplement peut donc être considéré comme le grand
stimulant de l'effort et comme le grand moyen
d augmenler le bonheur de l'individu et de Tespèce.
Du principe malthusien de population dérive
la loi malthusienne de la rente différentielle : elle
implique que la rente foncière n'est pas un mono-
pole &ctice, mais résulte nécessairement de
ropération des lois économiques naturelles. 11
faut donc admettre, après cela, ou bien que la
nature est injuste et qu'il appartient à la législa-
tion d'en corriger les imperfections (l'optimisme
naturaliste de Hodgskin lui interdit d'accepter
cette hypothèse), ou bien que la rente foncière
et, par suite, l'existence d'une aristocratie de
propriétaires, est juste, puisqu'elle est naturelle
(les physiocrates l'avaient admis, mais Hodgskin
est trop démocrate pour Tadmettre). Il reste, pour
échapper au dilemme, de rejeter la théorie : ce
qui implique le rejet de tout le système ricardien.
Car Ricardo, aggravant l'erreur de Malthus, non
So
THOMAS HODGSKIN
seulement adopte la théorie de la rente différen-
tielle, mais en fait la base de toute une théorie
nouvelle de la distribution des richesses. Il
subordonne la loi des profits à la loi de la rente,
en admettant que le taux moyen des profits est
réglé parle profit du capital employé sur le plus
pauvre des terrains cultivés, et que le profit est
condamné à décroître indéfiniment par la néces-
sité où se trouve le genre humain de recourir à
la culture de terrains sans cesse plus pauvres. Il
subordonne la loi des salaires à la loi de la rente ;
le salaire strictement nécessaire à l'entretien du
travailleur et de sa famille, il l'appelle le salaire
naturel, parce qull le considère comme natu-
rellement maintenu k ce taux misérable par
Taccroissement indéfini de la rente foncière.
Toutes ces prétendues lois naturelles sont con-
testées par Thomas Hodgskin.
Il rejette la loi de la rente difTérentielle. Sans
doute il est possible d'expliquer l'apparition de
la rente et d'une classe de propriétaires par la
difiérence de fertilité des terrains ; mais l'expé-
rience seule peut nous dire si cette explication
possible est conforme à la réalité. Ricardo et ses
disciples dédaignent l'expérience ; cependant,
selon llodgskin, si Ton défalque des fermages
actuels cet élément différentiel sur lequel insiste
l'école malthusienne, il reste encore une somme
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CHAPITRE PREMIER
5i
énorme, égale peutrétré à cette moitié des produits
du sol exigée des anciens métayers* La rente
diflerentielle est un élément négligeable de la
rente réelle ; la rente foncière s'explique par ce
fait historique qu'un petit nombre de conqué-
rants^ ayant occupé toute la surface du sol» ont
été en mesure d'exiger, des cultivateurs de tous
les terrains sans exception, une somme dont le
montant a été limité par la nécessité seule de
laisser les cultiYateurs vivre et travailler.
Par suite, la théorie ricardienne du salaire
naturel est fausse, elle aussi. Les premiers culti-
vateurs du sol de TEurope ayant vécu en esclaves,
leurs descendants, aflrauchis, ont conservé les
habitudes de vie de leurs ancêtres; ils ontcontinué
à accepter, sous le nom de salaii^e, Téquivalent
de ce que le maître abandonnait jadis à l'esclave :
une coutume servile, perpétuée par la loi des
honmies, à cela se réduit, en ûn de comptCi le
prétendu salaire naturel des Ricardiens.
Fausse enfin, la prétendue loi de la décrois-
sance naturelle des proûts. Si la nature n'était
pas contrariée dans ses opérations, le travail,
aidé du capital, deviendi^ait sans cesse plus pro-
ductif avec le progrès de l'ingéniosité humaine
et des machines. S'il semble, cependant, qu'il
le devienne de moins en moins, c'est que l'inter-
vention des lois humaines masque Topération
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5a
THOMAS HODGSKIM
des lois naturelles; c'est que, dans la société
actuelle, le travailleur ne reçoit pas tout le pro-
duit de son travail, sur lequel il voit prélever
d'abord un proût et une rente« La théorie ricar-
dîenne de la valeur crée, sur ce point, une con-
fusion d'idées ; et Ricardo a tort de vouloir, contre
l'opinion plus sage d*Adam Smith, identifier la
valeur échangeable au prix naturel (i). Pour bien
juger de la valeur échangeable, il faut considérer
réchange comme ayant lien non pas entre les
objets échangés , entre des valeurs abstraites,
mais entre les individus qui sont les auteurs des
produits échangés et les auteurs de l'échange.
Or, dans le monde de l'échange, tel qu il est
réellement constitué, les producteurs peuvent
oct-uper des positions économiques très diverses.
Deux individus sont supposés fournir des quan*
tîtés de travail égales ; mais l'un, propriétaire
de sa terre et de son capital, reçoit tout le
produit de son travail, tandis que Tautre doit, ,
sur le produit d'une quantité de travail égale,
rémunérer un propriétaire foncier et un capi-
taliste. Donc celui-ci, avec ce qui représente
le |)roduit ûnal de son travail, à savoir son
salaire, ne peut acheter qu*une partie de la valeur
produite par l'autre, au prix d'une quantité égale
II) Cf. Hodpskin à Place, 29 avril 1821. Prit. Mus.
add. msB. 33.i53, f. 198. Voir plus bas^ chap. III, p. lôo.
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GBAPITRB PRBMI£R
53
de travail. Donc, enfin, poor les individus qui
pratiquent Téchange, les produits ne s'échangent
pas proportionnellement à la quantité du travail
productif : pour que cela fût, il faudrait que
toujours le salaire du travail fût égal au produit
du travail. La rente et le profit sont, pour le
travailleur, la cause artificielle du relèvement des
prix ; et la misère du travailleur résulte non de
l'opération des lois naturelles, mais de certaines
institutions positives et de certains accidents
historiques.
Dès le mois de juin 1819(1), Hodgskin soumet
à Place le plan d*un ouvrage qui consisterait en
observations critiques sur le système de Ricardo :
Francis Place est trop ricardien pour ne pas
détourner Hodgskin d'accomplir ce dessein. Mais,
une fois débarrassé des soucis que lui cause
l'impression de son livre, le problème de la rente
attire de nouveau son attention : il le discute une
première fois, dans une lettre assez brève, du
ao avril 1820 (a), puis dans une seconde lettre,plus
développée, du 28 mai (3), que nous reprodui-
sons tout entière. Jusqu'ici inédite, elle marcjne
avec précision le point de maturité où étaient
parvenues, à cette date, les idées de Thomas
(i) Le 4 Juin. Brit Mas, add. mas. 33.x53, f. 67.
(s) Brit, Mu$. add. mss. 33.i53, ff. i35, verso sqq.
(3) Brit, Mus. add« mss. 33«i53, f. i4a sqq.
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54
THOMAS HOOGSKLX
Uodgskin. Bien documentée et raisonnée, malgré
une rédaction rapide, et parfois prolixe, elle est
intciHissante autant par son contenu que par la
date où elle fut écrite, moins de trois ans après
la publication des « Principes de rÉconomie
Politique et de l'Impôt ».
Je vous suis très obligé, mon bon ami, de votre
longue lettre du a3 mai que j*ai reçue avant*hier et qui
m'a donné à réfléchir depuis qu'elle est arrivée. Je
n'admets cependant pas encore la doctrine de la
rente, et je voudrais, si vous avez la patience de
lire mes remarques jusqu*au bout, vous expliquer
plus longuement les motifs de mon dissentiment.
Je suis heureux d'avoir une opportunité de disenter
avec vous, sûr que, si, flnalement, j'étais vaincu, la
victoire serait à mon avantage.
Je crois qu'il est ridicule jj^éni ralemcnt pour un
homme de parler d'impartialité soit qu'il examine,
soit qull discute les opinions d'une antre personne.
Nous avons tons nos opinions préconçues que nous
préférons en général aux opinions des autres, et
nous n'approuvons ou ne condamnons celles-ci que
dans la mesure où elles diffèrent des autres ou
s'accordent avec elles. Je n éprouve donc aucune
- hésitation à dire qne les opinions de Mr. Ricardo me
déplaisent parce qu'elles tendent à justiûer la situa-
tion politique actuelle de la société et à mettre des
limites à nos espérances de progrès futur. — Elles
ont le premier résultat en justiliant nos grands
Léviallians fonciers dans leurs extorsions énormes.
La richesse n'est qu'un autre nom du pouvoir poli-
tique, et, avec une aristocratie foncière telle que
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CHAPITRE PREMIER
55
celle qui existe à présent, aucune espèce de démo-
cratie n'est possible. Nous sommes tous les sujets
de la Nature, et nous ne pouvons être heureux ou
grands qu'en obéissant k ses lois; mais si la Rente,
telle qu'elle existe à présent, est, conformément à la
théorie de Mr. Ricardo, le résultat naturel du progrés
de la société, alors toute tentative pour nous aflVan-
chir de la domination d'une aristocratie riche doit,
en ûn de compte, échouer et n'avoir que des ellets
ftmestes. — Je suis un démocrate; les doctrines de
Mr. Ricardo sont le plus solide soutien que je con-
naisse, dans l'ordre théorique, de raristocratie, et
c'est pourquoi elles me déplaisent. Telle est la
source d'un de mes préjugés contre elles : je l'ai
honnêtement et ouvertement confessé.
Les opinions de Mr. Ricardo imposent des limites
à notre espérance d'un progrès futur du genre
humain, d'une manière encore plus définie qne les
opinions de Mr. Malthus elles-mêmes. C'est, en ellet,
l'opinion de Mr, Ricardo que le taux de tous les
proiits est déterminé, en dernière instance, par le
taux du profit qu'obtient le capital employé sur le
sol, qne celui-ci diminue constamment^ en raison
de la nécessité d'avoir recours à des terrains pins
pauvres, et qu'il y a un point limité par lïntérét
naturel du capital, et dont la plupart des sociétés
européennes ne sont pas très éloignées, où le progrès
doit s'arrêter. J'ai toujours supposé» en me fondant
sur le progrès que les hommes ont fiait jusqu'id,
qu'il nous est impossible de limiter leur progrès
futur. C'est exactement ce que font les doctrines de
Mr. Ricardo, et elles le lont en s'appuyant sur des
raisons naturelles; et. parce qu'elles s'opposent ainsi
à cet autre de mes préjugés, elles me déplaisent
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55
THOMAS HODGSKIN
beaucoup. Vous ayant donc montré sur quoi se tonde
mon préjugé contre elles, je vais essayer de le
josUlier par des raisonnements et des laits.
Je ne nie pas» en premier iieu, qu'il puisse y
avoir, entre des sols différents» une différence qui
rende le produit de quelques-uns plus grand que
celui des antres, — que la nécessité d'avoir recours
à ces terrains de qualité j^iie ait accru la rente
dans les temps modernes, — et que les doctrines de
Mr. Ricardo expliquent d une façon très heureuse
le grand accroissement de la Rente dans ce dernier
demi-siècle. Mais je nie que la Rente ait eu son
origine dans cette diff(^nce des terrains et que la
Renie qui se paie aujourd'hui ne soit rien que la
différence entre le produit de quantités égales de
capital employées sur des terrains de pouvoirs pro-
ductifs différents. Car Adam Smith a dit, et a dit
avec vérité, que les hommes paient une rente pour
des étangs poissonneux, pour des rivières^ pour la
récolte du varech et pour des landes nues. Ou
encore, ce qui revient au même, ils pdient quelques
monopoleurs pour obtenir la permission de pécher
dans des rivières, de récolter le varech sur la plage,
ou de cultiver ce qui est, sans travail, un désert nu»
Incontestablement, une Rente plus grande se paie
pour un bon terrain que pour un mauvais terrain,
mais ce que, maintenant, on appelle Rente est plus
grand que la différence entre le produit des bons et
des mauvais terrains d'une somme largement égale,
peut-être, à cette moitié du produit que les anciens
propriétaires fonciers de rKurope arrachaient à
leurs esclaves.
J'avais déjà eu l'attention attirée, avant votre
communication, par ce qu'on rapporte des sables du
CHAPITRE PREMIER
Norfolk, rendus fertiles par le travail et qui maintenant
paient une rente, et sur ce fait, joint à plusieurs
autres du même genre, — la totalité de la Hollande,
par exemple, et toute la plaine de Lombardie, ont été
reuiiues, coiume le Norl'olk, Icrliles par le travail,
— on peut fonder les objections les plus fortes
contre toute la théorie de Mr. Ricardo sur la Rente
et sur la chute des profits naturels avec le pro-
grès de la société. Gela ])ronve clairement, comme
vous dites, que quelques terres qui paient une rente
n'ont pas de poiwoirs originels et indestructibles^ mais
je suis disposé à étendre cette observation à toute
terre f à aûirmer que c*est le travail humain qui rend
un sol quelconque productif, et cpie c'est en consé-
quence du fait que les propriétaires fonciers ont
originellement monopolisé le travail de leurs esclaves
qu'une rente se paie aujourd hui en Europe. Nous
savons que les pouvoirs du sol dans l'Amérique du
Nord et en Nouvelle- lioUande étaient pratiquement
nuls avant d'avoir été appelés à Texistence par le
travail et l'ingéniosité des Européens. Ils n'épar-
gnaient pas, au petit nombre de sauvages, errants
sur d'immenses espaces, les misères du besoin. Indé-
pendamment du travail humain, il n'y a pas de pou-
voirs originels indestructibles du sol. Une ingéniosité
semblable à celle qm rendit productifs les sables du
Norfolk a rendu productifs les marais de Hollande
et le sable de Lombardie. Et la même ingéniosité
pourrait en ce moment, si la chose était faisable
sans demander la permission des rois et des pro-
priétaires qui monopolisent le sol de T Allemagne,
rendre tous les sables et tous les marécages de la
Moravie, de la Prusse et du Hanovre, probablement
tout aussi productifs que les anciens sables mouvants
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58
TttOMAS H0D08KIN
du Norfolk. Les sols que Ton appelle aujourd'hui
détestables entre tous peuvent, par quelques amélio-
rations ou altérations dans le mode de culture» être
rendus anssi productifs que ceux qu'on appelle
aujourd'hui les meiUeurs. Par exemple Fintroduction
des moutons a fait payer aux hautes terres d'Écosse
des rentes beaucoup plus hautes qu'auparavant. Mais
personne n'a pu employer une partie du territoire
auparavant désert de lord Breadalbane à cette (in,
sans lui payer une rente. Et il a pris garde d'augmenter
cette rente toutes les fois que le fermier a tiré de la
terre un parti suffisant pour tenter une autre personne
de suggérer à My Lord qu'il pourrait tirer de son
sable une rente plus haute. Ces améliorations nous
montrent que la Rente , quoiqu'elle puisse être
augmentée par quelques diversités de sol, n'a pas été
originellement et n'est pas à présent entièrement
payée pour quelques pouvoirs indestructibles du sol.
Vous ne dites pas si» oui ou non, vous admettez
le fait que la plus grande partie de PBurope a été
cultivée par des esclaves. C'est ce qui me semble cons-
tituer, dans notre enquête, un fait d'importance fon-
damentale. J'ai donc consulté r^/^g-Ze^erre de Uume,
le Charles-Quint de Robertson, V Historical View de
WàarJb^Shetche^ of Mon de Kames, Adam Smith^etc.
etc., et tous s'accordent à dire que presque toute
l'Europe a été autrefois cultivée par des hommes liges.
Je tiens donc pour un fait établi que toute la société
européenne a été divisée autrefois en maîtres ou pro-
priétaires fonciers et esclaves. Depuis cette période
primitive, une autre classe a surgi, d'hommes qui, pos-
sédant un capital et de l'ingéniosité, ne possèdent pas
toute l'autorité des lords et ne sont pas aussi abjects
que les esclaves. Cette classe a tiré son origine moins
CHAPITRE PREMIER 69
des lois que du progrès naturel de la société, et, avec
le temps, n'étaient les règlements du gouvernement»
let» lois de primogéniture, etc., etc.» elle absorberait
entièrement les deux autres classes, et nous aurions
dans le monde une démocratie d'êtres humains éclai-
rés et bi(jQ pourvus. Laissons de côté cette classe
nombreuse et dont le nombre s'accroît, nous trou-
vons encore dans la société les descendants des
propriétaires fonciers et les descendants des esclaves.
Les premiers sont Taristocratie foncière, les seconds
sont les trœmlleurs et les omriers numuela de la
société. Nous savons que l'aristocratie a toujours
tenu dans ses mains le pouvoir politique du pays et
que les Statutes for labourers et autres lois ont tou-
jours maintenu le salaire du travail presque au
niveau 4u minimum de subsistance. Hall, d'une façon
topique, demande, dans ses Voyages au Canada et en
Amérique, si ce serait améliorer la condition d'un
esclave de l'aHrauchir, tout en l'obligeant à se con-
tenter, sous le nom d'homme libre, tant que le mono-
pole du sol resterait aux maîtres, de la piu» petite
mcbure de subsistance. £t, dans une autre partie de
son travail, il répond à cette question en disant que,
là où la plus grande partie de la collectivité est dans
un état d'esclavage, ce qui est donné aux esclaves
deviendra, si on les l'ait libres, la mesure du salaire
de leur travail d hommes libres. Je tiens cette remar-
que pour vraie, et que le salaire du travail, dans la
société européimne d'aujourd'hui, doit être considérée
comme la récompense donnée par les maîtres aux
esclaves. Voilà trois faits très importants, liés les uns
avec les autres, et relalii's à la somme aciuelleiiiciit
payée sous le nom de rente : 1" le sol de TEurope a
été autrefois cultivé par des esclaves, une grande
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6o
THOMAS HODG8KIN
partie du produit de leur travail allant à ceux qui les
employaient, aux propriétaires fonciers; 2^ ces classes
dlioniines se sont toujours rencontrées dans la société
earopéenneyCt 3» le salaire du travail est à présent et
a toujours été en Europe déterminé par la rémunéra*
tion antérieurement donnée aux esclaves. C'est un
fait incontesté que la terre et, avec elle, tous les
moyens de subsistance, ont été occupés et monopolisés
par un petit nombre d'individus dans tous les États
d'Ëurope. £t leurs descendants ou les personnes qui
ont acheté leurs droits continuent, encore aujour-
d'hui, à monopoliser la terre. — Us ont obligé les
habitants de leurs districts à leur livrer une certaine
portion de blé, qui, avec le temps, a fini par être
commuée en argent et constitue à présent la sonmie
qui se paie conmie rente. Que les rentes en argent ne
soient qu'une commutation de services personnels,
c'est ce que je tiens pour certain. Supposez qu'un
homme lige, par une excessive parcimonie, ou bien
eu llaltant les vices de son seigneur, reçoive de lui
une portion de terre qu'il monopolise, il recevrait en
vérité une partie du pouvoir de son seigneur sur le
travail du reste des esclaves qui y demeuraient, sur
l'espace qu'il avait reçu, ou bien son seigneur lui
donnerait au moins sa liberté et le produit de son
travail. Supposez qu'un homme, par le commerce, en
voyageant, ou de toute autre manière, acquière un
capital considérable et, à son retour dans son pays
natal, se trouve en état d'acheter à un de ceux
qui monopolisent le sol une partie de son domaine^
ne lui achèterait-il pas le pouvoir que ce monopole
confère sur le travail de l'homme-lige qui habitait le
domaine? Et si lui, n'ayant pas la conscience d'une
naisaance noble^ ne pouvait posséder tout le pouvoir
1
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GBAPITRB PRBMIBR 6l
qae ce fait donnait à son prédécesseur et déliait les
hommes liges de l'obligation du service personnel, ne
seraient-ils pas encore, tout le reste de la terre étant
monopolisé, obligés de travailler pour lui à ses
conditions ou de mourir de fidoi ? Ki si, par la suite,
il louait une grande partie de sa terre, la somme à
lui payée sous le nom de rente ne serait-elle pas en
réalité le prix d'une part de son privilège d'extorquer
une portion du travail des hommes-liges ? Supposez
qu'un fermier écossais — la chose, en vérité, est
arrivée — loue une certaine quantité de terre à un
noble polonais ou russe, quelle que fût son ingénio-
sité, il n'en pourrait, avec son propre travail, cultiver
qu'une petite portion. Mais, en s'aidant du travail
des paysans que le seigneur lui accorderait au taux
de (j d. par jour et par léte, il pourrait cultiver toute
une contrée, et la rente qu'il berait alors en état de
payer serait bien plus en proportion du nombre
d'hommes qu'il emploierait, comparé à leur produit
absolu, que de l'étendue de la surface à laquelle
s appliquerait son travail. Lt, soit en lui louant, soit
en lui vendant ce ternloire, le noble ne lerait en
vérité que lui vendre ou lui louer non pas le pouvoir
originel et indestrmtibie du sol, mais son pouvoir
sur le travail des esclaves qui rhabitaient. L'origine
de la rente qui se paie actuellement est la suivante.
Un petit nombre d'hommes lirent la conquête d'auLrus
hommes et monopolisèrent tout le sol du pays.
D'abord 'û& employèrent et nourrirent leurs esclaves,
et s'approprièrent le produit de leur travail. Puis ils
vendirent ou échangèrent ce pouvoir sur leurs
esclaves à d'autres personnes, qui remirent aux
esclaves l obligalion du service personnel, mais les
contraigoirent encore à travailler aux conditions des
s.
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63
THOMAS HODG8K1N
propriétaires fonciers. C'est pour la portion de ce
pouvoir sur une terre déjà appropriée que la rente se
paie en Europe. Ou ne saurait ailirmer positivement,
mais je sois disposé à croire qu'aucune espèce de
rente n'eût jamais existé s'il n'y avait jamais eu
d*e8clai^8. On ne peut tirer argument, contre celte
hypothèse, de l'état de TAraérique du Nord, parce
qu'un grand nombre de travailleurs de ce pays sont
les descendants des esclaves d'Europe et sont presque
aussi dépendants de ceux qui déjà possèdent le sol
et le capital que s'ils vivaient en Europe. L'Améri-
que, en fait» souffre» comme l'Europe, du vice de
l'état primitif de la société dans ce dernier pays,
aussi bien qu'elle bénéficie de ce que contenaient de
bon ses connaissances et ses institutions.
Si la description que nous donne Mr. Ricardo de
l'origine de la rente est vraie, si jamais elle ne
dépasse la différence entre le produit des bonnes et
des mauvaises terres, alors la rente ne peut jamais
relever le prix. Il a surmonté toutes les difficultés de
cette partie du sujet par sa définition, peu libérale,
je crois, du prix du travail. Adam Sinitli était beau-
coup plus juste. Mr. Ricardo a trouvé le travail rému-
néré dans notre société comme si le travailleur était
un esclave, et a admis que telle était sa condition
naturelle. Si l'origine que j'ai assignée à la rente est
exacte, la rente relève le prix de toutes choses et
entrave le progrès que nous pourrions effectuer en
faisant passer la charrue sur des déserts, et sur
d'autres terres à présent incultes, non seulement en
raison de la somme qu'il faut payer aux propriétaires
fonciers pour avoir la permission de mettre ces
espaces déserts en culture, mais encore paixe qu'elle
relève^ pour la personne qui pourrait les cultiver.
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CHÀPITRB PRRMIBa
63
le prix de tout ce qu'il consomme, tandis que leur
produit est envoie de se préi)ar(T à la consommation.
Mr. Hicardo a cousidérabiement embrouillé celle
partie de son sujet en supposant que les acheteurs,
ou la société qui paie les prix» diffèrent des trois
grandes classes, propriétaires fonciers, capitalistes
et travailleurs, entre lesquelles il divise le produit dn
sol. Toutes les considérations politiques et économi-
ques nous obligent cependant à considérer la collec-
tivité tout entière comme composée de ces trois
classes, et, quoique Adam SnùXh ne soit pas resté
uniformément fidèle à cette division, cependant tout
ce qn*il dit de l'action de la rente et des profits sur la
hausse des prix implique évidemment qu'il suppose
la société composée de ces trois classes. En l'ail, lui
etMr.Ricardo £onipa.yeriGprixréel naturel de toutes
choses par le travail, et, par suite, il est évident que
tout ce qui diminue la wdeur du travail, tout ce qui
en rend une plus grande quantité nécessaire pour
obtenir une égale quantité d'un objet quelconque en
relève le prix. Tout prix se paie en travail. Or, la
rente est une partie du produit du travail ; et, bien
entendu, si le travailleur désire obtenir pour son
usage personnel une quantité du produit égale à la
quantité obtenue, qu'il a partagée avec le seigneur,
il faut qu'il double, triple, il faut, actuellement, qu'il
multiplie bien des fois son travail pour l'obtenir.
Doue la rente relève le prix, de tout le montant delà
rente. Le profit, étant pareillement une diminution,
pour le travailleur, de la valeur de son produit, relève,
pour le travailleur, le prix de toutes les choses dans
lesquelles il entre. C'est en ce sens qu'Adam Smith
dit de la rente et du profit qu'ils relèvent le prix, et,
si Ton considère que le produit total est réparti entre
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64
THOMAS UODGSKIM
ces deux élémentSy plus le salaire, ou encore entre
les trois classes ci-dessus mentionnées» jamais vérité
ne îai pins évidente. Il est parfaitement clair que
la rente et le profit ne peuvent relever la quantité de
travail nécessaire pour obtenir un produit de la natui'e,
mais ils en relèvent le prix, pour le travailleur, de
tout leur montant. C'est pourquoi, dans la mesure
où la rente et le profit croissent, la rémunération da
travail décroît graduellement , ou encore le prix
auquel le travailleur doit acheter les produits décroît
graduellement. De sorte que, partout où il y a des
rentes élevées, et de grands capitaux sur lesquels de
grands profits sont payés, le travailleur n'aura jamais
plus delà quantité strictement nécessaire à la conser-
vation de son existence. £t j'ai peur, mon bon ami, que
nous devions vainement compter sur une am^oration
permanente de la condition politique de la société
tant que la partie industrieuse de cette société, ceux
qui paient tous les prix naturels, ceux qui achètent
tout à la nature avec leur peine, sont condanmés à
une pauvreté et à une dégradation sans espoir, et.
tant que le prix de toutes choses est, pour eux, si
énormément haut qu'ils ne s'en peuvent procurer
que la plus infime portion. La rente et le profit
n'entrent pas dans le prix si la théorie de Mr. Ricardo
sur l'origine de la rente est vraie et si l'on suppose
que les acheteurs sont autres que les travailleurs, s'ils
sont» par exemple, les capitalistes ouïes propriétaires
fonciers. Mais ils entrent dans le prix et en constituent
la plus grande partie, si Torigine que j'ai assignée à
la rente est exacte, et si les acheteurs doivent être
considérés comme des travailleurs, et non connue des
capitalistes ou des propriétaires fonciers. Je tiens
que ces deux manières de considérer les acheteurs»
CHAPITRE PREMI^
65
soit comme dislincta de cette classe, soit comme des
travailleiirs, sont le fondement de la différence qui
existe entre les opinions d'Adam Smith et de
Mr. Ricardo sur la question de savoir si la rente tt
les profits n'entrent pas dans le prix. Une autre
source de cette diffcrence semble consister dans
•
labsence d'une distinction précise enXrele prix naturel
et le valeur échangeable. Le prix naturel est mesuré
par la quantité de travail nécessaire pour produire
un objet. Sa valeur échangeable, ce qu'un autre
est disposé ou obligé à donner, pour cet objet une
fois produit, peut être ou n'être pas égal à la quantité
de travail employée à sa production. Mr. Ricardo
a commis, Je crois, une erreur en supposant ces
deux choses égales. Elles ne le sont pas, ou bien le
salaire du travail serait toujours égal au produit
du travail. 11 faut, par exemple, une certaine por-
tion de travail pour produire un qaarter de blé.
Ce quarter de blé, cependant, quand il est produit et
possédé par un homme qui est en même temps pro-
priétaire fonder et fermier, s'échange à présent contre
une quantité prodigieusement plus grande qu'il n'en
coûte de le produire. 11 y a donc une grande difterence
entre le prix naturel réel et la valeur échangeable, et
c'est en ne faisant pas attention à cela qucMr.Ricardo
a été, je crois, entraîné à de graves erreurs rela-
tives àla décroissance du profit dans un état progressif
de la société.
J'ai déjà dit plus haut quelle était son opinion à
ce sujet ; et vous verrez à quel point elle est dénuée
de fondement si vous réiléchissez un instant au prix
naturel réel du produit brut actuellement et à son
prix nalurel réel il y a un ou deux siècles, c*est à-dire
à la quantité de travail aujourd'hui et autrefois néces-
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66
THOMAS HODOBKUf
saire pour obtenir de la nature un produit. Par
des perfectionnements apportés à l'agriculture et aux
machines, on ne saurait (ioiiler que moins de travail
est requis [)our protluire des quanlilûs égaies de blé
en Angleterre ou dans» un pays quelconque, mainte-
nant soumis à la culture, qu'il n'en fallait il y a deux
ou trois siècles* Ce n'est pas seulement dans la
mesure où les machines et Tingéniosité ont été direc-
tement appliquées à Tagriculture que le coût de pro-
duction a été diminué, mais dans la mesure où ses
applications ont, de mille mauières dillcrenlcs, dimi-
nué le coût de production de tous ces instruments et
de tous ces produits qui, ou bien aident la production,
ou bien sont consommé par le travailleur pendant
qu'il est employé à l'œuvre de production. C'est ainsi
que les améliorations qui permettent aux hommes de
fabriquer les charrues, les bas, les vêlements à meil-
leur marché, ou d'amener les denrées alimentaires à
meilleur marché d'un pays étranger, permettent aux
hommes engagés dans le travail de production de
produire à moins de frais, parce que ce qn^ils con-
somment, pendant qu'ils produisent, coûte moins.
Que tel est le vrai état de choses, c'est ce (juc prouve
le fait que les travailleurs produclifs entretiennent à
présent une armée de travailleurs improductifs de
toute espèce, alors que, dans les périodes primitives
de la société, chaque homme était obligé de travailler
pour avoir de quoi vivre. En d'autres termes, une
quantité de capital aujourd'hui employée à l'œuvre
de production est restituée après avoir subi une
multiplication beaucoup plus forte qu'une quantité
égale de capital il y a plusieurs siècles ; ou encore, là
oû le travail d*un sauvage produit à peine assez pour
sa subsistance, le travail d'un paysan européen
CHAPITRB PRBMIBR
intelligent entretient an moins douze personnes. Le
profit naturel du eapital ne peut signilier que la
vaiear qui résulte de l'emploi du capital daDsTœuvre
de production. £t, s'il est vrai qa'une valeur plus
grande résulte du capital actuellement employé dans
l'œuvre de production, ou encore que ce capital
restitue une valeur plus grande qu'une quantité
égaie de capital employée à la même œuvre il y a
trois siècles, c'est donc que le profit naturel du
capital a augmenté, et nous pouvons espérer qu'il
continuera à augmenter. Je tiens pour un fait clair
que le produit brut s'obtient maintenant dans notre
pays à un prix naturel moindre, ou avec une dépense
moindre de travail humain, qu'il ne s'obtient en
Pologne ou qu'il ne s obtenait dans noire pays il y a
quelques siècles ; sans quoi, où est ravantagc de ce
que nous appelons des améliorations? Mais sa
valeur échangeable, augmentée, comme je suis prêt
à le prouver, de tout le montant de la rente et des
protits, est, cependant, plus grande en Grande-
Bretagne qu'en Pologne. Mr.Hicardo me semble avoir
confondu, dans toutes ses spéculations, le prix
naturel réel et la valeur échangeable. Le premier est
exactement mesuré par la quantité de travail néces-
saire pour obtenir delà nature un produit; le second,
au contraire, c'est la quantité de travail augmentée
du montant de la rente et des prolits. Le prix naturel
réel d'un quarter de blé, c'est tout le travail, aussi
bien celui de Thomme qui fabrique la charrue, ou la
charrette, ou cultive le sol, que tout autre travail
nécessaire à la production. Sa valeur échangeable,
cependant, doit être assez grande pour payer les
proiits de tous les capitalistes et toute la reiile
sur Tun quelconque des objets employés, d'une
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68
THOMAS HOOGSfUN
manière oa d'une autre, à la production. Si nous
regardons le travail comme la mesure du prix naturel,
nous voyons du coup dans quclks proportions
l ingéniosilé augnienlanle et conlinueiieincnt augmen-
tante de rhuiuanilé a diminué et diminue coutinuei-
lement — en opposition directe à la tliéorie de
Mr. Ricardo — le prix naturel de tous les objets. Le
capital ne peut être considéré comme consistant en
autre chose qu'en machines, aliments, etc., et,
dans la mesure où le capital employé ou consommé
pai' un homme ingénieux ou industrieux produit plus
que le capital consommé ou employé par un ignorant
ou un paresseux» le capital de Thabitant ingénieux
et industrieux de l'Europe moderne doit lui revenir
avec un accroissement plus grand que le capital de
barbares ignorants et pai esseux. C'est pourquoi les
prolits naturels du capital croissent constamment
avec ringéniosité de notre espèce. Le travail et
rtngéniosité de Thomme» beaucoup plus que les ^
pouvoirs du sol» sont ce qui produit la nourriture ;
or, l'ingéniosité, certainement, et, je suis disposé aussi
à le croire, l'industrie, augmentent avec le nombre
croissant des hommes. Donc, à moins que l'on ne
puisse iixer quelques limites à l'accroissement de
nos connaissances et de notre ingéniosité, il est
impossible de lindter les profits naturels du capital
sur la production de la nourriture.
J'ai conscience que les doctrines de Mr. Ricardo
supposent qu'il n'existe pas de restrictions, mais il
suppose que les rentes actuellement perçues, si ce
n'est dans la mesure où elles sont accrues par nos
restrictions à l'importation du blé, sont les rentes
naturelles et justes. Bien entendu, la prohibition
augmente les rentes, mais la soomie à laquelle elles
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CHAPITRB PREMIER 69
tomberaient s*il n*y avait ni prohibition, ni monopole
d'ancnne espèce, serait encore assurément bien supé-
rieure à la simple difTércnce qui existe entre le proiluil
«les pires et des meilleurs sols en eullure. Il a coiiveiiu
à Mr. Kicardu d'établir que le prix naturel du travail
est ce qui évite au travailleur de mourir de faim (v*
diap. V) ; que les profits du capital sont presque égaux
dans tous les emplois, — ce qui est vrai — ; après
quoi, il considère la rente comme la somme qui de-
meure, une fois ks salaires du travailleur esclave et le
proiit du capitaliste payés. C'est là la rente moderne,
mais elle est un peu supérieure à la difiTérence du
produit des terres bonnes et mauvaises. Je ne crois
pas avoir jamais vu un livre plus vide de faits que
celui de Mr. Ricardo, et qui, en même temps, ait exercé
autant d action. Il me semble, à moi,qu il repose tout
entier sur des délinitions arbitraires et des postulats
étranges. Les deux premières phrases du livre (i)
sont radicalement fausses. Les circonstances qui y
sont décrites ont indubitablement une merveilleuse
influence sur la quantité totale du produit, mais la
manière dont le produit est distribué dépendra entiè-
rement et exclusivement des règlements politiques,
il n'y a pas de circonstances de sol, de capital, ni
d'ingéniosité, qui feront que la distribution de la
ric)iesse soit la même dans ceux des États-Unis
d'Amérique où resdavage est inconnu, et dans notre
empire de l'Inde. Sa déiinilion de la valeur est fausse.
Le travail est la mesure du prix, et, quoique la valeur
(I) Les deux premières phrases de la préface, visi-
blement, od il est traité de la distribution nécessaire
entre les trois dusses : propriétaires fonders, capita-
listes, travailleurs.
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THOMAS HOD08RIII
échangeable ne puisse jamais être moins qu'égala
au paiement du travailleur, elle peut être, et elle est
supérieure à celle-ci à presque tous les degrés conceva
bles. Selon sa propre définition, les powi^oirs i/ic/es^rucii-
bles du sol, qui ne sont pas du travail» ont une valeur
échangeable très considérable. Son explication de ia
manière dont le capital fixe tend à abaisser le prix de
tons les objets où il entre, est ce que je tiens pour
la meilleure et seule bonne partie de son livre (i).
11 ne peut nier que l'impôt relève le prixy et cepen-
dant, selon sa définition, il ne le doit pas, car, pas plus
que la rente ou la dlme, il n'augmente la quantité de
travail nécessaire pour amener le produit brut au
marché. Je puis avoir eu, en lisant son livre, des
préjugés contre lui. Je crois en avoir eu. Mais j'ai
beau tenir tout le compte qu'on voudra de mes pré-
jugés, le livre me paraît toujours n'être fondé sur
aucune espèce de faits, en contredire beaucoup et
n'avoir pas beaucoup d'autre mérite que celui d'une
déconcertante subtilité.
Vous n'êtes pas d'accord avec Mr. Ricardo sur la
valeur, mais je n'entends pas exactement ce que
vous entendez par l'usage du capital (2). J'aimerais
être éclairé là-dessus. Les profits n'accroissent pas
le travail nécessaire pour amener un objet au mar-
ché, mais ils en relèvent le prix pour le travailleur
et la valeur échangeable pour toute personne qui
n'est pas un capitaliste. Et l'on ne saurait douter que
la quantité de capital existant dans la société et
la manière dont il est distribué auront une influence
(i) Principlea^ chap. I, scet. IV.
(a) Allusion à une lettre de Place, que nous ne possé-
dons pas.
I
CHAPITRB PRBMIBR Jl
décisive sur la valeur échangeable. Je crois avec
vous qu'il pourrait se produire des circonstances où
on homme tirerait plus d'une bonne terre qu'un
aatre d*ane mauvaise terre et bénéiicierait ainsi d'une
reritey mais, quoique un tel état de clioses puisse
avoir créé une race de propriétaires fonciers, Je
prétends que ceux qui existent actuellement sont les
héritiers d'un pouvoir exercé sur des esclaves et
non les simples possesseurs d'un espace de terre
plus fertile. £n consultant i'A/nertV/ue de Kobertson,
J*y vois qu*une portion du produit des mines était
réservée au roi : voilà la rente. Toutes les mines
d'Europe et tous les métaux précieux furent, à Tori-
gine, revendiqués par les souverains, et nul ne pou-
vait les exploiter, ni ramasser de l'or, sans les payer.
Une rente est donc payée sur tous les métaux pré-
cieux. Si vous supposez que l'on découvre quelques
mines plus productives ou quelque meilleur procédé
d'exploitation d'une mine particulière, alors une
seconde rente peut apparaître au bédéfice du pro-
priétaire ou de l'exploitant. Les métaux tirés des
mines continueront à payer la rente au roi, mais
celui qui possède la mine la plus riche ou qui a
découvert la méthode la plus aisée d'obtenir le
métal — en supposant toujours la quantité totale
seulement égale à la demande — aura aussi une
rente, ou bien une somme restera dans sa possession,
plus grande que celle qui est en la possession des
exploitants des autres mines. Tel est précisément le
cas pour les terres à blé et» plus simplement, pour
tous les produits. Une rente, acquittée en blé ou en
espèces, fut payée par le travailleur au seigneur
pour toute la terre qui était susceptible d^ètre
cultivée. Mais les avantages de situation, la fertilité
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THOMAS HODGSKIN
de la terre, de nouvelles inventions agricoles ajou-
tèrent une seconde^ une troisième, et même une
quatrième rente aux exigences primitives du sei-
gneur. Cette nouvelle rente peut être juste et avoir
eu sa source dans la nature môme du sol ; mais la
première, qui est probablemcul la plus forte, est
injuste et est probablement le résultat de Tesclavage.
G*est ainsi que, malgré losteutation avec
laquelle les disciples de Bentham se donnent
pour des logiciens exacts , Hodgskin , le pre-
mier, découvre rincohérence réelle de leur doc-
trine. Tantôt, ils tiennent que lliarmonie des
intérêts se réalise par Topératioii des lois de la
nature; tantôt, ils voient, dans la réalisation de
cette harmoaie, la tâche de la loi positive. Dans
Téconomie poUtique des utilitaires, Uodgskiu
retrouve, entre l'optimisme d'Adam Smith et le
pessimisme de Ricardo^ la même contradic-
tion : Ténergie même avec laquelle il croit, en
économie politique , avec Adam Smith , à
rexisteuce de lois naturelles, bienfaisantes et
harmoniques, est le mobile qui le détermine à
critiquer les prétendues lois naturelles de liicardo,
du moment où il a vu en elles des causes de
misère et de désharmonie. Pour Tinstant, il fait
porter le principal eûbrt de sa ci*itique sur le
rôle assigné par Ricardo à la terre dans la pi*o-
duction de la richesse, sur la place accordée par
lui à la rente foncière dans la distribution des
kjiu^ jcl by Google
CHAPITRE PREMIER ^3
richesses. Sur le capital et le profit, il est moins
net. Il semble croire à l'existence d'un (( profit
naturel » ; il semble conclure, de l'accroissement
de production du trayail» à l'accroissement de
productivité du capital. Déjà, cependant, il con-
sidère indistinctement la rente et le profit comme
deux effets d'une même cause historique, de ce
qu'on pourrait appeler, eu termes marxistes, la
séparation du travailleur et des instruments de
travail. Déjà, dans son « Voyage en Allemagne »,
il paraissait confondre, sous la dénomination de
profit, les bénéfices du capitaliste et du proprié-
taire foncier. Déjà, dans les lettres qu'il adressait
d* Amsterdam à Francis Place, il avait commencé
d'appliquer aux notions ricardiennes de capital et
. de profit les mêmes procédés d'analyse qu'il appli-
que, en i8ao, à la notion de rente différentielle.
En attendant, la vie lui devient dip*e et le
travail difiicile. Son livre ne lui rapporte pas un
penrvy ; les Revues ne veulent pas de ses articles ;
sa femme et lui ne trouvent plus d'élèves. Il songe
à traduire des livres étrangers^ la Géographie de
Malte-Brun, une Histoire de Prusse, une Histoire
de la Hanse : mais il faudrait un éditeur. 11 songe
à une place de bibliothécaire, mais il faudrait
savoir le grec, Enfin, sa femme tombe malade (i),
(I) Hodgftkiu à Place, 4Janv. iSaa. BrU. Afiw., 33.iâ3,
f . ao3.
H. - 3.
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TUOMAft UODGSIUM
et, pendant qu elle va se remettre à Deptford,
chez le père de Uodgskin^ il reste seul à Edim-
bourg, de plus en plus sombre et découragé.
Voilà longtemps que, de Londres, Place lui
prodigue les exhortations et les conseils, lui
reproche trop de discrétion et de timidité. « Je
sais un peu d'allemand. . . » lui écrit Hodgskin.
l'ourquoi, réplique Place, vous déprécier ainsi ?
Vous savez beaucoup d'allemand : tirez parti de
vos connaissances. « Je mène une vie d'ermite... »
écrit Hodgskin. £t c'est, réplique Place, ce qu'il
ne faudrait pas : « Si j'étais votre maître, je vous
ferais mener une vie de chien pour vous punir...
Ëh 1 mon garçon, si j'avais vécu en ermite, je
continuerais à coudre des culottes pour ouvriers,
en mourant de faim dans un galetas, ou une cave»
ou un workhouse. Mêlez- vous au monde tant que
vous pourrez et apprenez-y chaque jour quelque
chose » (i). Mais Hodgskin persiste à s'isoler
dans le mépris universel de tous, des whigs
comme des tories, des journalistes comme des
parlementaires. C'est cependant le journalisme
qui va lui loui'nir, à la ûn, un moyen d existence.
Place lui suggère de venir à Londres essayer —
sans doute au Morning Chronicle, dont le direc*
tem^ Black est Tami de James Mill — du métier
de reporter parlementaire. Hodgskin va s^exercer»
(1) 8 sept. Brit. Mus. add. mss. 33.i53, f. 73.
Digitized by
GBAPITRB PRBMIfiR ^5
en conséquence, à écouter, pour les rédiger ensuite
sur ses notes, des sermons, des cours universi-
taires (i). Il réussit, à son gré, assez mal, et se
décourage encore ; d'ailleurs, il ne sait pas le
latin : que deyiendra-t-il quand les orateurs feront
des citations classiques ? Ses lettres à Place
doTiennenty de jour en jour, plus désespérées et
plus anxieuses. Il ne veut pas, il ne peut pas rester
à Édimbourg; il craint, si on l'y laisse, de perdre
« tout courage, toute faculté de faire effort (a)
Mrs. Hodgskin écrit à Place, de Deptford, des
lettres également inquiètes ; elle ^ peur pour le
moral de son mari; elle ne peut endurer la vie qui
lui est faite chez son beau-père (3). Enfin, par
l'entremise de James Mill, Hodgskin obtient, au
Morning Ghronicle, la place désirée. A la fin
de 1812a ou au début de i82i3, il arrive à Londres ;
il est tiré de la misère.
(1) 128 mars 1822; Brit. Mus. add. mss. 33.i53, f. 204.
(2) i5 avril i8aa; Brit. Mus. add. mss, 33.i53, f. ^07.
(3J a et 19 mai; ibid,, il. 1109, aïo, an.
<•
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CHAPITRE U
(iSaS-iSSa)
Le Meghanics' Magazine. — Le Meghanics*
Insïitute. — Labour defendkd againsï tiik
GLAIM8 OF Capital (i8a5). — Popular Poli-
TIGAL EcOxNOMY (lS'2'j). TilE NaïLRAL AND
Artifigial Right OF Property gontrastsd
(183a).
Uiyitizea by ^OOglc
En i894t 1® Parlement, par nne loi mémorable,
accorde aux ouvriers anglais la liberté de coali-
tion. Mais Hodgskin, qui assiste, en qualité de
reporter^ à tous les débats des Communes, sait
ce qu il faut penser du libéralisme parlementaire,
en ces temps de réformes répétées (i) : le Parle-
ment, chaque fois qu'il semble octroyer au peuple
anglais une liberté de plus, ne fait que déguiser,
sous un cérémonial pompeux, la nécessité où il se
trouve de céder à la pression irrésistible de
Topinion publique. Dans la discussion de la loi
de 1824, ce sont les disciples de Bentham et de
Ricardo qui assument la mission de traduire, sous
une forme explicite, les aspirations, les exigences
de Topinion ; mais eux-mêmes sont poussés par
une masse ouvrière qui compte sur la nouvelle
loi, sur les associations dont elle permettra la
formation, pour éliminer les capitalistes et resti-
tuer aux travailleurs, pris individuellement ou
en corps, la jouissance de ce que leur travail a
produit. Hodgskin, dès i8a3, sans se laisser
absorber par son métier de journaliste, est au
(i) ?iat. and art, r. of Prop.^ p. iio.
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do
THOMAS HODGSK1N
nombre des plus actifs à éclairer, organiser,
endoctriner l'agitation ouvrière.
Dès les premiers mois de son séjour à Londres*
il s'associe à un nommé Robertson, lui aussi
récemment arrivé d^Édimbourg, homme de répu-
tation suspecte^ mais intelligent et actif, pour
fonder, à Tadresse des m ec/îfl/iic,^, des ouvriers de
la grande industrie, une Revue hebdomadaire de
vul^^arisation scientifique , la première en son
genre : il s'agit de fournir au lecteur, tous les
huit jours, <x des comptes-rendus de toutes les
nouvelles découvertes, inventions et améliora-
tions, avec illustrations ; — des explications
de procédés secrets ; des recettes économiques ;
des applications pratiques de la minéralogie et
de la chimie ; des projets et des indications pour
abréger le travail ; des rapports sm* Tétat des
arts industriels en Angleterre et dans les autres
pays; des biographies et, qiiel(]uefois, des por-
traits d'ouvriers fameux». C'est le moment où
le Parlement se prépare à abroger les règlements
d'ancien régime qui, dans l'industrie de la soie,
à Spitalôelds, fixent les salaires des ouvriers.
Hodgskin, favorable à l'abrogation , ouvre une
enquête à ce sujet dans le second numéro du
Mechanies* Magazine, Son secret désir est de
prouver aux tisserands mécontents de Spitalfields
que leur condition économique, dans cette indus-
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CUAPITUE DRUXlàMB
81
trie protégée , est plus mauvaise que dans les
industries non protégées; le ^a^a^me invite donc
ses amis à le renseigner sur le salaire moyen et la
durée moyenne du travail quotidien, dans les
diverses villes où ils habitent. Car il est évident
que Touvrier anglais travaille trop :
l:i raison pour laquelle il n'y a pas de travail
pour la moitié de nos concitoyens, c'est que l'autre
moitié travaille le double de ce qu'elle devrait. Les
marchés du monde sont encombrés des produits de
leur industrie. C'est une maxime chère aux écono-
mistes politiques, que les produits créent toujours
leur march<^ ; mais cette maxime se fonde sur l'hypo-
thèse que personne ne produit si ce n'est avec
l'intention de vendre ou de jouir : elle ne s'applique
donc pas à nos travailleurs, qui sont obligés de
produire, mais n*ont pas la permission de jouir.
Leur condition est une condition de servitude égyp-
tienne (i).
Dans un second article, il prémunit les ouvriers
qui demandent à la loi de les protéger, contre
l'illusion législative. Dans le cas des soieries de
Spitalfields, tout ce que les magistrats ont fait,
c*est de rendre légal le prix courant du travail,
prix singulièrement misérable : l'j shillings par
semaine pour laou i4 heures de travail quotidien.
D'ailleurs,
(i) Mechanics* Magazine, 6 sept. iSaS.
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8a
THOMAS HODGSKUr
les législatettrê ont toujours appartenu aux
classes non laborieuses de la société, et il semble
mauvais, en conséquence, pour le pauvre, de rece-
voir une loi de ce genre lorsqu'elle émane d'eux.
Les individos qui appartiennent à ces classes sont
déjà trop puissants pour lui, et nne loi qui est, et
sera tonjonrs, nons en avons la certitude, Vex pres-
sion de leur volonté collective, ne fait qu'ajouter à
leur pouvoir. Admettons même que rcfîet de la loi
puisse être d'empêcher la chute des salaires ; s*il
n'est pas dans l'intérêt du travailleur de travailler à
un taux inférieur, il doit être déjà tombé dans une
dégradation bien lamentable pour avoir besoin d'un
règlement, qui, sanctionné par des peines que lui
inflipre son maître, l'empêche de se taire du mal à
lui-même (i).
A la fin de .Tarticle , un troisième article
est annoncé, qui continuera la discussion du
problème. Mais Tarticle promis ne parait pas ,
car une nouvelle entreprise absorbe l'activité de
Robertson et de Hodgskin.
A Glasgow, des ouvriers se sont cotisés, et
ont fondé une institution régulière, où ils paient
des professeurs de science et de technique indus-
trielle. A Édimbourg, à Liverpool, des œuvres
analogues ont été constituées. Ce type d'établisse-
ment, qui a prospéré dans le Nord de la Grande-
Bretagne, ne serait-il pas possible de l'acclimater à
Londres ? Ne saurait-on ajouter, à renseignement
(I) Mechanies^ Magazine^ ^ octobre iSa3,
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CHAPITRE DBUXlàMB 83
par le journal , un enseignement oral par le
cours ? adjoindre au Mechanics' Magazine un
MeeharUcs' Instituts? Cest l'idée nouvelle de
Robertson et de Hodgskîn. Le ii octobre, dans'
le Magazine, Hodgskin se charge de l'appel au
pnblie. Il faut que les oavriers anglais fassent,
parleurs propres ressources, ce que l'État a déjà
fait en France, en Autriche, pour Tinstruction
technique des onyriers.
Il en est de l'éducation d'un peuple libre comme
de sa propriété : elle ne sera jamais bien adaptée à
sa fin, que si on la remet entre ses mains. Lorsque le
gouvernement intervient, il vise à rendre le peuple
obéissant et docile, plutôt que sage et heureux. Il
désire exercer un contrôle sur les pensées, et modeler
jusqu'à l'intelliprence des sujets ; lui confier le pouvoir
de faire ré<lucation du peuple, c'est le dernier terme
de cette pratique néfaste, si longtemps ruineuse pour
la société, qui permet à un seul individu, ou à un
petit nond>re, de diriger et de contrôler la conduite
de plusieurs millions d*hommes. Mieux vaudrait pour
les hommes être privés d'éducation — j'entends
d'éducation au sens étroit, cur la nature enseigne
par elle-même bien des vérités importantes — que de
recevoir leur éducation de leurs maîtres; Téducation,
ainsi entendue, n'est plus que rentralnement du
bétail que Ton rompt au joug, du chien de chasse
que Ton dresse, è force de sévérité, à oublier la
violence des impulsions de la nature et, au lieu de
dévorer sa proie, à l'apporter au pied du maître*
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84 THOMAS HOOGSKIN
Il faut que les ouvriers de Londres procèdent
comme les ouvriers de Glasgow, et fondent» à
leurs firais, Finstitution nouTelle, où ils appren*
dront tout ce qu'il est actuellement indispensable
à un ouvrier de connaître <c en chimie, en méca-
nique et dans la science de la production et de
la distribution des richesses ».
Le London Mechanies* Imiitaie se fonde;
mais, pour assurer le succès de Tentreprise, Hodg-
skin va s adresser à son ami et bienfaiteur Francis
Place, l'universel organisateur. Place explique
aussitôt à Hodgskin et Robertson rimpossibilité
de fonder une institution solide avec de simples
cotisations d'ouvriers ; il l'emporte sur leurs
résistances, obtient d'eux qu'ils consentent à lancer
une souscription, de concert avec tous les notables
du parti radical. Mais Hodgskin et Robertson ne
renoncent pas sans regret à leur idéal d*une insti-
tution purement populaire. Sans doute aussi, ils
comprennent que, pour chaque gros personnage
qui vient soutenir l'institution, leur influence
personnelle diminue d'autant. Une lutte opiniâtre
s'engage entre eux et Francis Place, à partir du
moment surtout où le docteur Birkbeck prête à
intérêts une grosse somme pour la fondation de
l'œuvre : l'entreprise ouvrière va-t-elle devenir,
pour un capitaliste, une source de revenus? Place
l'emporte. UdevaitTemporter, lui,rancien ouvrier
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CHAPITRE DBCXIÂMB
devenu patron, av^î son expérience de la vie, sa
connaissance des hommes» son goût de l'oi^ni-
sation méthodique et des comptes bien ordonnés,
sur Robertson et Hodgskin, des écrivains, des
journalistes, et les plus irréguliers des compta-
bles. Secrétaires provisoires du Mechanics' Ins-
titute^ ils ne sont pas élus, le i5 décembre i8a3,
membres de la Commission administrative ; un
secrétaire payé les remplace, et ï Instituiez dont
ils sont les véritables inventeurs, échappe à leur
contrôle (i),
U faut, cependant^ que la brouille de Hodgskin
avec les Benthamites n'ait pas été complète, si
vraiment, comme le veut une tradition de famille,
il accompagna Bentham, en qualité de secrétaire,
lors de son voyage triomphal à Paris, en septem-
bre i8a5. En tous cas, il ne rompt pas avec Je
Mechanies* Instiiute, dont il a besoin pour la
propagation de ses idées. Dès octobre iSti3, le but
qu'il se proposait, c'était d'y organiser, à l'adresse
de la classe populaire, renseignement de Téco-
nomie politique. £n i8â4* lorsqu'on discute sur
l'opportunité d'abroger les lois restrictives de la
liberté de coalition, il est choqué par la faiblesse
des arguments opposés par les ouvriers aux
fil Pour toute cette afTiiire, voir lo ms. inédit de Place,
Early history of the T.ondon Mechanics' Institution;
Brit. Mus. add. mss. 27.823, f, 240 sqq : et Méchantes*
Magmine^passim, en particulier m 199, 16 juin 1827.
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86
THOMAS HODGSKIN
aliments des capitalistes. Pendant cpie les
Ricardiens s'eiTorcent de démontrer que la liberté
de coalition ne déterminera ni la baisse des
profits, ni Témigration des capitaux, il ne se
trouve personne pour dire que rélimination des
profits et la transformation en salaires du produit
intégral de l'industrie n*impUqueraient ni la ruine
ni la diminution de l'industrie nationale. Piercy
Ravenstone, en i8ai, avait essayé, dans un curieux
opuscule, de mettre en évidence les illusions de
Téconomie politique capitaliste (i) : Hqdgskin,
(i) A few (fnnhts aft to the correctness of some opU
nions ^enprnUr entertaîned on the subjects of Popii-
Intion and PolUical Economj-, London» iSai, — Piercy
Ravenstone vent démontrer qne c tontes les fois que le
nombre d'hommes anirmente pins rapidement que les
moyens de subsistance, la faute n'est pas à la Provi-
dence, mais aux rèfiflements de la société » (n. 28). — Il
définit, comme Hodeskin, le droit de propriété: «celui
qui a tué Tours a visiblement droit à sa peau » (p. 197).
11 explique comme Hodgskin la déformation sociale
snbie par le droit naturel de propriété. A Vorisrine^ « la
terre était considérée comme appartenant à celui qui Je
premier, Tarnit rendue utile, dont l'industrie lui avait
pour la première fois donné une valeur... — Sa posses-
sion était considérée comme étant seulement la juste
récompense de son industrie. Cette espèce de pro-
priété est cependant très différente du droit artificiel.qui
se développe avecleprocrrès de la société, en vertu duquel
un homme est mis en état de s'approprier la possession
de terres qu'il n'occupe pas et sur lesquelles il n'a jamais
exercé d'industrie. Un droit qni lui permet de vivre dans
l'abondance, sans travail, et d'exiger des autres une
grande portion des fruits de leur industrie, contre la per-
mission, octroyée ])ar lui, d'employer leur travail à rendre
productives des terres sur lesquelles tous semblent avoir
un même droit de propriété. — Cette prétention du pro-
priétaire foncier est, en vérité, la base de toutes les for-
mes de propriété, qu'on voit sq multiplier si rapidement
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CBAPITRB DSUXIÉMB 87
pour fortifier la cause ouvrière, reprend la thèse
de Ravenstone, la complète et la corrige» dans une
avec le développement de la civilisation. Sur elles se
fondent les prétentions du maître-manufacturier, du com-
merçant, du capitaliste » (pp. 198 sqq.). Dès lors, le travail
cesse d'être libre; la rente et le proiit finissent par absor»
ber presque tont le produit du travail : « le fonds pour
l'entretien des oisifs est le surproduit fsurplua proancef
du travail des industrieux » (p. a33). Suit une critique
de la notion du capital, à laquelle Hodgskin a beaucoup
emprunté : a Ce n est pas une affaire très aisée de se
faire une idée de la nature du capital. Il est une sorte
d'être tout à fait diflérent de ses confédérés. La rente et
les impôts ont une existence ouverte et avouée. . . n n'en
est pns ainsi du capital. Il n'a qu'une existence méta-
physique. . . Ses trésors ne sont pas de la richesse réelle,
mais seulement les représentations de la richesse. Ils
Seuvent être accrus à un de^ré quelconque sans ajouter
la richesse réelle de la nation. Le capital est comme
l'éther subtil des anciens philosophes... 11 n'est pas
moins utile à nos économistes que 1 éther ne l'était aux
philosophes. Il sert à rendre compte de tout ce dont l'on
ne peut rendre compte autrement... Il est la déité de
leur idolfttrie, qu'ils ont dressée pour Tadorer dans les
hauts lieux du Seigneur » (p. 2^). — Suit une théorie
assez complexe du profit, prélevé par le marchand sur
le travailleur. « La rente et le profit, la propriété et le
capital, naissent également du surproduit (surplus pn -
duce) du travail du cultivateur. L'un ne peut recevoir un
accroissement contre nature sans devenir injurieux pour
les prétentions de Vautre. La seule différence entre eux
est que Tun participe directement, l'autre indirectement,
aux bénéfices du travailleur productif. » (p. 3ii). Le
capital n'est pas un facteur de la production, soit qu'on
rassimile au stock du marchand — qui n'a pas besoin de
marchand pour exister (p. 344) — ; ou aux machines —
qui sont produites par du travail, et n'ont une existence
écononiifîne que par une application de travail — ; ou
à raecumulation des profits — « ici, nous voyons imuié-
diatement c^ue le capital consiste dans un simple transfert
de propriété » (p. 3^6). — Ce qui est à craindre, ce n'est
pas l'émigration des capitaux, c'est l'émij^ration des
travailleurs pauvres. — Dans un dernier chapitre, intitulé
PoUlical conséquences of tlie distribution of property,
Piercy Ravenstone voit dans la mauvaise distribution de
la propriété la cause profonde du crime.
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88
THOMAS HOD6SK1N
« Défense do Travail contre les exigences du
Capital» (i),que publieut, en iSaS, les éditeurs du
Mechanics* Magazine, Ponr propager cette criti-
que de la théorie rirardiciine de la prodnclioii,
il compte sur les Mechanics* Institutes^ dont les
membres
ne se sonderont point des recherches cnrienses dn
géologue ou des minutieuses classifications du bota-
niste ; mais certainement ils tiendront à apprendre
pourquoi eux seuls, entre toutes les classes, ont tou-
jours été plongés dans la pauvreté et la détresse...
Il n'y a pas de Sainte- Alliance qui puisse réprimer
l'insurrection paisible par laquelle le savoir renver-
sera tout ce qui n'est pas fondé sur la Justice et la
vérité (2).
En fait, nous le voyons hi<^ntôt rompre avec
Robertson, quitter la rédaction du Mechanics*
Magazine, et, par un singulier retour, devenir
l'intime de Birkheck : ((Tami du docteur Birkbeck»,
«l'homme du docteur » (3), telles sont les expres-
sions ironiques dont l'accablera désormais le.
Méchantes' Magazine. A ÏInsUtute, il demande
et obtient, en ifti5, la permission de faire un
cours d'économie politicpie. Francis Place, tou-
jours influent, proteste, et Texpérience n'est pas
(i) Labour defended, etc. Pour le titre complet, vofr
la BibUofcraphie,
(9) Labour de/ended , p. 3i.
(3) Meehanie^ Magazine, np 33i, 12 décembre 1839.
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■
CHAPITRE DBUXlftm 89
renonTelée : deux nouvelles sërïes de conférences
traitent de philosophie de Thistoire et de psycho-
logie (i). Mais les conférences de i8i5, déve-
loppées et accentuées, deviennent, en 1827, le pre-
mier volume d'une « Économie Politique Popu-
laire » (2), c'est-à-dire non pas du tout vulgarisée,
mise à la portée des intelligences populaires,
mais conçue au point de vue des intérêts du
peuple (3) : économie politique ouvrière^ pourrait-
on dire aujourd'hui, ou prolétarienne*
il) Place à Birkbeck. 11 juin 1825. Brii. Mus. add.
mss. 27.823, f. 369. — Hodgskin fit une série de confé-
rence vers septembre on oetobre 1896 (Meehanicê^ MajB^a-
zine, 25 novembre 1826), et une antre, « on Mind », en
janvier 1828 (Mechanics' Maeazine, 9 février 1828). Il fit
en tout trois cours {Daily \pws, 27 oct. 1806), « on Poli'
tical Economy^ on e^eneral Grammar and on the Pro-
gresa of Society » (Daily News, janvier iSSg).
(a) Popular Political Economy, four leetares deU
vered ai the London Meehaniee' Institaiîon, by Thomas
Hod^skin.forraerly lionorarv secretary to the Institution,
London, 1827. Les Cfuatre conférences avaient pour titre
(Pop. Fol. Ec., p. XVII): the influence of knowledjçe ;
division of labour ; trade ; money and priées. Voici la
table des chapitres dn livre : Introduction. Object and
scope of political economy. Rook I. Natnral circnms-
tances wh'ch influenoe the productive powerof labour. —
Chap. I. Mental and hodilv Inboiir. Productive labour. —
Ghap. II. Influence of observation and knowledge. —
Chap. III. Natnral laws whioh reomlate the profçress of
Society and knowledjçe. — Chap. IV. Influence of the divi-
sion of labour. — Chap. V. Causes wHi^'h prive rise to, and
limit, division of labour. — Chap. VI. Territorial division
of labour. Limit to division of labour from thé nature
of employments. — Chap. VIL Trade. — Chap. YIII. Money.
— Ghap. IX. Priées.— Ghap. X. Eifects of the accnmu-
latîon'of capital.
(3) P. XIX.
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90
THOMAS ttODGSKIN
Comme dans ses lettres à Place d'il y a sept ans,
il demande le retour à Adam Smith. Il se refuse à
incorporer, avec J.-B. Sa y et les écrivains pos-
térieurs, la consommation au nombre des sujets
dont traite Téconomie politique (i). Il critique
la'conception nouvelle de la science économique,
conçue comme une âciençe abstraite de la mesure
dos valeurs. Il proteste même contre la dénomina-
tion courante de la science : Adam Smith n'avait
pas donné le nom d'économie politique à ses
recherches sur la production et la distribution
naturelle des richesses; il avait, tout au contraire,
critiqué les systèmes existants d'économie poli-
tique, « montrant, en fait, que la science qui pré-
tendaity sous ce nom, ajouter à la richesse du
peuple par l'organe du gouvernement, n^avait et
ne pouvait avoir d'existence (2) ». Enfin, beaucoup
plus nettement que l'école de Aicardo» Adam
Smith, parmi « les circonstances qui influent sur
le pouvoir productif du travail et déterminent la
distribution de ses produits avait su distinguer
lieux ordres de causes. D'abord, les circonstances
naturelles f
lois qui ne dépendent et ne dérivent pas du gou-
vernement — telles que les passions et les facultés
(i) Pop. Pol. Ec, p. 6.
(^) P. 36 sqq. Ct. p. 3. — Cf. Economiste la décembre
i846, x>. i6fla.
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CHAriTBB DEUXIÈME
91
de rhomme» les lois de son existence animale et
les relations qni existent entre loi et le monde exté-
rieor (i).
Elles ne sont pas rœuvre de Thomme qui
doit seulement s'attacher à ne pas les violer, et
peut y parvenir: car ces lois— dont la statistique
nous prouve la fixité, qui « sont aussi perma-
nentes et vériûables que n importe quelles autres
lois du monde matériel » — peuvent être Tobjet
d'une science. — En second lieu, les règlements
sociaux,
qui dépendent ou tirent leur origine des gouverne-
ments, — telles ces lois permanentes qui approprient
le sol d'un pays ou qui lui confèrent une Gonstilutiouy
en établissant une diversité de rcmgs parmi ses habi-
tants, aussi bien que les lois qui réglementent le
commerce et les lois administratives (a).
Mais
il ne peut y avoir une science des règlements d'un
gouvernement quelconque, ou de tous les gouverne-
ments, car ces règlements varient sans loi assignable
tant eux-mêmes que par rapport aux circonstances,
toujours changeantes, du peuple pour lequel ils sont
iSaits. 11 peut y avoir science des principes naturels
sur lesquels les législateurs doivent régler leur con-
duite, mais il ne peut pas y avoir une science de leurs
décrets (3).
(I) Pop. Pol, Ee., p. s3.
(a) P. 23.
I3j P. 36.
Lnyitizeu by GoOglc
92
THOMAS HOOGSKIM
Distinguer entre les lois naturelles et les règle-
ments sociaux, ou, plus précisément, empêcher
que Ton ne prenne soit pour des facteurs essen-
tiels de la production, soit pour des formes natu-
relles de la distribution, de simples formes acci-
dentelles de la distribution : après Ricardo, la
tàcbe reste encore à remplir., selon Hodgskin,
en économie politique.
Dans la terre, dans le capital, dans le travail,
on est tenté de voir trois facteurs indépendants
de la production. Est*ii vrai, d*abord,que la terre
soit une cause de la richesse des nations? Dansla
« Défense du Travail », Hodgskin invoque la
théorie de la rente différentielle (si sévèrement
critiquée par lui cinq ans plus tôt) pour se
dispenser d'examiner la question de la terre (i) :
cette théorie ne revient-elle pas à prouver, selon
Tobservation de James Miil, que la rente foncière
n'est pas un élément du coût de production?
Pourtant, la théorie de la rente différentielle
implique, elle-même, que la terre a une fertilité
propre, que cette fertilité varie avec le climat,
la situation géographique, la nature du sol ; elle
implique que les facultés naturelles du sol avan-
tagent les uns aux dépens des autres. Dans son
« Économie Politique Populaire », Hodgskin
8*efforce de réduire, autant qu'il peut, Timportance
(I) JLab, def., p. 6.
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GUAPITRB DEUXIÈME
de ces avantages naturels. Ne Toyons-nous pas»
sur un même sol, sous un même climat, une nation
passer du dernier degré de misère au plus haut
degré deprospérité, et Réciproquement ? Que Ton
songe à riiistoire de l'Amérique du Nord et des
empires d'Asie : sur la môme terre, le « pouvoir
productif » des individus a subi de prodigieuses
variations. D oii il i'aut conclure
que nous pouvons tout de suite éliminer de nos
recherches toutes les circonstances physiques et
toutes les choses matérieiles qui, sans ôire Inhérentes
à l'homme lui-môme et sans ôtre créées par le tra«
vail, sont en général censées exercer la plus forte
influence sur la prospérilc de l'espèce. Le climat et la
situation, malgré leur iniluence apparente, exercent
en réahté un si faible degré d'action, et leurs eilets
particuliers dépendent de causes si peu connues de
nous, qu'ils sont à présent inappréciables .... La
terre ne rentre pas plus dans les limites de la science
que la mer ou que Tair La fertilité du sol exerce
sans doute une influence Mais cette influence est
si insignifiante, comparée aux eû'ets du travail dirigé
par le savoir, qu'on peut la négliger (i).
Mais alors, si le travail est la seule cause delà
valeur, comment expliquer que la terre ait, en
fait, une valeur échangeable (p) ? Hodgskin ne
peut élucider ce paradoxe apparent avant d'avoir,
(1) Pop. PoL. Ec, pp. i5, i6, 19.
(2) Pop. PoL ifcc, p. 4.
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94
THOMAS HODGSKIN
sur mi second point, débarrassé la théorie de la
production naturelle des éléments étrangers qui
l'encombrent, et discuté , après le rôle de la terre,
le rôle du capital dans la production de la richesse.
De part et d'autre, Terreur de Téconomie politique
vulgaire est la même : elle confond, avec Tordre
social naturel, un état de civilisation qui est arti-
ficiel et profondément troublé ; du fait que, dans
la société actnelle, le propriétaire foncier tire de
• sa terre une rente, et le capitaliste de son capital
un profit» elle condnt que la rente est le produit
naturel de la terre, et le profit le produit naturel
du capital.
Détournant les yeux de I'homme lui-même, en vue
de justifier Tordre actuel de la société, fondé sur la
propriété ou la possession, et sur Toppression actuelle
du trayailleur, qui forme malheureusement une partie
de ces possessions, —tons les effets glorieux [qui
sont dus au travail] ont été... attribués au capital
fixe et circulant; Thabileté et Tari du travailleur sont
restés inaperçus, et on l'a avili pendant que Tœuvre
de ses mains devenait Tobjet d'un culte (i).
Piercy Rayenstone avait déjà voulu dissiper
cette illusion, ce « fétichisme », comme dira
Marx, et Hodgskin écrit à son tour :
On est presque tenté de croire que le capital est
une sorte de mot cabalistique, analogue aux mots
(1) Lab. ef., p. 19.
GBAPITRB OBUXIÂIIB
d'Église et d État, et à tous ces termes généraux
inventés par ceux qui tondent les autres hommes,
afin de dissimuler la main qui les tond. C'est une
sorte d'idole devant laquelle on invite les hommes
à se prosterner, pendant que le prêtre rasé, derrière
Fautel, profanant le Dieu qu'il prétend servir.,..,
tend la main pour recevoir et s'approprier les
oiirandes qu'il réclame au nom de la religion (i).
La destruction de cette idole, la critique de
cette illusion verbale, deux fois entreprise, dans
la a Déi'ense du Travail » et dans T « Economie
politique populaire », constitue la thèse fonda-
mentale de la doctrine économique de Hodgskin.
Les économistes, depuis Adam Smith, distin-
guent le capital fixe et le capital circulant : Mac-
Culloch, dans le Supplément de X « Encyclopédie
Britannique », vient d'en «réviser la définition. Le
capital circulant comprend « tous les aliments
et autres objets applicables à la subsistance
humaine »; le capital fixe comprend « tous les
instruments, toutes les machines qui assistent
ou peuvent assister la production ». Hodgskin
accepte la double définition et prétend que le
profit ne peut pas exprimer la productivité réelle
de cette chose, qui serait le capital, fixe ou
circulant.
Le travailleur, pendant qu'il travaille, avant
(I) Lab. àef,^ pp.
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96 THOMAS HODGSKIN
Fachèvement du produit, a besoin de subsister.
Faut-il donc qu'il existe» d'abord, un capital cir-
culant, somme de provisions accumulées à
rayance, visibles et palpables, nécessaires à sa
subsistance (i) ? C'est ainsi que les économistes
sont portés à le considérer. Mais tout leur raison-
nement se fonde sur ce postulat, inspiré par les
analogies de la vie agricole, que « ce qui est
annuellement produit est annuellement con-
sommé » : alors, le produit de chaque récolte
serait le capital sur lequel vivraient, pendant
un an, les laboureurs, les semeurs, les moisson-
neurs de la récolte suivante, et ainsi de suite
à l'inlini. Or, tel n'est pas le cas. Beaucoup
de cycles économiques sont plus rapides : si les
cultivateurs achèvent en un an le produit de leur
travail, ils vivent de pain au jour le jour ; et le
boulangerne cuit le pain qu'au jour le jour, eseomp-'
tant pour être remboursé de ses avances quoti-
diennes, le produit annuel du travail du cultiva-
teur. Inversement, il existe un grand nombre
d'opérations économiques dont Tachèv^ent
demande plus, et beaucoup plus, qu'une année :
au travailleur qui se trouve engagé dans ces
opérations, le producteur de blé et de vin avance
le produit annuel de son travail, dans l'attente
du jour où lui sera fait, en bloc, le paiement de
(I) Lab. de/., p. 8 sqq. — Fop, PoL Bc, p. 947 sqq.
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CHAPITRE DEUXIÈME
97
868 récoltes annuelles sur le produit d'un travail
de productivité moins rapide. Le fait que le
capilaliste doit, pour être prêt à payer ses
ouvriers, accumuler une certaine quantité d'ar-
gent monnayé, est de nature, peut-être, à fortifier
Tiliusion; mais le salaire réel de rouvrier
. consiste dans ce qu*il achète avec son argent,
non dans 1 argent qu'il touche, et iïuYeution du
papier-monnaie ne tend-elle pas à dissiper
Tillusion que Texistence d'un capital argent
avait fait naître ?
Du jour où le possesseur d*un simple morceau de
parchemin reçut un revenu annuel en morceaux de
papier contre lesquels il obtint tout ce qui était
nécessaire à son usage et à sa consommation; du
jour où, en n'abandonnant pas tous les morceaux de
papier, il se trouva plus riche & la fin de l'année
qu'au commencement, ou se trouva des titres, Tan-
née suivante, à recevoir un nombre encore plus
grand de morceaux de papier, obtenant une faculté
de commander une quantité plus grande encore du
produit du travail; il devint démonstrativeraent
évident que le capital n'était pas une chose épargnée
et que le capitaliste individuel ne devenait pas riche
par une épargne positive et matérielle» mais par une
action qui lui permettait, conformément à un usage
conventionnel, d'obtenir une plus grande portion du
produit du travail des autres hommes (i).
(I) Pop. Pol. Ec, p. ^48.
3.
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THOMAS UOOGSKIN
Que Youions-nous dire, en somme» lorsque
nous disons d'un homme qu'il possède un capital
circulant? Simplement qu il possède le pouvoir
de commander au travail de quelque autre
homme. Quelle est d'ailleurs l'origine de ce
pouvoir? Comment en a-t-ii pris conscience?
Sans réflexion, par habitude.
Comme nous attendons que le soleil se lèvera
demain, de même nous attendons que les hommes,
dans tous les temps à venir, obéiront à rimpulsion
des mômes mobiles auxquels ils ont obéi dans le
passé. Si nous poussons plus loin nos investigations,
tout ce que nous pouvons apprendre, c'est qu'il
existe d'autres hommes, occupés à préparer les
choses dont nous avons besoin, pendant que nous
préparons celles dont ils ont besoin. Peut-être cette
conviction se laisse t-elle ramener, en dernière ana-
lyse, au l'ait que nous savons que d'autres hommes
existent et travaillent, jamais à une conviction ou à
une connaissance, qu'il existe un stocii de marchan-
dises accumulées (i).
D'autres hommes travaillent pendant que je
travaille : ee <( travail coexistant » (2) est la véri-
table cause des eii'ets qu on attribuCi sous le nom
de capital circulant, à une accumulation de
matière.
Keste le capital fixe (3) : outils, machines,
(1) Lab. de/., p. 11.
(2) Lab. dej.f pp. 8, 33.
(3) Laà, def.f p. 14 sqq. ; Pop. Pol. Ec.^ p. ^44 ^qq*
CHAPITRE DBUXIÈMB 99
constructions, autant d'ingrédients nécessaires de
la production» et dont la réalité matérielle semble
indéniable. Hodgskin, dans son a Economie
Politique Populaire », où il insiste principalement
SUT cette seconde forme du capital, reconnaît
que le capital iîxe fournit à la thèse capitaliste
son plus solide argument. Mais il faut considérer
deux choses. En premier lieu, ce capital est
Vœuvre d'un travail antérieur. Comment, dès
lors, considérer à la fois, sans absurdité, le capital
comme un eûet et comme une cause du travail,
comme le produit et comme la limite de Tindus-
trie? Sans doute, Touvrier qui a fabriqué Toutil,
la machine» la maison, mérite un salaire : mais
rhypothèse est qu*il Ta déjà reçu et cpae le profit
du capitaliste est exigé par le capitaliste en sus
de ce salaire. Sans doute aussi, l'inventeur de
rinstrument de ti^avail mérite une rémunération.
Mais combien rarement Tobtient-il I et quelle dis-
proportion entre le salaire effectivement touché
par Tinventeur et les prolits réguliers et perpé-
tuels du capital une fois créé ! — En second lieu,
le capital iixe ne produit la valeur prélevée par
le capitaliste à titre de profit que dans la mesure
où il est utilisé par un travail actuel. Le profit,
nous dit Tapologiste du capital, est la rémuné-
ration de l'épargne : mais, si le capital fixe, une
fois créé, reste entassé dans des magasins, il se
ûiyitizea by ^OOglc
lOO
THOMAS UODGSKUf
détroit lentement et» en attendant, ne rapporte
rien : l'épargne u'est productive que si épargner
signiiie avancer le capital — le prêter ou le donner
— à un travaillenr qui Texploitera. Or, ce travail-
leur mérite un salaire assui'ément : mais ce
salaire ne constitue pas le profit du capital dont
nous clierchons la justification. Une route cons-
titue un capital fixe» et suppose, pour les répa-
rationsy des airanoes répétées de capital circalant.
Mais ni le cai)ilal circulant ni le capital lixe ne
donnent de prolil aux fabricants de la roule s'il n'y a
personne pour voyager sur la route, ou pour continuer
à utiliser leur travail. La route i'acilite la marche du
voyageur, et, dans la mesure exacte où les hommes
voyagent sur elle, le travail qui a été employé à la
roule (le vient pruduclil et utile. On comprend aiséiuent
pourquoi ces deux espèces de travail doivent être
payées, — pourquoi le conslr acteur de la route doit
recevoir quelques-uns des avantages dont bénéftlcie
seul le passant qui utilise la route ; mais Je ne com-
prends pas pourquoi tous ces bénétices devraient aller
a la l'oiile elle-nièiue et être appropries par une classe
d hommes, qui ne le créent ni ne l'utilisent, sous le
nom de prolil pour leur capital (i).
Ne suilirait-il pas, d'ailleurs, pour comprendre
coniLien sont lalbles les plaidoyers courants en
laveur du capital, de constater que les deux
formes de capital veulent être rémunérées au
,1^ Lab, de/, pp«
■» .
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CHAPITRE DiEUXlÈMB
lOI
même taux, malgré la diflKrence des fonctions
^*elle9 remplissent, 1 industrie productive d'une
nation variant, selon la quantité du capital
circulaut et la qualité du capital ILxe ?
Dire qu'il y a dans les salaires et dans les instru-
ments un même pouvoir produciit, parce que le capi-
taliste obtient un proUt sur les uns et les autres, c*est,
à mon sens, une sottise extraordinaire. Intentionnelle»
elle mériterait notre réprobation la plus sévère, car sou
elfet est de justilier l'approprialion par le capiialiste
de cette grande part qui lui éclioit actuelieiuent sur
le produit annuel. Elle assigne purement et simple-
ment à sa propriété^ soit qu'il remploie à payer des
salaires» soit qu'elle consiste en instruments utiles»
tout ce vaste secours que prêtent au travail le savoir
et l'adresse, réalisés sous iorme de machines (i).
A sa propriété, c'est-à-dire au privilège qui
lui est accordé, par les lois de la société à la-
quelle il appai*tieiit, de prélever mie portion du
produit du travail. De ce qu^il y a sépai*ation du
profit et du salaire, de ce que les profits, ainsi
prélevés, constituent euiin, par leur accumulation,
un capital» comment conclure, sans absurdité»
que le capital joue un rôle dans la production
de la richesse ? La théorie de la distribution
actuelle des richesses» considérée par les Ricar-
diens comme naturelle» a besoin d'être révisée.
» (I) Pop. Pol, Ec, pp. 249-250; cf. Lab, de/, pp. ly-ao.
103
THOMAS HODG8KIM
Le prétenda salaire naturel des Ricardiens,
Hodgskin le déiiuit^ comme en iS^o, la quantité
de produits nécessaire à Tentretien d*un esclave.
La nature, pour donner à I homme un objet donné ,
exige de lui une certaine quantité de travail : prix
réel, ou naturel, de Tobjet. Le capitaliste, pour
abandonner le même objet au travailleur, exige
de lui, en sus de la quantité exigée par la nature »
une quantité de travail encore plus grande.
|Les travailleurs reçoivent seulement, et de tout
temps ont seulement reçu, ce qui est nécessaire à
leur subsistance; les propriétaires fonciers reçoivent
le surproduit (mrplas prodaee) des terres les plus
fertiles, et tout le reste du produit total du travail,
dans ce pays-ci comme dans les autres, va au capi-
taliste sous le nom de proiit pour l'emploi de son
capital (i).
Les exigences du capitalisme faussent les lois
naturelles de la production, font du salaire une
quantité fixe» quelle que soit la productivité du
travail, et font, par suite, du profit une quantité
indéfiniment croissante» puisque les Ricardiens
ont raison de dire que le profit et le salaire
varient eu raison inverse l'un de l'autre. Actuel-
lement le travailleur achète six pence la miche
de pain que la nature lui donnerait contre un
(I) Lab. De/., p. 6,
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CHAPITIIB DEUXIÈtlB lo3
penny. Institues le libre-échange, il y anra hausse
des protits, et voilà tout.
Qu'il y ait ou dou des lois sur les blés, il faut que
le capitaliste permette aux travailleurs de subsister,
et» tant que ses exigences seront tenues pour légiti-
mes et respectées, il ne leur en accordera pas davan-
tage. Bref, le travailleur donnera toujours à peu près la
même quantité de travail au capitaliste pour une
miche de pain, que cette miche soit le produit d'une
heure ou d'un jour de travail. Lorsqu'on sait la
vaste intluence que les capitalistes exercent dans la
société, on n'est pas surpris des anathèmes qui ont
dernièrement été lancés contre les lois sur les blés,
ni du silence qui a été observé sur leurs propres
extorsions, plus iortcs et, pour le travailleur^ plus
funestes (i).
Il ne faut pas parler d'une loi naturelle de la
baisse des profits. 11 n'y a pas de profit naturel :
comment y aurait-il une loi naturelle des profits ?
Ce qui est vx*ai, c'est que les ciûgeaces des capi-
talistes sont indéfinies : on sait le calcul dePrice
évaluant la somme fantastique que devrait rappor-
ter, au bout de dix-huit siècles, un penny placé
à 5 o/o le jour de la naissance du Christ. Ces
prétentions, étant démesui'ées, doivent néces-
sairement être tenues en échec par la nature : car
il faut bien, enfin, que les capitalistes laissent
vivre les travailleurs dont ils vivent. Cette limite
(I) Lab, def.f p. aa.
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104
THOMAS HQDOSKIN
imposée par la nature à raocnmnlatioii des profits,
c'est ce que les capitalistes appellent la baisse des
proûts.
Il ne faut, en tout cas, imputer ni la misère
des ouvriers, ni la prétendue baisse des profits,
à Tenrichissement progressif et fatal des proprié-
taires du sol. Les capitalistes mystifient le public
lorsqu ils essaient de donner le change sur la
situation respective des pi opriétaires fonciers et
d'eux-mêmes. Les capitalistes sont les plus forts :
après avoir prélevé sur les travailleurs tout ce
qui, du produit de leur travail, n'est pas néces-
saire à leur subsistance, ils égalisent entre eux
les profits par l'abandon qu'ils font, aux proprié-
taires du sol, des dift'érences de profit dues aux
différences de fertilité du sol. Hodgskin revient
donc à la définition de la rente proposée par
Kicardo : ce qui n implique pas nécessairement
une révolution de sa pensée, subie depuis i8ao.
11 admettrait encore, comme en 1820, que le pro-
priétaii*e foncier, lors de la première appropria-
tion du sol, prélevait tout le surproduit à titre de
rente : mais, dans la suite, avec le progrès de la
richesse mobilièi'e, tout ce qui, du produit du
travail, ne va pas au travailleur, tend à devenir
profit, sauf ce résidu dill'érentiel, ce reste des
dépouilles, qui constitue excellemment la défini-
tion actuelle du lei'mage. Entre le propriétaire
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I
G0APITRB DEUXIÈME Io5
foncier et le capitaliste^ il s est produit un ren-
yersement des positions,non aperça par réconomie
pulili(|ue de lUcai'do. A présent, coiume l'écrira
Hodgskin quelques années plus taini,
louie la richease de la société va d*abord aux mains
du capitaliste, et mOine la plus grande partie du
soi a été achetée par lui ; il paie au propriétaire
Ibucier sa rente, au travailleur son salaire, au percep-
teur de rimpôtet de la dlme ce qu'il réclame, et
conserve pour lui-même une grande part, la plus
grande en vérité, et continuellement augmentante,
du produit annuel du travail. On peut dire aujour-
d'hui du capitaliste qu'il est le premier possesseur
de toute la richesse de la collectivité (i).
Les capitalistes mystifient encore le public
lorsqu'ils entretiennent une contusion entre le
profit du capital et le salaire dû au travail de
direction de i'industiie. Ce salaire lui-même,
s'il est justifié» si les ouvriers manuels ont trop
souvent le tort d'en méconnaître la légitimité,
les capitalistes» de leur côté, Testiment à plus
haut prix qu'il ne convient : car, d'une part, le
travail mental et le travail manuel sont également
nécessaires à la production, et, d'autre part, le
travail manuel implique lui-même un élément
mental 9 dont l'importance augmente avec le
(I) iXat. and, arl, r. of Prop., p. yO. Cité par Marx,
Kapitai, I, 3' éd., y. 715 ; trad. fr., p. 336.
ûiyitizea by ^OOglc
THOBfAS HODG9KUI
progrès de l'industrie. U y a là comme un double
préjugé, qui se dissipera par le progrès naturel
des lumières ; c'est un préjugé qui
rend et rendra longtemps difficile, même aux tra«
vailleurSy de répartir avec Justice la récompense
sociale, le salaire, de chaque travailleur individuel.
Nul homme d*État ne peut venir à bout de cela, et
les travailleurs ne doivent permellre à aucun homme
d'État d'y intervenir. Le travail est à eux, le produit
du travail doit être à eux, et eux seuls doivent décider
combien chacun mérite de recevoir sur ce qui a été
produit par tous (i). ^
Ce qu'il faut, c*est qpie, par les institutions
dVnseignement populaire, les ouvriers travail-
lent sans cesse à intellectualiser le travail ; qu'ils
s'attachent à diminuer, comme il convient dans
le siècle des machines, la distance qui sépare
le travail physique du travail mental ; et puis
que, groupés en Trade-Unions, ils réussissent à
faire baisser les profits du patron jusqu^au point
où ils représenteront le juste salaire de son
travail de surveillant et de directeur.
Les capitalistes, en résumé, mystifient le
public lorsque, dans la misère, effet de Tappro-
priation des profits, ils veulent faille voir Topé-
ration normale des lois de la nature. Le nombre
des hommes croit sans limite; la quantité de
(I) Lab. dej., p. 96.
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CHAPITKE DEUXIÈME IQ7
terre disponible est limitée absolmnent; com-
ment, dans ces conditions, la misère serait-elle
évitabie ? Voilà le i'oud du pessimisme malthu-
sien ; mais on sait qne Hodgskin tient pour une
interprétation optimiste duprincipe de population.
A mesure que le monde devient vieux et que les
hommes croissent et multiplient, il y a une tendance
constante, naturelle et nécessaire, à un accroissement
de leur savoir et,par suite^de leur pouvoir productif ( i ) .
La condition nécessaire et suilisante du progrès
en richesse et en bonheur^ c*est la division du
travail : elle ne peut avoir, quoi qu'en disent
certains économistes, d'eil'ets immoraux ou dégra-
dants. Uonvrier des champs, le seul peut-être
qui^ à lui tout seul, achève un produit, est-il
moins dégradé que Touvrier fabricant d'épingles ?
La dépendance que l'on dénonce et que l'on déplore,
c'est la dépendance de la pauvreté et de l'esclavage, et
non la dépendance mutuelle qu'occasionne la division
du travail... Ce n'est pas une partie, mais la totalité
de la misère attribuée par biorck et par d'autres à lu
division du travail, qui a pour cause des règlements
vexatoires. Si je vois clair dans cette question com-
pliquée, je dirais que la division du travail' est un
admirable moyen pour chaque personne de connaître
toutes choses ; tandis que, pour pouvoir subsister,
(i) Pop. Pol. Ec, p. 95; Cf. pp. 125-12O: cité par Karl
Marx, KapitaL 1. 1, 3* éd., p. 317 ; irad. Ir., p. i&3.
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TBOMAS aoDOMcnr
elle n'a besoin d'accomplir qu'une petite partie de la
producUon sociale (i)«
Mais quelles sont les causes de la division du
travaii eUe-même? C'est d'abord la science et
rinvention des machines : or, la science progresse
à mesure que la population s'accroît sur un espace
donné, et que les échanges d'idées se multiplient,
en conséquence, entre les individus. C'est,
ensuite, Tétendue du marché : mais ce qui fait
retendue du marché, c'est le nombre des indi-
vidus qui demandent le produit, — c'est, en
d'autres termes, dans une société naturelle, le
nombre des travailleurs.
La marchandise produite par un travailleur...
constitue, en réalité et en dernier ressort, le marché
des mardiandises que produisent les autres travail-
leurs; eux et les produits de leur travail Jouent les
uns par rapport aux autres le rôle de marché. Mais
toulcîï les maixhan dises, étant le produit du travail,
doivent être abondantes dans la mesure où les tra>
vailleurs se muliipheut^ ou encore dans la mesure
où leur pouvoir productii' augmente. L'étendue du
marché signiile, par conséquent, soit le nombre des
travailleurs, soit leur pouvoir productif^ et plutôt
ceci que cela, car les besoins de chacun sont limités ;
. par suite, à moins d'un accroissement numérique de
(I) l'op. Fol. Ec, pp. i38-i39. — Le passage pessimiste
emprunté pai- Karl Marx {Kap. 1, 3* éd., pp. 3i9-32o; trad.
l'r . p. 154,) au Labour Defended. x). 220, risque de tromper
sur ia véritable pensée de Hodgskin.
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CHAPITRE DBOXlftMB IO9
la population, il n'y aurait ni raison ni moyen d'aug-
menter la production. Si c'est là une interprétation
exacte de la phrase a étendue du marché », nous
faisons reculer à rinûiii cette limite à la division du
travail. £lle est coextensive an nombre des tra-
yaillenrs qni communiquent les uns avec les antres,
et U nous est impossible de prévoir ou d'assigner à
ce nombre une limite concevable (i).
Si l'étendue du marché limite la division dtt
travail, c'est dans une société où les riches sont
les seuls demandeurs eilectifs des produits, où
une distribution artificielle de la richesse dimi*
nue la puissance d'achat des travailleurs, trop
pauvres pour acheter les produits, tandis que les
riches sont trop peu nombreux pour les absorber.
Ën ce sens le capital, ou plus exactement le capi-
talisme» limite lindustne.
Écartes le cafràtaliste, l'Intermédiaire oppressif qni
dévore le produit du travail et empêche le travailleur
de connaître les lois naturelles d'où dépendent son
existence et son bonheur, — éUrainez ces règlements
sociaux en vertu desquels ceux qui produisent tout
n'ont la permission de posséder que peu de chose,
ou rien, —> et il est clair que le eagnial, on le pauçoir
if employer du UwaU, et le Uwail eoexiêtant sont
une seule et même chose ; que le capital productif et
le travail pénétré d'itUelligence sont une seule et
même chose ; en conséquence, que le capital et une
U) Pop. PoL Ec, p. 116.
H. -4«
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IIO
THOMAS HODGSKW
population laborieuse sont deux termes rigoureuse-
ment synonymes (i).
I^a cause de la misère est donc artificielle, non
naturelle.
C'est raccunmlation du capital qui, dans l'état
actuel de la société, entrave la production et, par
conséquent, le progrès de la population, la division
du travail, raccrolssement du savoir et delà richesse
nationale (3).
Bref, et pour résumer la théorie de la pro-
duction chez Hodgskin, ni la terre ni le. capital
ne sont des facteurs de la production, l a produc-
tivité du travail est eu raison directe du nombre,
de Tactivité et de l'intelligence des travailleurs :
« toute richesse est produite par du travail ».
Or, il semble bien que cette loi naturelle de la
production implique une loi naturelle de la
distribution des richesses. Tandis que la théorie
économique, qui donne un rôle à la terre dans la
production de la richesse, engendre Tesprit de
conquête et d'usurpation, la loi naturelle de la
production, est au contraire, nous dit Hodgskin,
la seule base assurée sur laquelle le législateur
puisse fonder un droit de propriété, — en admettant
qu'il soit en aucune façon appelé à fonder ce qui
(i) Lab. def.^ p. 33.
(a) Pop. PoL Ee.^ p. ùÊfi
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CHAPITRB DBUXIAmB III
existe natnreUement — c'est die qui nous conduit à
UDc iiistrlbutioii juste (i).
Quelle est cette loi naturelle de la distribu-
tion? Celle même que liicardo avait formulée :
Des quantités différentes de travail sont naturelle^
ment nécessaires; on rencontre naturellement des
degrés différents de difficulté à se procurer toutes les
marchandises, et ces différentes quantités de travail,
ces diirérents degrés de dilliculté établissent dans
nos esprits une relation naturelle de valeur entre
toutes les marcliandises. . relation qui peut varier,
mais qui n'en existe pas moins, en tout temps ,
en tous lieux, indépendamment de toutes les lois
humaines (a).
Hodgskin ajoute seulement, meilleur logicien
que les disciples de Kicardo :
Le raisonnement serait taux, assurément, si je
devais comprendre le travail, le créateur de toute
richcbse, comme ils commettent la grave erreur de le
faire, sous la rubrique de marchandises (3).
Mais, comme les économistes orthodoxes, et
contre ropiuiou de ceux qui, vers cette époque,
en Angleterre, avec Atiwood par exemple, préco-
(1) Pop. Pol. Ec, p. 20.
(2) Pop. Pol. Kc, p. i8(>.
(3) Ci'.Pop. Pol. Ec.^ p. i^i!) -. Le travail, mesure unique
de la valeur.... créateur de toute ricliesse, n'est pas une
marchandise (cité par Marx, Kap. 1, 3* éd., p. 499 •
fr. p. 2"32).
119
THOMAS HOD08K11I
Disent rinstitatioii d^iine monnaie symbolique, il
tient rinvention et le choix de la tnonaaie métaili-
qne ponr conforme aux lois de la nature et
n'impliquant aucune injustice. Avec les écono-
mistes orthodoxes et contre Robert O wen» il tient
encore pour légitime le profit commercial.
Même dans les établissements de Mr. Owen, oùles
marchands au détail sont regardés comme un mal, et
rejetés comme un fléau, il tant qu'il y ait quelqu'un
pour s'occaper des aliments et des vêtements et les
distribuer paroii les habitants de ses parallélogram-
mes, entre les membres de ses communautés coopé-
ratives. Les marchands au détail remplissent,
pour la société en général, les mêmes fonctions que
les « quartiers-maîtres » accomplissent pour les
soldats et les « boursiers » pour les marins : il faut
bien que ces fonctions soient accomplies par quel-
qu^on pour les élèves de Mr. Owen. Ils ne sont dési-
gnés pour ce poste que par la nature, mais sont tout,
aussi utiles que s'ils agissaient sous la direction de
Mr. Owen ou par commission royale (i).
Sans doute les commissaires du système d'Owen
reçoivent un traitement, alors que les marchands
prélèvent un proiit ; mais
s'ils étaient payés par un traitement ou des salcdres.
quel intérêt pourraientrils avoir à prendre soin du
stock coUectii ?
(i) Pop. PoLMCf pp. lôo-iôi.
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CaUFlTRB DEUXIÈME
Aussi bien, les denx disciples de Ricardo,
James Mil! et MacCoUoeh, au même instant
que Hodgskin, ne viennent-ils pas d'essayer
de résoudre le capital en travail ? Le profit,
disent-ils, est un élément de la valeur; donc
il représente un travail, il est le salaire d'un
travail ; donc il est juste. « Le profit, réplique
Hodgskin, est une partie de la valeur, soustraite
par le capitaliste au producteur de la valeur ;
donc cette partie de la valeur, qui deviendra le
profit, ne le deviendra qu'en cessant d'être le
salaire d'un travail ; donc le profit est injuste.
— U faut distinguer, répliquent MacCulloch et
James Mill, entre les deux formes du travail,
immédiat et accumulé : le profit est le salaire du
travail accumulé. — Mais alors, réplique Hodg-
skin & son tour, s'il faut définir le capital comme
travail accumulé, le capital n'est donc pas une
masse matérielle, un stock entassé dans un maga-
sin : il consiste dans cette dextérité acquise, dans
cette science infuse dont le skilled labour est
pénétré ; de toutes les opérations productives, la
plus importante est assurément l'éducation de la
jeunesse, renseignement des arts de la produc-
tion ; et, ajoute Hodgskin,
si je suis particulièrement désireux d'atUrer VêlU
tention du lecteur sur cette opération productive,
c'est que... tous les effets généralement attribués*
Uiyitizea by ^OOglc
THOMAS HODOSKOf
au capital circulant dérivent de l'accumulation et de
r appr(nHsionnement du <r skilled labour » et que
cette très-importante opération s'accomplit, en ce
qui concerne la grande masse des travailleurs^ sans
aucun capital circulant (i).
Ainsi» même quand ils yealent justifier le profit,
les Ricardiens admettent plus ou moins confusé-
ment que» toute valeur étant produite par du
travail, tout revenu est naturellement la récoip-
pense d'un travail. C'est le fondement commun
à leurs spéculations et à celles de Hodgskin :
celui-ci est, en somme, aussi rapproché de Ricardo
qu*iL est rapproché de Malthus, et, comme sa
philosophie de Thistoire est une sorte de mal-
thusianisme optimiste, de même son économie
politique constitue un ricardianisme égalitaire.
Cependant, si la loi naturelle de la production
conduit à la loi naturelle de la distribution, les
deux lois n'en sont pas moins distinctes ; et
Hodgskin ne se contente pas, comme y avait trop
souvent été portée Técole d'Adam Smith, de tenir
la loi naturelle de la distribution, définition de
la justice, pour une proposition évidente, qui se
passe de démonstratioii.
Quand nous aurons déddé si le capital a droit à
(i) Lab. de/.f p. i3. Cf. Pop. PoL Ec, p. laS: Le tra-
vail ïacile est de Thabileté transmise (cité par Marx,
Kap,, livre I, p. 3o3. — Trad. ir., p. 14S}.
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CHAPITRE DEUXIÈME
Ii5
ce qu'il réclame du travail, nous n'aurons fait qu'un
pas vers la solution du problème des salaires légi-
times in travail. Les autres parties de mon enquête
seront, ]'en ai Pespoir, abordées par un de mes
compagnons de travail (i)....
et William Thompson, en i8q4» dans son Labour
rewarded^ qui parait précédé d'une épigraphe
empruntée à Hodgskin, essaie de remi)Iir le
programme tracé par celui-ci. Dans son « Econo-
mie Politique Populaire », Hodgskin avertit
encore le lecteur qull ne traitera pas de la sécu-
rité de la propriété.
Elle est un objet à atteindre par des règlements
sodaux, quoique la propriété elle-même, ou lè droit
d'un homme au libre emploi de son esprit et de ses
membres et à l'appropriation de tout ce qu'il crée
par son propre travail, soit Tœuvre des lois natu-
relles, et je n'en dirai pas un mot : car il est néces-
saire, avant de discuter les effets de la sécurité de la
propriété, d'avoir une définition rigoureuse du droit de
propriété et de bien s*accorder sur ce qui le tonde (2),
Hodgskin se trouve ainsi ramené par ses
spéculations économiques, simple incident dans
l'histoire de sa pensée, au problème fondamental
qui, depuis plus de quinze ans, le préoccupe : il
reprend ses recherches de philosophie du droit,
(i) l.nb, de/,, p. 5.
(a) Pop, PoL Ec, p. a:W,
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Ii6
THOMAS HODGSlUN
sur l'essence du droit naturel et le rapport dn
droit naturel au droit positif. En 1829, lorsque
Broogham, en demandant la réforme de Torganisa-
tion judiciaire, se fait au Parlement Tinterprèle
de la philosophie de Bentham, Hodgskin lui
répond par une série de lettres ouvertes, qui
contiennent, avec une critique de la théorie
benthamique du droite sa propre théorie du droit
naturel. Il ne les fait pas paraître tout de suite ;
mais, deux ans plus tard, la « Société pour la
diiTusion des connaissances utiles » consacre
une de ses brochures de vulgarisation écono-
mique à réfuter les « dangereuses » théories du
Labour defendedet ànPopularPoliiicalEconomy.
La brochure est de Charles Knight : Hodgskin
l'attribue à Brougham, le directeur de la Société,
rhomme dont il déteste Tinfluence au Meehanies*
Institute. Il écrit une dernière lettre ouverte à lord
Brougham, chancelier d'Angleterre, et la publie
avec les autres, pour établir, comme dit le titre,
« le contraste entre le droit artificiel et le droit
naturel de propriété (i) », pour formuler, en face
(i) The naturaL and artlficixil right of properly co/i-
troBted, ABcnes of letters, addressed witnout permission,
to H. Brougham, esq. M. P. F. R. S. (now the lord chan-
cellor) Bv the author of « Labour defended against the
claims of Capital »; London, 1832. - Lettre L Introductory.
— Letter II. The natural right of property illustrated. —
Letter lU. The légal right of property. — Letter IV On
the right of property in land — Letter Y. The légal right
of property is undergoing snbyersion by the nAi-
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GHAPITRB DBUXtàMB 11^
de la doctrine de Bentham et de James Mill, au
moment même où, dans la Réforme de iSSq, les
radicaux orthodoxes voient iin triomphe de leur
propagande, la philosophie originale du droit
sur laquelle il fonde son radicalisme hétérodoxe
et anarchiste.
Toute théorie sociale repose sur une base
philosophique; et la vraie philosophie, selon
Hodgskin, c*est ce réalisme dont les penseurs
anglais, depuis le xvii'' siècle, entretiennent la
tradition.
il me parait que les principes directeurs de la phi-
losophie de lopfl Bacon et de Locke principes
selon lesquels « Thomme est le simple interprèle de
la Nature », et « toute notre connaissance du monde
extérieur nous vient par l'intermédiaire des sens, » ou
encore « est une copie de ce monde»; — U me paraît,
dis-je, que ces principes, bien qu'ils aient été négligés
par les écrivains qui ont traité de la législation et
du progrès de la civilisation, jettent une lumière vive
et régulière sur un grand nombre de phénomènes
sociaux. Les déductions que nous pouvons tirer de
ces prmcipes prouvent que le législateur n'a pu
créer et établir, ni même modifier, en quelque mesure,
un droit de propriété. Gomme le philosophe, il est
ral ri^lit of property. — Lettre VI. The law-maker does
net establisQ rights : be only copies usages. — Lettre VU.
Real guarantee of the right of property, — Lettre VllL
Bvils of the artiflcial nghi uf property. — Postseript To
lord Brougham and Vaux, loiNd high chancellor of
Bngland.
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ii8
THOMAS HODGSKJLN
au mieux un interprète incorrect de la nature . . .
Me conformant strictement anx grands principes
enseignés par Bacon et Locke» J'affirmeqne les auteurs
des lois n'ont fait que mettre le sceau de leur auto-
rité aux droits établis ou aux injustices pratiquées
par l'humanité (i).
Cette idée maîtresse de la philosophie de
Bacon et de Locke a déjà été appliqaée par les
économistes à rinterprétation des phénomènes
sociaux, et Dugald Stewart, le professeur et
Tami de Brougham, avait lui-même, avec beau-
coup de précision, donné pour tâche à Thomme
d'État de découvrir « quelle forme de société est
parfaitement agréable à la nature et à la justice)»»
et « quelle est la transformation de Tordre social
vers laquelle les affaires humaines tendent spon-
tanément (a)». Ces vérités, dont on a reconnu la
fécondité, non seulement en philosophie, mais
encore en économie politique, pourquoi faut- il
donc qu'elles soient encore méconnues des légis-
lateurs parlementaires? Pourquoi faut-il qu'au
lieu de reconnaître Texistence d'un droit naturel,
indépendant de leurs décrets, ils n'abolissent
certaines lois que pour en établir de nouvelles?
Pourquoi faut-il que Bentham et ses fidèles,
parmi lesquels Brougham lui-même, ftivoriseiit
(1) Xat. et art, r, of Prop., p. io6.
(2) p. 4.
Oigitizeci by
CHAPITHB OKUXlàMB IIQ
Fillusion législative, et ne condamnent les lois
existantes que pour leur substituer tout un code
nouveau, conforme à leur système ?
Considérons en particnlier le droit de pro-
priété, dont Hogdskin vient de constater 1 impor-
tance en économie politique, et qui, selon sa
constitution légale, modifie si profondément la
distribution des richesses (i). « Les pliilosoph.es
de Westminster » (a), ceux qui légifèrent an Par-
lement et suivent les leçons de Bentham, veulent
que le gouvernement crée le droit de propriété.
Bentham, dans les « Traités de Législation »,
James Mill, dans 1' « Essai sur le Gouverne-
ment », se refusent à admettre qull existe des
droits naturels; avant l'existence des lois, il
pouvait être utile, nous disent-ils, et paraître
désirable qu il existât des droits : mais c'est la
loi qui conféra plus tard à ces droits l'existence
actuelle. Uodgskin condamne catégoriquement
cette manière d'entendre l'idée de loi.
Messieurs Bentham et Mill, tous deux avides
d'exercer le pouvoir de la léj^islation, le représentent
comme une diviait*' hienlaisaale, qui subjugue nos
passions et nos inclinations naturellement mauvaises
(ils adoptent la doctrine des prêtres, suivant qui les
inclinations et les passions des hommes sont naturel-
(I) P. 12.
ra pp. 16-21.
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120
THOMAS UODGSKIN
lement mauvaises), — qui lient Fainbition en échec,
veille à Texécation de la justice et encourage la vertu.
Délicieuses caractéristiques t dont le seul défaut est
d'être contredites par chaque page de Thistoire...
Si le principe est vrai dans un cas, il doit l'être uni-
versellement ; et, selon ce principe, les parents n*ont
pas le droit d'être aimés et respectés par leurs
enfants, les nonveau^nés n'ont pas le droit de se
nourrir au sein de leurs mères, avant que le législa-
teur, — voyant, calculant à l'avance les bénéfices
immenses qu'il y a pour l'espèce humaine à établir
la longue liste des droits et des devoirs les
eût établis par ses décrets. ... A moi , le système
semble aussi pernicieux qu'il est absurde. Les doc-
trines ne s'en accordent que trop bien avec la
pratique des législateurs . . . Elles élèvent la législation
au-dessus de nos prises et la mettent à Fabri de la
censure. L'homme, naturellement dénué de droits,
peut être soumis à des expériences, emprisonné,
expatrié, ou môme exterminé, comme il plaît au
législateur. . . La doctrine du droit divin des rois,
ches FUmer, était bienveillante et raisonnable à
côté de cette assertion monstrueuse que « tout droit
est factice et existe par la volonté seule du légis*
lateur o (i).
La philosophie de Locke était bien diffé-
rente (2). Suivant Locke, l'esprit est le reflet des
choses ; la loi, œuvre de Tesprit, peut donc bien
eoregistrer l'existence d'un droit naturel : elle
(i) pp. 19, ao, au
(a) P. 6i.
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CHAPITRE DBUXIÈBIB
ne saurait en anenne façon être considérée comme
donnant naissance an droit. La nature donne à
chaque homme le pouvoir de travailler; elle donne
à chaque travail sa rémunération ; elle crée ainsi
le droit — naturel, non légal — de propriété.
C'est la nature, non le législateur, qui crée
l'homme avec ses besoins et associe à ceux-ci le
pouvoir de les satisfaire. Le sentiment désagréable
de la faim peut, avec justesse, être appelé un ordre ou
un conseil de travailler. La nature donne en outre à
chaque individu le produit de son travail ; et les dons
séparés qu'elle fait ainsi — le poisson, par exemple,
qu'elle donne à celui qui jette Thameçon et surveille
la ligne — ne peuvent davantage être con fondas avec
ceux qu'elle donne à un autre^ que les besoins dis-
tincts et séparés qu'ils sont faits pour gratifier (i).
La psychologie nous montre comment nous
prenons d'abord, naturellement, conscience de
notre individualité physique, qui constitue notre
première propriété ; puis comment « nous sommes
. portés à étendre ces idées, de nos mains et de nos
autres membres, aux choses que les mains sai-
sissent, façonnent et créent, ou que les jambes
poursuivent et atteignent )», et aux conséquences
immatérielles de nos actes : car, « en fait, les
objets matériels ne sont recherches que pour le
plaisir immatériel qu'ils confèrent (a) )». £t si
(I) P. «7.
«a) P^aQ.
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122
THOMAS HODGSKIN
Dieu, ou la nature («j'emploie, uous dit Ilodgskin,
ces deux termes comme synonymes ») (i) a fondé
sur cette base le droit de propriété, il a fourni du
môme coup à l'homme les moyens nécessaires
à le défendre. D*ane part, «la même force, la
même adresse, qui permet à un homme de pren-
dre plus de gibier on de poisson, et de créer
plus de richesse que son voisin moins habile
ou plus faible, lui permettra de défendi^e ce
qull aura acquis (a) ». D*autre part, «les hom-
mes ont été créés pratiquement égaux en facultés
et en intelligence» (3), de sorte qull sera toujours
plus difficile à un homme de prendre de force
à un autre ce que celui-ci a déjà produit que
de produire cet objet pour son propre usage.
Les nouvelles découvertes de l'économie poli-
tique ont fortifié la thèse de Locke. On a reconnu
rimportance que présente, dans Thistoire de la
civilisation, Taccroissement numérique de la
population : or, cet accroissement produit, entre
autres effbts, selon Hodgskin, celui de fortifier
sans cesse le respect du droit naturel de propriété,
à mesure que, Taspect de la société se modifiant,
ce droit naturel lui-même varie.
(I) P. 3o.
(a) PP. 3o-3i.
(3) P. 3o.
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■
CHAPITRB DBUXIAmB Xa3
A mesure que rbamaiiité se multiplie, rinflaence
morale de la masse sur les individus est augmentée,
et chacun, sentant llmpossibilité de résister au grand
nombre, se soumet humblement à la voix générale
et se sent par suite enclin à respecter le droit de
propriété^ qui est reconnu par tous (i).
La théorie de Locke rendait difficile de justi<«
fier la propriété du sol ; mais il a été démontré
qu*il n'y a d'autre richesse dans le monde que celle
qui est créée par le travail, et continuellement renou-
velée par lui. Ce principe, universellement reconnu
aujourdliui, fait apparaître le droit de propriété
comme plus absolu et plus défini qu*îl n'était dans la
conception de Locke, parce que le droit de possé-
der le sol est seulement en fait le droit de posséder
ce que produit le travail, agricole ou autre (a).
On pouvait se demander enfin si la loi
continuait à se vérifier dans une société civilisée,
où nul individu peut-être n'achève à lui tout seul
la fabrication d*nn objet. Mais il apparaît qu'elle
reste vraie si Ton considère
que les parts respectives de deux personnes occu-
pées à produire un objet, tel que, par exemple, du
coton, sont fixées entre elles par voie de contrat on de
marchandage, le tisserand achetant le fil au filenr,
comme le fileur achète la matière brute au marchand
fi) P. 4o.
(a)ÎP. 35.
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THOMAS HODGSKIN
de coton en gros. Si on soulève la question de
savoir quelle est la part de deux ou plusieurs
ouvriers occupés au même ouvrage, et quels sont
respectivement leurs salaires, je répondrai que cela
aussi est arrangé par les intéressés eux-mêmes, et
n*est maintenant en aucun cas l'objet d'une décision
législative (i).
Hodgskin déclare expressément quil repousse
le eonunnnisme de Robert Owen, des Saint-
Simoniens, des Moraves; il le tient pour contraire
à rexpérience, condamné par la nature elle-même.
S'il critique le droit de propriété tel qu'il est
aujourd'hui constitué, ce n'est que pour mieux
défendre la propriété naturelle.
L'emploi des choses, comme leur fabrication, doit
être individuel et non collectif, égoïste et non géné-
ral Cest le droit de chaque individu de possé-
der pour son utilité séparée et égoïste tout ce qu'il
peut fabriquer. ... (a).
Vouloir recourir à la loi pour définir la pro-
priété,
c'est intervenir à contre-sens entre notre idée d'indivi-
dualité et les effets naturels de la conduite humaine
qui en sont les récompenses et les peines ordonnées
et aj^propriées .... Comme la nature donne au
travîùl tout ce qu'elle produit, — comme nous éten-
dons l'idée d'individualité personnelle à ce qui est
(I) P. 35, note,
(a) PP. 41, 35.
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GHAPITaS OBUXlàMB
prodaît par chaqae individu, ^ non seulement un
droit de propriété est établi parla natnre, mais la
nature trouve les moyens de nous faire connaître
Fexistence de ce droit. 11 est aussi impossible aux
hommes de n'avoir pas la notion d'un droit de pro-
priété qu'il leur est iinpossible d'être sans l'idée
d'identité personnelle. Lorsque Tune ou Tautre est
complètement absente, Thomme est fou (i).
La Nature, pourrait-on dire, est individualiste :
l'individualisme est, aux yeux de Hodgskiu,
d'institution divine on naturelle.
Considérons d'ailleurs les lois, considérons
leur essence et leur origine, et nous nous convain-
. crons de leur impuissance à produire ou favoriser
le bien général.
. Le législateur prétend travailler « à conserver
l'ordre social, à promouvoir le bien public».
Mais a le bien public est inconnu aux facultés
humaines». L'ordre social, «dépendance réci-
proque de tous ceux qui contribuent à la subsis-
tance et au bien-être de la société », obéit à des
lois dont l'opération « devance tous les plans
conçus par le législateur pour les régler ou les
conserver ». G*est dans le temps que s*écoule
la vie des sociétés ; et pour quel temps le
législateur promulgue-t>il ses lois? Ce ne saurait
être ni pour le passé, ni ponr le présent, ligne
(1) PP. 4fl, 3o.
Oigitized
196
THOMAS HOOGSRIN
sans épaisseur, simple négation du passé et de
Tayenir. C'est donc pour l'avenir. Mais nous
sommes impuissants à deviner Tavenir.
La marche du passé peut projeter son ombre en
avant, de manière à nous laisser savoir en gros que
la société continuera à croître, comme elle s'est
accrue dans le passé, en nombre, en richesse et en
savoir; mais quelle forme prendra cet accroissement,
quelle sera la rapidité de ce progrès, et quelles
relations nouvelles il suscitera entre les individus
et les nations, — quelles professions nouvelles,
quels arts nouveaux peuvent surgir, — quelles
habitudes, quelles mœurs, quelles coutumes, quelles
opinions nouvelles seront formées, quelle sera la
figure exacte de la société, jusqu'aux dernières
nuances du tableau — toutes ces choses, auxquelles
les lois doivent s'adapter, il est impossible qu'elles
soient connues; il suffit de les examiner pour faire
voir au genre humain sous son vrai jour tout le tra-
vail législatif, — dérision de ses intérêts, imposture
dont son intelligence est la victime (i).
Tout ce que le législateur peut faire, c'est
d^enfermer cet avenir inconnaissable dans les
formes du passé qu'il connaît. Toute législation
est donc, par essence, conservatrice et routinière :
elle ne peut ni prévoir, ni désirer les transfor-
mations du genre humain. C'est ici la critique de
Godwin qui est reprise par Hodgskin.
(I) p. lO.
4
Uiyilizeu by <j
CUAPITUË DEUXIÈME 1^7
En . fait, les lois, considérées dans leur ori-
gine, ont été Tœavre de ceux qui, les premiers,
accapai'èrent le pouvoir, a hommes qui n'avaient
de profession que la guerre et ne connaissaient
de métiers que le vol et le pillage » : leurs
descendants exercent aujourd'liui encore le pou-
voir. C*est, après la théorie de Godwin, la
théorie de Paine; mais Hodgskin la renouvelle
et la précise, par Texamen, auquel il se livre, de
Torigine des lois actuelles sur la propriété. Le
droit de propriété foncière ohéit, avec le progrès
du genre humain, à une loi naturelle d'évolution :
chique individu a besoin, pour vivre, d'une
moindre étendue de sol chez un peuple de pas-
teurs que chez un peuple de chasseurs, chez un
peuple d'agriculteurs que chez un peuple de
pasteurs, dans une nation industrielle que dans
une nation de simples agriculteurs (i). Or, il
est venu un moment où le monde civilisé a été
envahi pai* des hordes barbares, qui n'avaient
pas dépassé le niveau mental des peuples pas-
teurs : elles apportèrent avec elles des notions,
surannées par rapport au monde qu'elles en-
vahissaient, sur la quantité de terre nécessaire à
faire vivre un homme, et s'approprièrent, en se
conformant à lem^s notions propres, le sol des
(I) PP. 63^7.
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198 THOMAS HODOSKUr
nations conquises (i). D*oti Topposition, aujour-
d'hui encore fondamentale sous des formes
diverses, dans tout le monde occidental, entre
le droit naturel et le droit légal ou artificiel de
propriété.
Les personnes qui s'approprièrent ainsi le soi de
i'fittrope, le tirent par droit de conquête... Le pouvoir
ainsi acquis, les privilèges ainsi établis, forent la base
de Fédiâce actuel, politique et légal, non social, de
l'Europe... Les conquérants et leurs descendants
ont été les auteurs des lois... La loi... est un
ensemble de règles et de pratiques posées et établies,
en partie par le législateur, en partie par la coutume»
en partie par les juges, appuyé et mis en vigueur
par tout le pouvoir du gouvernement, et visant,
pour ce qui concerne notre sujet, à garantir Tappro-
priation de tout le produit annuel du travail. Nomina-
lement, on dit que ces règles et ces pratiques ont
pour objet de garantir la propriété, d'approprier la
dtme, et de procurer un revenu au gouvernement; en
réalité, elles sont faites pour approprier aux auteurs
des lois le produit de ceux qui cultivent le sol, pré-
parent les' vêtements ou distribuent ce qui est pro-
duit entre les classes et les sociétés diliérentes.
Voilà la loi (a).
Le gouvernement, en d'autres termes, est
l'instrument de domination économique des pro-
priétaires fonciers, qui protègent leur bien par
(I) PP. 69-70.
(a) PP. 72^3,
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CHAPITRE D£UXIÉM£
des lois conçues à cet effet; des prêtres, qui
prêchent Tobéissance aux lois, et reçoivent en
échange « une pai*t de la législation et du produit
annuel du travail »; des capitalistes enfin, qui
sont les alliés constants du gouvernement, de
l'Église et des propriétaires ibnciers. Les capi-
talistes, sans doute, constituent une classe plus
malaisée à délimiter que les autres, parce que les
capitalistes sont très souvent aussi des travail-
leurs, mais certainement « en tant que tels »,
ils n'ont « pas de droit naturel à la large part
du produit annuel que la loi leur garantit »•
Comment dès lors compter sur le fonctionnaire
et le soldai pour réprimer le crime, le vol, dont
ils sont, historiquement, les premiers auteurs?
Des lois pénales, élaborées pour défendre un droit
artificiel de propriété, sont impuissantes à nous
le faire respecter.
Elles infligent de la soutrrance, mais elles ne pro-
duisent pas l'amendement et n'exercent pas d'action
salutaire. Ce qui est généralement bienfaisant, ce
que la Nature commande, n'a pas besoin d^étre imposé
par la loi ; ce qui est fait pour le béoéflce d'une
secte ou d'une classe et n'est pas conforme aux
commandements de la nature, voilà ce que les
hommes cherchent à maintenir par la terreur et la
douleur (i).
^i; P. 158.
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THOMAS HOD68Km
La vraie fin de la loi, c est a la déreuse du
pouvoir du législateur Gela n'est-il pas avoué
par cette piiilosophie étrange, qui demande expli-
citement le sacrifice des individus, seuls réelsi
à la société, à FÉtat, à la loi (i) ?
Heureusement, si les lois humaines sont im-
puissantes pour le bien» elles sont encore impuis-
santes pour le mal. Si vraiment il existe des « lois
de la nature des « décrets de la nature »,
pouvons-nous, sans paradoxe, dire que ces décrets
peuvent être violés? Eu réalité» répond Hodgskin,
•
nous pouvons enfreindre les lois physiques» mais
non pas impunément. Dans le monde matMd et
dans le monde moral, les commandements de la
nature ne nous sont connus que par l'intermédiaire
de nos plaisirs et de nos peines. Si notre tête porte
contre un poteau, elle nous avertit, par la douleur»
que le poteau est plus dur que notre crâne» et nous
ordonne de faire usage de nos yeux. . . En examinant
la question de la propriété, nous verrons aussi que
la misère a pour cause, en grande partie, notre oppo-
sition au droit naturel de propriété. La Nature nous
prémunit contre cette opposition par la doulear,
comme elle nous averlit de respecter les lois de la
gravitation (a).
Donc, les sociétés prospèrent dans la mesure
oit elles obéissent aux lois de la nature. Donc, à la
(I) pp. 45-46.
(a) P. 5^.
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GHAPITRB DBUXlàMB
longue, les lois naturelles doivent triompher.
Qu'est-ce que la loi prise en soi? Un morceau
de parchemin. Quelle en est Tefficacité, abstrac-
tion faite de Topinion publique, qui en assure
Texécation ? La loi n'existe, n'est, en définitive»
constituée que par la tolérance du public. Suppri-
mez la loi, l'opinion suâit à garantir le respect
des droits.
Faites un instant abslraction du statute-book, du
législateur et du juge, et regardez la société : vous
verrez que la plupart des droits, droits des hommes
et des femmes, des voisins et des amis, des parents et
des enfantSy des simples connaissances et même de
ceux qui vivent à l'état d*hosiilité, — car eux aussi
ont des droits — , vous verrez, dis-je, que la plupart de
nos droits domestiques et civils, les plus chers et les
meilleurs, ne sont garantis par aucune loi et n'ont
d'autre sûreté que le respect mutuel de 1 homme pour
l'homme et les sentiments moraux des individus (i).
Supposez, au contraire, que la loi, non supportée
par l'opinion, est l'œuvre du pouvoii* arbitraire
d'un législateur ; elle est caduque.
Le législateur individuel achève bientôt sa carrière;
son successeur a ses caprices propres et ne se
soucie pas d'employer son pouvoir militaire à impo-
ser Texécution d'un caprice de son prédécesseur (a).
(I) P. i36.
s) P. 116.*
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132
THOMAS HODGBKOr
Mais ropinion, qui commande au législateur»
obéit elle-même à des « circonstances physi-
ques )>, à des lois de la nature. En fait,
lorsque nous voyons le grand nombre de lois restric-
tives de rinduslrie et le grand nombre de lois laites
pour lever le revenu du gouvernement, la rente
du propriétaire foncier, la dlme du prêtre et le profit
du capitaliste, nous sommes plus étonnés de voir
que rinduslrie a survécu aux charges immenses qu'on
lui impose, que nous ne le sommes de voir quelques
voleurs, choisissant de vivre ouvertement par le
pillage, au risque d*être punis par les lois, plutôt
que de mener une vie de travail rémunéré. Que les
hommes travaiUent encore, voUà qui contredit m»
vciileusement la vile assertion des législateurs, —
je dis vile, parce qu'elle est laite à une lin vile — ,
suivant laquelle les hommes ont une aversion natu-
relle pour le travail (i).
Si nous voulons donc écrire lliistoire des
sociétés, n'écrivons pas Thistoire des lois posi-
tives : car le progrès de la société s*est accompli
selon une loi naturelle, malgré les gouverne-
ments ; mais iSedsons porter nos recherches sur
« quelques-unes des grandes altérations sociales,
dont elles sont les copies imparfaites (2) »^
Malgré la loi, la propriété foncière s'est subdi-
visée, les revenus du clergé, les revenus du
U) P. 54.
(a) P. Ii5.
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CHAPITRE DBUXlàlIB. l33
goayemement ont diminué. Le progrès du capi-
talisme a été le grand l'ait de l liistoire moderne.
Le capitaliste tut à l'origine un travailleur, ou le
descendant d'un vilain, et il obtint on profit sur ce
qu'il savait épargner du produit de son propre travail,
après avoir arraclié sa liberté à ses maîtres, parce
qu*il tut alors capable de leur faire respecter son
droit à jouir du produit de sa propre iuduhtrie. Mais
ce qu'il reçut alors, et reçoit encore, sous le nom de
profit, est une portion de la richesse annuellement
créée par le travail. En fait, le capitaliste a obtenu
la totalité du pouvoir du propriétaire foncier, et son
droit d'avoir un profit est un droit de recevoir une
portion de ce qui a été produit par le travail des
esclaves de son propriétaire ibncier (i).
MouTement naturel, dans la mesure où il a eu
pool* cause, d* abord le respect du di'oit naturel
de propriété, puis l'accroissement du nombre et
de la richesse des esclaves émancipés. Mouye-
ment qui a déjoué tous les efibrts législatils laits
pour le réprimer et le ralentir : que Ton songe,
notamment, aux lois sur l'usure. Maintenant, par
la continuation duméme progrès, un âge nouveau
va succéder à l'âge du capitalisme.
Nous voyous, par un ellel du respect qu'inspire le
droit naturel de propriété, qu'une grande clause
moyeone, complètement émancipée de ce servage et
(I) P. 98.
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134
THOMAS HODGSKIN
de ce déDûmenl qae la loi tentait de perpétuer en
fixant à la fois le taux des salaires et de llntérêt,
s'est développée dans tontes les parties de l'Enrope,
unissant, dans la personne de ceux qui la composent,
le donble caractère dn travaiiienr et du capitaliste.
Le nombre de ceux-là augmente rapidement, et nous
pouvons espérer, dans la mesure où les belles inven-
tions de Fart prendront peu à peu la place du travail
manuel simple, que, réduisant la société tout entière
à être composée d'hommes égaux et libres, ils feront
peu à peu disparaître tout ce qui subsiste encore
d'esclavage et d'oppression (i).
Cette société future, fondée sur le respect du
droit naturel |de propriété, i'aut-il la décrire ?
Ceux-là jugent possible d'en tracer le tableau
qui croient à reificacité de la législation, qui
considèrent le progrès comme Tœuvre méca-
nique, raisonnée, préconçue, d'un système de lois.
Quant à moi» déclare Hodgskin,
si défectueux que soit notre système [actuel, je ne
suis pas tenu de donner des règles à ce que nul
individu ne comprend ni ne peut comprendre, à la
Société elle-même. Car elle est en voie de progrès,
ou, si Ton veut, elle n'est pas encore créée tout
entière, tous ses phénomènes ne s'étant pas encore
manitestés à notre entendement : je ne suis pas
tenu, si mauvaise que soit la législation actuelle, de
suggérer une législation qui peut-être serait meilleure.
La société est un phénomène naturel, et j'étudie les
(I) P. lOI.
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lois de la société comme j'étudierais les lois qui
règlent le cours des saisons. Supposer que le pouvoir
de les diriger a été remis entre nos mains a été taxé
de foiiepar un de nos pins grands moralistes. A ceux,
qui, de siècle en siècle, ont vainement essayé de
régler la société et d'en déterminer le cours, qui,
sans prévoir aucun des grands changemcnls qui se
sont produits relativement aux droits de la personne
et au droit de propriété, ont été peu à peu contraints
de conformer leur législation aux circonstances
sociales, j'abandonne bien volontiers, puisqu'ils
savent prévoir la condition future de la société, la
tâche de former des projets et de prescrire des lois
pour son bien-être. Je ne vise qu'à vérilier des lois
naturelles ; puis, voyant qu'il y a conllit entre elles
et la législation, je rejette celle-ci, confiant le bien-
être de la société, que Je ne comprends pas, à la
même Puissance bienveillante qui, annulant dans
le passé les décrets du législateur, a toujours établi
et préservé l'ordre, et conduit l'humanité si loin dans
la carrière glorieuse que nous espérons, à eu juger
par les changements passés, qu'elle a encore à
parcourir (i)«
(i) PP. 160-161.
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CHAPITRE m
(18321-1869)
Les années de journalisme. — La collabo-
RATIOlf A l' « ECONOMIST ». — LbS DBUX
GONVÉRBNGBS DE 1857.
Ojgitized
Au moment où Uodgskin publie ses lettres i
lord Brougliaiii, la Hél'orme électorale de i832
est coosomiuée : Uodgâkiu eu apprécie Timpor-
tance, mais ne la considère pas comme définitive.
La question véritable qui est au tond de toutes
les autres, c'est la question du droit de propriété.
Le progrès de 1 humanité, rameur générai de la
liberté, et la haine générale de l'oppression empêchent
l'existence, dans l'Europe enlière, de toute cruauté
odieuse et révoltante ; mais ravarice et le gabpillage
soDt toujours sans frein; et la balaiite, l'ignoble
bataille, be livre seulement pour savoir qui aura le
plus de richesse Pour apporter un soulagement
à la détresse, il n'y a que deux choses que Ton puisse
faire : il iaut, ou bien que la quantité de richesse
soit augmentée, ou bien qu'elle soil mieux et dillé-
remment dislnbuce. . . . Comme les ciiangemcnls
politiques n ont pas produit et ne peuvent produire
les béuélices qu'on attend, les hommes se dégoCi-
teront nécessairement de modilioations puUtiques
qui ne produisent pas de bien; ils s'iutbrmeront des
sources du mal et des moyens de les tarir. U faudra
donc qu'ils remontent à la grande source du mal,
l'opposition du droit légal et du droit ai liliciel de
propriété (i).
(1) AaL and orL r. oj Frop., pp. 14, ly^ifi^ i7o-i;i.
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i4o THOMAS HODonnr
Non seulemeut le Reform Act n'a pas résolu
le problème, mais peut-être va-t-il en aggraver
Tacuité ; car Texpérience prouve que tout chan-
gement de gouyemement empire la situation
économique des nations, provoque des crises,
appesantit les charges, est une cause de misère et
de déception (i)«
A la faveur de ce mécontentement, Hodgskin
a trouvé des disciples. « Tous ceux, nous dit
Francis Place, que les promesses et les prédic-
tions de Robert Owen avaient déçus se trou-
vèrent prêts à tomber dans le piège de Mr. Thomas
Hodgskin, qui, par ses conférences et ses publi-
cations, persuada des milliers d'hommes que
tont le produit du travail appartenait de droit au
producteur individuel (2) ». Au Méchantes' Ins-
titute de Londres, où un « auditoire nombreux et
attentif » (3) écoute ses leçons, il est devenu un
conseiller influent du docteur Birkbeck ; à la
grande colère de James Mill (4) et des Bentha-
mites, il a pris le même ascendant sur Black, le
directeur du Morning Chronicle^ dont il inspire
la politique. Les défenseurs du capitalisme
s'émeuvent, et le réfutent : tel Samuel Read, en
(i) Nat. and art, r. of Prop., pp. 171-172.
(a) Add. Mss. Brit. Mus., 37, 791 L 2i63.
(3) Pop PoL Ec, p. VIII.
(4) Mil! à Broughaju, 3 septembre iâ3a ; Bain, Life oj
Jame9 MiU, p. 364.
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GHAPITRB TROlSlieilB 1^1
1829, dans ses « Fondements naturels du droit de
propiiété et de vente » (i). Quelques membres
des, coopératives de Robert Owen ont lu, sans
doute, en Amérique, sa « Défense du Travail » ; et,
en i83o, Thomas Cooper, l'économiste américain,
dans la seconde édition de ses k Leçons d'Écono»
mie politique », prend ce livre poui* texte de sa
réfiitation des nouvelles tendances, de ce qu'il
appelle la doctrine des « économistes ouvriers »
{mechanic poUtical economists) (a). En i83i,
Charles Knight, dont la violence exaspère Hodg-
skin, prémunit les classes populaires, auxquelles
il adresse ses ouvrages de vulgarisation, contre
les périls du nouvel enseignement. « Ces doctrines
peuvent bien commencer dans la salle de confé-
rences ; elles y semblent inoffensives en tant que
propositions abstraites, mais elles aboutissent à
la folie, à la frénésie, au tumulte, — au pillage, au
feu et au sang (3) ». Hodgskin va*t-ii, encouragé
par ce succès et par ces attaques elles-mêmes.
(i) Natural Grounds of Right to Vendible Property
1829, pp. XXXI et ia7-iâ8. CTest sans doute le nom de
Read qui est mal orthographié Retd, NaU and art,
Hght of Prop,, p« 171.
(a) LeetareBf a* éd, i83o, chap. XXXI, en particulier
pp. 349, 351, 35a.
{3) The Righta of Industry, addressed to the working
nien of the United Kingdom, by the Author of € Tho Re-
sults of Machlnery ». II. Capital and Labour, pp. f5a-iâ3.
Voir aussi pp 56, 67, 58, jioâ.
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THOMAS HODGflKIN
continuer ses| recherches d'économie politique
et devenir le doctannaire du socialisme anglais
naissant ? Mais ses recherches sur la production
et la distribution des richesses ne sont, il nous
en avertit en i83a, qu*an « épisode d*un plus
grand ouvrage sur le droit criminel ».
Les législateurs ignorent toujours les premiers
éléments de la législation criminelle ; et la réponse
correcte et philosophique qu'appelle la question
« Qu*est-ce que le crime ? » renverse d'un coup tout
i'édiiice théorique des peines légales. En partant de
principes qui ne sont pas énoncés ici» l'auteiv s'est
convaincu que tout le travail législatif, si ce n'est
dans la mesure où il consiste u graduellemenl et
pacifiquement abroger toutes les lois existantes» est
une imposture criante (i).
Uodgsidn va-t-il donc achever ce grand ouvrage
sur les idées de loi et de peine, qu*il médite
depuis tant d'années ? En l'ait, Hodgskin, père
maintenant de sept entants, obligé de travailler
pour faire vivre toute cette famille» disparaît,
après i83!2, dans l'obscurité du journalisme ano-
nyme. 11 écrit non seulement au Morning ChrO'
nicle, mais au Daily Acws, au Courier, puis au
JSun; tous les huit jours, pendant de longues
années, et jusqu'à sa mort, il envoie un article
au BrigiUon Guardian; il est un des rédacteurs
(i) jSal, and art, r. of Prop., {u i.
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CHAPITRE TROiSIÀMB l43
■ ■
de ïllUistrated London Nem; il collabore» pen-
dant longtemps, avec Thomas Hansard, à la
publication des comptes-rendus parlementaires.
Malgré ce que ces tâches ont d'absorbant, il
prend part, en qualité de conférencier populaire,
à Fagitation « charti&te » pour rétablissement du
suffrage universel. Mais sans doute les violences
des ch artistes, comme aussi leurs appels à Tinter-
vention de TÉtaten matière de législation sociale,
le dégoûtent du radicalisme révolutionnaire et
socialiste et le rallient, avec tant d'autres, au parti
de Cobden et à l'agitation libre-échangiste. C'est
le moment où nous le voyons, en 1846, entrer à
YJBeonomist, nouvellement fondé par Wilson :
de nouveau, sinon par le livre, du moins par
des articles médités, il va pouvoir faire œuvre
de théoricien et de philosophe social.
Chargé d* analyser les ouvrages nouveaux de
science sociale et d'économie politique, il con-
tinue à affirmer que l'économie politique, avec
ses démonstrations rigoureuses et ses conclusions
optimistes, mérite seule, parmi les prétendues
sciences de Thomnie, le nom de science,
tout le reste n*étant que tradition, tâtonnement,
pétition de principe, caprice, usurpation, opportu-
nisme ; il n 'y a de science en politique que Téconomie
politique (i).
(i) 7 avril i865, pp. 390371.
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l44 TBOKAS HODOfiKIir
Politique, o» plutôt sociale : la première épi-
thète l'ait contre-sens lorsqu'il s'agit de désigne
une science qui précisément postule la non-
intervention des hommes politiques dans les
phénomènes sociaux (i). « Qu'il n'existe ni ne
peut exister une science de la politique », c'est
le thème développé par Hodgskin dans l'étude
qu'il consacre, en i85a (a), au traité de Gomewall
Lewis a sur les méthodes de raisonnement et
d'obserration en politique ». La politique est une
routine, qui change sans cesse, mais dont on ne
peut dire qu'elle lasse des progrès parallèles au
progrès de la société, dont on peut raconter
r histoire, mais dont on ne peut faire la théorie.
Le gouvernement est manifestement analogue à
tous les arts que les hommes commencent instincti-
vement et empiriquement, à ces arts qui conduisent
plus tard aux sciences de ragricnltur^ delà naviga-
tion, de la métallurgie, etc. Mais les sciences en
question concernent piulôt les propriétés des tti i ams
et les lois de la vie végclale, la conformation de la
terre et les mouvements des corps célestes sur lesquels
se guident les vaisseaux^ les propriétés des métaux,
du feu et des fluides ; ce ne sont pas des sdences de
toutes les pratiques grossières que l'on peut avoir
appliquées à mettre le sol en culture, à employer la
voile ou la rame pour se déplacer, à fondre ou forger
(1) lit décembre pp. iGai-aa.
(2) !àj novemhre isôa, pp. làu^-'jj.
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CHAPITHB TROISlàMB llfi
les métaux. Si Ton fait abstraction des procédés
employés de tout temps par les hommes dans la pra-
tique de ces arts, procédés dont il n'y a pas de science
qui se distingue de leur histoire, il y a, dans tous les
arts qui donnent naissance à la science, une matière
distincte de l'homme loi-même. Ën politique, il y a
seulement Thomme, ses arts et ses procédés ; autant
de sujets qui, si on les considère exclusivement
comme distincts de la science de la nature humaine»
ne peuvent devenir la matière d'une science séparée.
U y a une science de la production et de la distri-
bution des richesses; mais c'est une science qui,
comme les sciences de la navigation et de l'agriculture,
concerne des objets matériels distincts de l'homme.
Cette science a beau être liée, par des rapports
étroits, aux arts, aux mobiles, à l existence de l'hom-
me; elle n'est pas exclusivement bornée, cependant,
à ces arts, aux procédés pratiques qu'il emploie, ou
à son existence; elle a une matière; visible et tangible
en laquelle le travail s'incorpore, et qui devient la
richesse, distincte de l'homme lui-même.
En outre, et surtout, peut-on, sans se contre-
dire, allii'iner à lu lois que la science politique
implique la notion de nationalité et que le progrès
du genre humain tend à effacer les nationalités?
r\ politique perdrait donc son objet propre, au fur
et à mesure des progrès que ferait la civilisation.
La politique repose tout entière, comme dil
Mr. Lewis, sur la nationalité. Son essence, c'est que
chaque peuple souverain ait un gouvernement à
lui. . . . Or, le progrès de la société, sinon le progrès
politique^ a consisté, depuis le commencement de
H. -5.
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t/fi THOMAS UODG6K1M
l'histoire, à étendre continuellement les limites de la
nationalité, — à incorj)orer les tribus dans les com-
munautés, les communautés dans les nations, jus-
qu'au moment où une seule nation en a absorbé plu-
sieurs, h y a, donc eu annihilation graduelle, naturelle,
et nécessaire» de cette circonstance spéciale, de ce
principe, sur lequel toute politique est fondée* . . .
11 est possible, quoique la chose soit douteuse, que la
nature humaine ait été dillércntc à des époques difl'é-
r en tes ; mais la base de la politique est é vanouissanle.
11 n'y a de science que du permanent ; puisque la
nationalité n'est pas permanente. il ne peut y
avoir de science politique. — 11 peut être vrai, comme
dît Mr. Lewis, que la science de Téconomie politique
se rapporte aux relations des hommes qui vivent en
société politique cl ne puisse se rapporter qu*à eux
si les hommes, depuis les débuts de Thistoire, ont
toujours vécu en société politique. Mais il peut, en
même temps, être vrai que les principes de la science
de la production de la richesse soient absolument con-
traires, comme nous savons qu'ils le sont en bien des
cas, aux pratiques de lu science politique, et, loin
de lui être subordonnés, soient peut-être destinés à
l'abolir.
L'historien ne devra donc pas expliquer le
progrès social par les interventions, accidentelles
et incohérentes, des législateurs et des sages.
Seule, la « présomption des classes lettrées »
attribue à riniluence des penseurs et des philo-
sophes le progrès de l'Europe moderne (i).
(I) ai octobre 184S, pp. iigo-oi.
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GHAPITRB TROISIAMB
C'est sans le secours direct d'une science quel-
conque, nienlale ou autre, que, depuis le temps de
Locke, Vesprit ou la société a échappé à une multi-
tude de préjugés et s'est développé en tous sens.
Avec le temps et par le temps, VetprU s'agrandit ou
se développe. Les découvertes scientifiques et les
arts qui sont fondés sur elles ne sont Tœuvre ni du
hasard ni des desseins de l'homme ; elles sont un
déveloj)pement régulier et progressif que nulle direc-
tion imprimée par l'entendement humain ne pouvait
produire, — quelle que puisse être l'eâicacité des
attentions prises à cet égard pour rendre les indi-
vidus bons, instruits et sages (i).
Hodgskin ne veut pas que TÉtat, par un
système d'instruction gouvernementale, assume
la tâche de diriger ou d'accélérer le progrès ; il
mène campagne, en iS^'j et 1848, contre l'Edu-
cation Bill y qui soutient Macaulay (s), oppose à
Macaulay les principes de sa propre philosophie
de Thistoire. Macaulay n'a-t-il pas nié que les
grandes révolutions d'Angleterre puissent avoir
été produites «par une réglementation législative
ou par remploi de la force physique » ? Macaulay
a eu tort seulement de considérer les causes
générales, en histoire, comme des causes d*ordre
moral et religieux : si l'Angleterre s'est plus vite
civilisée et émancipéeque les nations du continent,
(i) 16 septembre i854, p. loai.
{2) ao mars 1847, pp. 323-324; 24 avril 1847. pp. 46^^-464 i
I» mai iâ47, pp. 49^64; 3o décembre 1848, pp. 147 1 3.
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i48
THOMAS HODG8KIN
c'est simplement parce que la population, enfer-
mée dans les limites d*une lie, y est devenue de
bonne heure plus dense que dans le reste de
l'Europe. Bref, parmi les facteurs de Thistoire,
celui dont l'action est prédominante» ce n'est
ni le facteur politique ou juridique, ni le facteur
normal ou religieux, c'est le facteur économique;
la philosophie de l'histoire, chez Hodgskin, ce
qu'il appelle « l'histoire de la civilisation », ou
« l'histoire naturelle de l'homme considéré
comme un animal progressif », constitue» au
sens propre du mot, un matérialisme historique,
excellemment déûni par Hodgskin lorsqu'il féli-
cite Thiers d'avoir bien observé
que le fait de la propriété existait à Tortue de la
société, avant que Tidée de propriété fût formée. En
d'autres termes, le fait que la propriété est un droit
précéda l'opinion qu'clh? devait être garantie et con-
servée. Ou peut donc aflirmer que des translornia-
tions de fait, subies par la propriété, devront, à
toutes les époques futures» précéder toutes les
opinions politiques et toutes les transformations qui
s'y trouvent liées. Cette hypothèse concorde avec ce
fait général que touies les connaissances de rhomme,
politiques et autres, et, en dernière analyse, toutes
les opinions de l'homme sont corrigées par les faits
du monde matériel et, par suite, se modèlent sur eux.
L'esprit» à son plus haut degré de perfection, est une
exacte réflexion de la nature extérieure. Par con-
séquent, à la longue, la nature extérieure, dont
l'homme doit savoir respecter les lois pour vivre.
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GHAPITBB TROI8IA1IB
donnera leur figure et leur direction à toutes ses
opimoQb (1).
Mais, si Uodgskin tient l'économie politique
pour la véritable science de la société, celle qui
nous donne la clei' de la philosophie de l'histoire,
il reste Tadversaire déterminé de Téconomie
politique de Rieardo. Lorsque MacGulloch publie,
eu 18469 rédilion complète des œuvres de son
maître, Hodgskin regrette que MacGulloch ait
mal rempli sa tâche d'éditeur en n'essayant pas
de déterminer impartialement
quelle part de la réputation de Rieardo est purement
éphémère et 8'explique très simplement par des
circonstances extérieures ; quelle part, au contraire,
est la conséquence durable des découvertes impor-
tantes qu'il lit et incorpora à son grand ouvrage.
£t Hodgskin, reprenant (a) le travail de cri-
tique négligé par MacGulloch, reproche à Rieardo
d'avoir, grâce à son incontestable compétence en
matière de banque et de finances, obtenu, conune
économiste, un crédit qu'il ne méritait pas; d'avoir
observé les phénomènes économiques, entre 181Ô
et i8ao, à une époqiie de crise où ils ne présen-
taient pas un caractère normal ; il lui adresse,
une fois de plus, toutes ses anciennes critiques.
(i) 3o déeembre x84B, pp. 1480-1481.
(s) a8 novembre l^6, pp. i506-i568.
/
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i5o
THOMAS HODGflKlM
Ricardo a obscurci, alors qu'il prétendait
l'éclcdrcir, la théorie de la valeur telle que T avait
définie Adam Smith :
En nn sens, la manière dont Smith a varié dans
rex pression verbale de son principe sert mieux à
expliquer certains phénomènes socinux que la rigi-
dité avec laquelle Mr. Ricardo en respecte la lettre.
Si l'on substitue, dans la doctrine de Smith, le mot
travaillewr au mot travail^ elle représente plus exac*
tement ce qui se passe réellement dans la société
qne la doctrine de Mr.Ricardo,assez peu intéressante
en somme, puisqu'elle concerne exclusivement les
variations, dans Véchange, de la valeur des marchan-
dises, et ne tient pas compte de l'échange entre les diffé-
rentes classes, travailleurs, capitalistes, propriétaires
fonciers, que Smith se proposaiten partie d*expUquer.
En admettant qu'il y ait chez Ricardo plos d'exacti-
tude verbale ou logique, elle n'a été obtenue, nous
le craignons, que parce que Ricardo a complètement
exclu de sa science ces importantes relations du
travailleur aux autres classes, que Smith discutait
réellement, au prix d'un changement dans sa
terminologie.
En ce qui concerne les salaires, Ricardo
admet que les dillérentes espèces de travail sont
Tobjet d'estimations diiférentes; pnis il passe
outre, pour ne plus envisager que les yariations
quantitatives du ti^avail ; et cependant,
cette diil'érence d'estimation est précisément la
chose dont se plaint un paysan lorsqu'il nous dit qall
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CHAPITRE TROISIÈME l5l
g^^ne seulement sept shilliogs par jour, pendant
qu'un Ministre» un Maréchal, un Archevêque, ou
rhomme qui surveille d'autres travailleurs, gague
autant ou trois fois autant de livres sterling par
Jour.... Nous disons qu'il faut être aveugle sur ce
qui se passe dans la soci<^té, pour ne pas sentir que
les inégalités de rémunération^ les degrés relatifs
d'estimation où sont tenus les dilTérents genres de
travail, et conséquemment les différents taux des
salaires, sont une des questions brûlantes du
jour ; l'ouvrage qui, tout en prétendant traiter de la
plus grande des sciences sociales, néglige systé-
matiquement ce sujet, laisse de côté un problème
qn'Adam Smith avait discuté et qui, par son intérêt,
écrase tous les autres.
Il reprend, sans la modifier, son ancienne
théorie du capital, Toppose, en i854, à Morrison,
auteur d'un « Essai sur les relations du capital
avec le travail» (i);à Rickards, auteur d'un
livre sur (( la Population et le Capital » (a) ; à
Charles Knight, qui vient de remanier et de
publier sous un nouveau titre Fouvrage dans
lequel il avait, en i832, malmené Uodgskin (3).
11 est contradictoire de dire que le capital est le
résultat du travail, et que le capital doit précéder
(1) 39 avril 1854, pp. 458 9.
(2) 18 nov. 1854. pp. 1269-1370.
(3) 3o décembre i854, pp. i453-i454. — V. encore une
lettre qu'il adresse, le Janvier x858, au Moming
Chroniele, sons le titre « Tradê mthoai capital ».
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l53
THOMAS HODOSKIN
toute production.... L'industrie, dit-on, est limitée par
le capital... En quel sens? Ce n'eHt pas par la valeur ni
par la quantité da capital; car la première dépend de
l'habileté des travailleurs, et la seconde de leur éner-
gie. L'épargne d'un noble russe et celle d'un industriel
anglais peuvent être également de lo.ooo quarters
de blé, et Tindustrie qu'entretiendra chaque quantité
de 10.000 quarters sera manifestement Irès différente
en valeur et en quantité Le fait que le capital est
employé^ ou rapidement restitué, dépend d'un senti-
ment : le fonds consiste en ce qu'un homme fait crédit
à un autre, croit qu'il y aura une production future
pour le payer de ses peines, plutôt qu'il ne consiste
en marchandises actuellement existantes ; mais, à
coup sûr, sans qu'il existe un atome de capitcd en
plus ou en moins, les classes laborieuses peuvent
trouver du travail abondant et des salaires élevés, ou
bien être vouées à l'inaction et à la faim. Si Mr. Mor-
rison avait étudié davantage l'homme et ses mobiles
— les relations immatérielles des êtres humains plu-
tôt que les relations des choses matérielles, — son
livre eût été plus profond... L'homme est l'unique
agent productif Toute la science de l'écono-
mie politique concerne l'homme et l'industrie, non
ses produits.
Enfin, la théorie de la rente différentielle est
caduque. Hodgskin félicite Carey (i) d'avoir» en
la critiquant, ajouté une tentative
aux nombreuses tentatives qui se font aujour-
d'hui, de tous côtés et en des sens divers, pour
(i) aS octobre 184S, pp. 1937 -laaS.
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CUA.PITRB TROISIÈME
l53
montrer que le gouverneineiit de la société est dirigé
I>ar des lois pins hautes que celles de la législation
liiimaine.. , pour étabUr rautoriié de lauatare.
Sans doute, les arguments de Garey ne portent
pas toujours. Démontrer que rhomme cultive les
terres légères avant les terres lourdes, ce n*est
pas démontrer qu'il eommence par la culture des
terres moins fertiles : les terres légères sont
d'abord, au point de yue strictement économique
où se place Ricardo, les terres les plus fertiles.
Mais Carey a ce mérite d'opposer des faits tirés
de rhistoire économique des États-Unis au très
petit nombre de faits qui avaient frappé Timagi-
nation de Ricardo, a plus pénétrant qu'instruit i>.
A une époque où il y avait accroissement très
rapide de la population sur un sol fermé,
il conclut, de la rapide augmentation de la rente
qui se produisit alors, à l'origine de la rente et
rexpliqua par l'existence de plusieurs degrés de fer-
tilité du sol et par Toccupation du sol le plus fertile
avant les autres, alors que l'histoire nous y montre
un effet de la conquête et de l'oppression.
Au fond, le pessimisme de Ricardo n'est-il pas
surprenant, à une époque où les énergies produc-
tives du monde civilisé subissaient un dévelop-
pement prodigieux ?
La conclusion qu'avec le progrès de la société le
sol fournit uu revenu constamment moindre au capital
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i54
THOMAS HODOSKtN
el au travail. . . . contredit, en fait, le principe propre
de Mr. Ricardo — à savoir que le travail paie toai le
coût. 11 a contribué à dissiper les doutes et les ano-
malies qui Tenveloppaient, et» depuis lui, on a cons-
tamment et généralement admis cfue le travail est la
source unique de la valeur, la source unique de la
production, le paiement de tous les coûts et le der-
nier régulateur du prix M. Ricardo fait constam-
ment allusion aux perfectionnements de la culture et
aux découvertes techniques comme tendant, par
intervalles, à compenser la chute des profits ; mais
ces perfectionnements, où il voit des exceptions à la
règle, sont, en fait, la règle, et constituent la grande
loi de la population et de la production L'homme
devient habile dans la mesure où Tespèce devient
nombreuse.
La théorie de la rente difTérentielle nVst-elle
pas d'ailleurs, trente années après sa découverte,
si démodée qu'il ne vaut pas la peine de la
discuter ?
Quoiqu'il n'existe pas de réfutation accréditée, en
termes exprès, des erreurs de Uicardo, hi société les
a dépassées (/utô lived thern down)^ et personne, si ce
n'est quelques purs écrivains, ne s*inqniète plus de
ce que Malthus dit de la population ni Ricardo de
la rente (i).
La décadence même de T orthodoxie fondée
par Ricardo semble, en effet, propre à donner
(i) i8 novembre i854, p. 1^69.
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CHAPirra TROISiteB
i55
conûance à Hodgskin en ses doctrines propres ;
Stuart Mill Tient, dans son grand ouvrage, de
distinp^uer. un peu comme Hodgskin l'avait fait
lui-même, entre les lois naturelles et les lois
humaines, celles, eif particulier, qui prétendent
définir le droit de propriété, dont Tinfluence
s*exerce sur les phénomènes économiques (i).
Stuart Mill a peut-être seulement manqué de sens
historique, et son livre aurait, selon Hodgskin,
plus de valeur
s! ses longues dissertations sur la tenure foncière
étaient nettement rapprochées des conditions sociales
parliculières. qui rendent, en ce qui concerne la pro-
priété foncière, tolérable et justifiable en un temps ce
qui est intolérable et monstrueusement injuste et
funeste en un autre. L'appropriation originelle du
sol, par exemple, il y a un grand nombre de siècles»
fut alors un mal supportable; mais l'influence
qu'elle exerce sur la condition présente de Tlrlande
n'est évidemment que destructive.
£t il faut regretter également que Stuart Mill,
esclave probablement des préjugés législatifs
chers à l'école de Bentham, après avoir admis
Texistence de lois naturelles de la production,
ait tenu la distribution de la richesse pour abso-
lument arbitraire, dépendante du législateur et
des coutumes qu'il peut lui arriver d'établir.
(i) 37 mai 1848, pp. 603-604.
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i56
THOMAS HODG8KIN
En réalité» tous les hommes peuvent agir mal, mais
ils ne peuvent éviter les conséquences de leurs
actions : (i'où il suit qu'il y a un juste et un injuste
lorsqu'il s'agit de ia distribution de la richesse aussi
bien que lorsqu il s'agit de protéger ou de prendre
la vie humaine, et qu'une nation ne peut pas davan-
tage décréter la distribution de la richesse qui lui
plaît, ou protéger par la force la distribution qu'elle
décrète, qu'elle ne jniU néglif^or de cultivei* ses
champs ou ravager le territoire d'une autre nation et
commettre toutes sortes d'atrocités, sans violer les
lois morales.
Si les prétendues lois naturelles de la distri-
bution des richesses, formulées par Técole de
Ricardo, doivent être refutées, c'est précisément
parce que, tendant à imputer à la nature le mal
économique et, par suite, le mal social tout
entier, elles nient la véritable loi de la justice
naturelle.
Est-ce à dire que, depuis i83d, la pensée de
Hodgskin n'ait pas varié? En fait, elle a subi
d'incontestables variations, mais dont riin{)or-
tance sera diversement appréciée, selon le point
de vue où Ton se i)lace dans rinterprétation de
sa philosophie ; Hodgsliin continue (i) d aûir-
mer que le droit de propriété, <x tel qu*il
est légalement constitué, n'est pas incapable
d'amélioration », et que « la distribution de la
(i) a6 mai 1849, p. 084.
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CHAPITHB TROlSlàMB 15^
richesse est le problème social du jour, qai
péclame une solution », niais il ne veut pas
« d'une grande altération de la propriété, à plus
forte raison d'un système communiste ou socia-
liste, pour supprimer la distribution actuelle ».
Si Ton songe que Hodgskin a été des premiers à
fournir aux socialistes anjçlais une doctrine
économique, on trouvera la variation grave ; on
la trouvera moins grave si Ton considère que
Hodgskin a toujours combattu, pour des raisons
de principe, toute intervention du gouvernement
et de la loi dans la distribution des richesses,
critiquant les revenus du propriétaire foncier
et du capitaliste précisément parce qu'il attribuait
à ces revenus une origine législative et gouver-
nementale.
Hodgskin trouve injuste et néfaste dans ses
elTets la constitution actuelle du droit de pro-
priété foncière. Mais jamais il n'aurait pu, sans
violer le principe, individualiste et anarchiste,
de sa philosophie sociale, demander au gouver'
nement d'intervenir, soit pour rendre collective
la propriété du sol, soit pour la réduire, de force,
à ses dimensions naturelles. En i85i, paicc^lt la
« Statique sociale » de Herbert Spencer, et
Hodgskin salue avec enthousiasme (i) un livre
(I) 8 février i85i, pp. i9-i5i.
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THOMAS HOD06K1N
qui « se distingue par ses sentiments généreux
et la vigueur du raisonnement et fera époque
dans la littérature de la morale scientifique ».
En fait, lorsqu'on retrouve, contre la théorie
benthamique du droit, sur la définition du droit
naturel, de très frappantes analogies entre le livre
de Spencer et les lettres ouvertes adressées en
i83â par Hodgskin à lord Brougham, lorsque
d'ailleurs on voit Spencer vivre, plusieurs années
de suite, à l'Economiste en contact quotidien avec
Hodgskin, lui rendre visite, lui demander des
conseiiSy emprunter des livres à sa bibliothèque,
n'est-on pas en droit de croire à la possibilité
d'une influence directe exercée par Hodgskin
sur Spencer? Mais Spencer incline vers une
sorte de communisme agraire; et, sur ce point,
Hods^skin se sépare de lui. C'est confondre le
droit de l'individu à l'usage de ses facultés avec
le droit à l'usage du sol ; c'est ne pas tenir compte
du fait qu'avec le progrès des arts un nombre
toujours plus grand d'individus peut travailler
et recevoir le produit de son travail sans par-
ticiper à la propriété du sol ; c'est retirer aux
individus le droit de propriété pour le donner à
la société, alors que « les sociétés n'ont d'autres
droits que l'agrégat des droits des individus » ;
c'est oublier que les droits n'existent que par
le consentement de l'opinion; que» par suite, si
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CHAPITRB TROISIÈME
ropinion consent à l'appropriation individuelle du
sol, c'est qu'elle croit y voir un bien social. Enfin
donner le sol an public et faire payer l'usage de la
terre à ceux qui la cultivent, ce serait soustraire
en fait aux eu lli valeurs une partie du produit de
leur travail, - car c'est une erreur de supposer que
le sol produit quelque chose, — et la conférer à
d'autres hommes, ou, ce qui revient au même, au
public. Ce serait une violation de la propriété et,
pour rindusirie, une terrible entrave. I^a persis-
tance de certains préjujîés inspirés par le landlor-
disme, peut expliquer l'erreur où l'écrivain tombe
sur ce point, il accepte, croyons-nous, sans s'en
rendre compte, la notion que la rente actuellement
payée pour la jouissance du sol est la représen-
tation et l'équivalent du capital engagé dans le sol
par les générations successives et de la conquête
injuste dont les possesseurs originels furent auteurs.
Mais le sol de l'Angleterre n'a pas cessé d'être tout
entier acheté et racheté. Le sol. nous le répétons, pas
plus que l'Océan ou l'atmosphère, ne produit rien pour
la satisfaction des besoins humain^. En général, il
doit être défriché avant de pouvoir être exploité. Ce
qu on appelle, habituellement, le produit du sol, c'est
le produit du travail appliqué au sol; et prélever le
produit du travail individuel appliqué au soi, ou une
partie de ce produit, pour en faire présent au public,
c'est violer le droit à la propriété du travail ou de
ses produits*
Or, vingt ans plus tôt, Hodgskin n'aurait pas
taxé de « préjugé » Topinion suivant laquelle la
rente exprimerait un ancien droit légal, le droit
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THOMAS H0D08K1N
de la force et de la conquête. Mais une phrase,
écrite à la légère, empêche pas qae le déve-
loppement, pris dans son ensemble, soit conforme
aux principes de la philosophie économique de
Hodgskin : si vraiment le travail seul, à l'exclu-
sion des qualités naturelles du sol, est la cause
réelle et la mesure de la valeur, TÉtat, pas
plus que le propriétaire, ne saurait prélever
une partie du produit du travail du cultivateur,
Hodgskin ne se sépare pas des simples radicaux,
de Gobden ou de Bright, lorsqu'il se borne à
préconiser la suppression, en matière de pro-
priété foncière, d'une législation surannée, 'et la
libération du sol, dont une multitude de lois entra-
vent Tachât et la vente; lorsqu'il applaudit à ïEn*
cumbered Estâtes Act irlandais (i), et demande,
dans un siècle de libre-échange universel, réta-
blissement d'un libre-échange foncier (a). Mais
il reste fidèle à ses principes lorsqu'il borne les
obligations du législateur à cette tâche négative :
car il a été démontré, et par Hodgskin lui-même,
que les portions selon lesquelles la terre doit être
répai Lie entre les individus... n'est rien que l'Etat
puisse fixer à Tavîmce, parce que cela dépend à cha-
que instant du chiiTre de la population pour un
espace donnée ainsi que du savoir et de Thahileté des
(I) Oor ehief crime: cause and cnre, iB&^; pp. xi-i3
(a) i3 déc. i856, p. iS^i.
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GBAPrm TROlSlàMB l6l
hommes . état de choses dont l'État , comme tout
groupement d'hommes, doit rester ignorant, tant
qu'il n'existe pas effectivement (i).
Restent les bénéfices du capitalisme : ne
semble-t-ilpasqne Hodg^kin, en vieillissant, lear
soit devenu très indulgent? En i8i5, il s'était
fondé, dans sa critiqae du capital, snr la loi^
énoncée par Ricardo, de la variation inverse des
profits et des salaires : c*est maintenant un des
reproches qu'il adresse à Ricardo,
de mettre en opposition le salaire du travailleur
et le profit du capitaliste, et de regarder celui-ci
comme un prélèvement fait sur l'autre. Ce sont là
des erreurs funestes. Nous savons parfaitement bien
aujourd'hui. . . que les capitalistes et les travailleurs
peuvent, les uns et les antres, obtenir davantage et
être mieux pourvus, par le progrès du pouvoir pro-
ductif (a).
En 1826, il comptait sur les coalitions ouvrières
pour protéger les intérêts des salariés contre les
exigences des capitalistes; maintenant, il con-
damne en bloc
l'intervention entre le capital et le travail des
communistes, des socialistes et des ouvriers coalisés
(toutes ces interventions sont mauvaises). . . Le prin-
cipe qui commande d'observer les lois naturelles, et
II) ao janvier 1849, pp. 72-73.
(3j a8 novembre 1846. p. i558.
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THOMAS HODOSKOr
de ne pas intervenir dans lenr opération, s'adresse
autant aux ^ouverneinenls qu'aux communîsles, aux
socialistes et aux ouvriers coalisés. En tail, la pre-
mière intervention est la mère des autres (i).
Mais si ces expressions trahissent une évolu-
tion de sa pensée, ne trahissent-elles pas, plus
encore, Tinfirmité radicale de sa doctrine ? La
justice et la nature veulent, nous dit Uodgskin,
que chaque individu reçoive le produit intégral
de son travail. Mais chaque individu sera t-il
tenu de consommer tout ce produit ? ou bien
d'exploiter lui-même le capital fixe que son
travail aura produit en sus de la quantité de
produit nécessaire à sa consommation? ou bien
enlin sera-t-il libre d'avancer ce capital à d^autres
travailleurs (Hodgskin semble admettre la légiti-
mité de ces avances), et, dans ce dernier cas,
faut-il admettre qu un régime de parfaite liberté
suffise, à la longue, pour assurer à chacun des
deux contractants, le producteur et l'exploitant du
capital, la part de salaire qui lui est due ? Mais
le producteur du premier capital fixe n*est pas
immortel : lui disparu, à qui revient le bénéfice
de ses épargnes et de ses inventions? A TÉtat?
La philosophie de Hodgskin lid interdit d'envi-
sager cette hypothèse. Aux exploitants de son
capital et de ses procédés ? Il faut donc que FÉtat *
(I) a6 avrU i8{»4, pp. 458-469.
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CUAPITHB THOISlàMB
l63
interyienne pour limiter la liberté que pourrait
revendiquer le producteur de transmettre sa
richesse par donation, héritage et testament. Ou
bien, si cela n'est pas admis, il faut admettre la
légitimité de cette transmission et, du même coup,
de raccuniulation capitaliste. Uodgskiu, qui ne
veut pas de nouvelles lois contra Tusure* se borne
à espérer que
le progrès graduel de la société, par où le capital
et le travail semblent de plus (;n plus se réunir dans
les mêmes mains, est peul-être la solulion la plus
appropriée, la plus juste, la plus aisée,de la difficulté.
Il compte sur la multiplication des sociétés
par actions, sur Tassociation des patrons et des
ouvriers, et se rapproche singulièrement, par là,
des simples radicaux (i). C'est que, depuis i832,
les socialistes anglais sont devenus, ou bien des
révolutionnaires qui croient préparer le règne de
la justice par une révolution subite et violente
et non par une évolution graduelle, ou bien des
interventionnistes, réclamant, avec Tappui de
certains tories^ de nouvelles lois, de nouveaux
règlements, pour les protéger contre les patrons.
Le public s'est remis à considérer avec laveur
la fausse notion qu'un ou deux grands esprits —
un Louis Blanc, un Lamartine, un lord Ashley —
peuvent modeler la société, et que la société ne peut
(I) 17 mars 1849» PP* ^ 4-
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THOMAS HOD68K1N
recevoir de secours que de l'action d'esprits comme
ceux-là (i).
£t les noms choisis à titres d'exemples (deux révo-
lutionnaires, un socialiste tory) sont caractéris-
tiques : s'il faut choisir entre un libre-échan-
gisme bourgeois et un interventionnisme ouvrier,
Hodgskin ne peut s'arrêter au deuxième ternie,
qui lui parait contradictoire. Il ne voit pas dans le
libre-échang^sme une panacée universelle, mais
le premier pas dans 1 application d'une méthode
qui finira par guérir tous les maux sociaux. Il
constate en i854 T accroissement du paupérisme,
et il l'explique.
Toutes les causes générales» quelles qu'^es soient,
• du paupérisme existent encore, et nous ne pouvons
compter sur l'extinction même approximative du
paupérisme tant qu'elles n'auront pas été écar-
tées. Le libre-échange et les découvertes d'or, la
nourriture à bon marché, l'accroissement rapide de
travail, ont eu les effets les plus bienfaisants pour la
diminution du paupérisme» mais ces influences ne
sont plus capables de compenser l'influence néfaste
qui cause le paupérisme en tous temps.... L'inves-
tigation des causes du paupérisme général dans
la société nous conduirait cependant bien loin ;
bornons-nous à dire que le libre -échange était lait
seulement pour en surmonter temporairement
l'influence et qu'il nous iaut, pour nous débarrasser
(1) octobre 1848; pp. 1190- 1191.
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CHAPITRE TROIUÀMB
l66
Gomplèlemeiit du paupérisme, une succession de
mesures libre-échangistes, ou de mesures propres à
écarter les obstacles que l'ignorance et la présomp-
tion ont, jusqu'ici, dressés sur la route de ilndépen-
dance individuelle et du progrès social (x).
En i855, Hodgskin cesse de donner à ïEco-
nomisi des études critiques : ses vues d'économie
politique théorique,trop excentriques encore, ont-
elies fini par indisposer Wilson, le directeur de
la Revue ? Mais il n'y pas encore brouille entre
Wilson et Hodgskin, qui, de novembre i855 à
avril 1857, poursuit, dans une série d'articles de
fond, une campagne, depuis longtemps commencée,
pour la l'éi'orme du droit pénal. Cest toujours,
aux yeux de Hodgskin, le problème capital ; sur
ce point, sa pensée n'a jamais été troublée par la
moindre incertitude. — On est frappé de la mul-
tiplicité des crimes ; on est porté à croire que le
nombre eu augmente ; les réactionnaires, natu-
rellement timides, rendent responsable de cet
accroissement présumé de criminalité la nou-
velle civilisation industrielle et commerciale. On
dénonce la spéculation» mais
sans spéculation nous n'aurions ni chemins de
fer, ni docks, ni grandes conipa<^nies. . Quelques-uns
des individus les plus utiles, les plus grands, les
plus riches d'aujourd'hui — les Stephensou, les Peto»
(I) 18 février p. 170
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i66
THOMAS HODGBKIN
les Brassey, les Baring, les Thoruton, les Rothsdiiid
— sont des spéculateurs (i).
On dénonce le désir de la richesse ; mais,
ce désir bien analysé, on trouve qu'il se ramène, ou
peu s'en faut, au désir du respect mutuel. En dehors
de cela, la richesse se ramène à la nourriture, au vête-
ment et an chauffage. Le désir honnête de ht richesse
consiste à recevoir des services et des honneurs en
échange de services et d'honnenrs rendus. 11 est une
partie intégrante et nécessaire delà société; sans lui,
les hommes ne pourraient vivre en communauté (a).
On dénonce le conuuerce, mais
nous sommes tous des commerçants... et... le
commerce ne consiste qu'en services mutuels par
marché réciproque (3).
On dénonce la concurrence ; mais
elle est le principe d'excellence et donne à chaque
homme sa juste récompense (4).
On dénonce la civilisation elle-même,
mais les traits caractéristiques des sauvages, de
ceux qu'on découvre de nos jours, de ceux que l'an-
tiquité connaissait sont un parfait égoisme, l'absence
dniuniaiiiié el plusdcruse que d^honnêtelé (5).
(I) mars i8.56, p. qoS.
(a) Oar chivf criine^ i^ô7, p. 2.
(3) Oar chief crinie^ 1867, p. 2, i" mars i856, p.iiaS.
(4t Oar chief crime, 1867, p. 3.
(5; Ibid.
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GHAPITRB TROmÈMB
On s en prend à la grande industrie, aux
grandes Tilles : lord Grey voit, dans Taugmen-
tation de la criminalité, « la conséquence natu-
relle d'une densité croissante de population et de
richesse ». Mais
que la population croisse en densité, c'est la con<
séquence naturelle et nécessaire des plus puissants
instincts de noire espè(!e ; qu'elle se soit jusqu'ici
accrue, c'est un l'ait cerlain; qu'elle soit destinée à
s'accroître par la suite, cela semble aussi certain
qu'il est certain que le soleil continuera à se lever;
que tons les hommes s'efforcent de devenir riches,
cela est également certain; si, par conséquent, comme
lord Grey l'a établi et comme l'opinion publique
l'admet, de l'accroissement de la population et de la
richesse découle un accroissement de la criminalité,
il est déraisonnable d'espérer qu'un système quel-
conque de lois pénales ou de maisons de correction
peut arrêter le flot (i).
Après tant de déclamations confuses, la phi-
losophie du droit pénal reste à constituer.
Hodgskin s'essaie à cette tâche; ou, plus
exactement, il vérifie ses préjugés, depuis long-
temps ûxés en ces matières, par des recherches
statistiques approfondies. Dès le début de sa
collaboration à V Economiste il s'est chargé des
articles de statistique morale sur le nombre
des mariages et des naissances, sur le nombre
«
(i) ij janvier iSô6, pp. 3i-3fl.
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l68 THOMAS HODOSKBI
des pauvres assistés, sur le nombre des erinies
commis et des condamnations prononcées. Il
connaît les difiicnltés de ces recherches. Les
phénomènes sociaux sont complexes et les causes
continuent à se prolonger dans leurs effets long-
teuips après avoir cessé d'exister. On ne doit pas
juger du nombre des crimes par le nombre des
condamnations : il pourrait arriver qu'une nation
très criminelle lût, en raison de son insensibilité
morale elle - même, très peu sévère dans la
répression du crime (i). Les statistiques officielles
sont, en outre, mai faites, et dépourvues de carac-
tère scientifique. Uodgskin croit cependant pou-
voir établir, par l'analyse approlondie et prolongée
de ces statistiques, que la criminalité a pour
cause la mauvaise distribution de la richesse, la
misère; que la misère elle-même a pour cause
la violation des lois naturelles par la législation
humaine; que i on ne saurait donc compter sur la
législation pénale poui* combattre la criminalité,
effet indirect de la législation économique et, qui
plus est, eilet direct de la législation pénale.
La criminalité, dit-on, a augmenté. Mais les
statistiques criminelles, mieux faites, mettraient
en lumière le fait que tous les délits n ont pas
subi l'augmentation dont on se plaint. Le nombre
des crimes conti^e la personne est l'esté statiou-
(1) aa septembre i849» pp« 106S-1061.
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r
CHAPITRE TROISlàlfB
i«9
nairt', s'il n'a pas eireclivemenl diiiiimié ; ce sont
les ci'iuies contre la propriété qui sont devenus
plus fréquents. Encoi*e les statistiques ne peuvent-
elles pas nous iournir de reiiseiguements exacts
sur raugmentation de ce second ordre de délits :
comment dire, sur le nombre des crimes actuelle-
ment commis contre la personne, combien sont
dus à rinstinct de vengeance, combien à Tesprit
de lucre et au désir de s'enricliir? Est-ce donc
que la législation pénale a été plus habile à
atteindre les crimes contre la personne qu'elle ne
l'a été à atteindre les délits contre la propriété ?
En aucune façon; mais c*est que, parmi les droits
de l'individu, le droit à la vie est plus facile à
délinir que le droit de propriété. Plus compréhen-
sible, il est plutôt respecté et garanti par Topi-
uion publique, sans contrôle législatif ou gouver-
nemental. Carie droit de propriété est complexe»
il est changeant. C'est un droit social et,
de même que l'individu ne naît pas adulte, mais est
soumis à la croissance et possède, selon son Age,
des droits différents et des devoirs différents, de
même la société nV st pas créée adulte, mais croît à
mesure que la population se multiplie, et, à mesure
qu'elle croit, eUe modilie les droits sociaux ^i).
U) Our chief crime ^ 1867, p. 5; cf. i*^ mars et 8 mars
1856, pp. 2a3-353.
5.
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170
THOMAS HODOBKIN
Les législateurs, les gouvernants, en préten-
dant iixer, immobiliser ce qui, en vertu de sa
nature, change sans cesse, sont responsables en
partie de l'augmentation du nombre des crimes
contre la propriété.
D^aOleurs, la statistique nons enseigne que
Taccroissemeut du nombre des crimes contre la
propriété n'a pas été, depuis le début du siècle,
uniforme et constant. Hodgskin, avec des chiffres
a Tappui, fait voir que, de i8oa à i856, les oscil-
lations de la criminalité ont suivi les oscillations
de la richesse publique.
11 y a une connexion étroite et intime entre la
pauvreté et le crime, entre le défaut de prospérité et
la multiplication des délits, entre le défaut de nour-
riture et le désordre social. . . La misère et le crime
s'accompagnent comme la substance et l'ombre, —
comme le son et l'écho. Etant donnés, chez mi peu-
ple, le degré de prospérité commerciale et la quantité
de bien-être honnêtement obtenu* l'expérience du
passé nous permettrait de déterminer, avec une exac-
titude presque arithmétique, le taux de la criminalité
existante à l'époque (1).
La criminalité a pour cause non pas le désir
de la richesse, mais Fimpossibilité où ce désir se
trouve d'obtenir sa satisfaction légitime par
Teffet d'une mauvaise distribution des richesses.
(i) 18 mai 1844, p. 811 ; la oetobre 1844, pp- 11299-1300.
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GBAPmB TROI8IÈMB Z^I
Le nombre des crimes a baissé chaque ibis — vers
i&k5, vers i843 — que l'application de la politique
libre-échangiste a produit, en dépit de la phrase
célèbre de Gladstone sur les dangers de la con-
centration des capitaux, une distribution plus
égale des fortunes (i). Il peut même être arrivé,
dans ces années de baisse de la criminalité, que
le nombre des crimes de violence soit resté
stationnaire : mais cela u iniirme pas la thèse de
Hodgskin ; car
on n'attendait pas que le libre-échangisme amoin^'
, drirait la colère, la honte, la jalousie, la vengeance
ou toute autre émotion de ce genre ; il ne faisait
concurrence à aucune loi criminelle ; mais il visait à
diminuer la misère, et avec elle les tentations de
violer le droit de propriété : en conséquence, le nom-
bre des délits contre la propriété a diminué (a).
A ces augmentations de la richesse publique,
dues à TémancipatioD de 1 industrie nationale, a
correspondu, d'ailleurs, une augmentation de
population,
preuve à l'appui de ce principe important, que le
principe moral se développe dans la mesure où Tes-
pèce se multiplie. Ce principe est fécond en bril-
lantes espérances pour Tavenir, puisqu'il nous conduit
(i) i5 mars i856, pp. 280^81; 22 mars i856, pp. 3o(>-3o8;
j4 juin i856, pp. ; 26 juillet i856, pp. 8i3-8i4.
14 mai i853, p. 534'
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IJ2
THOMAS UODGSKUl
à croire que i'àge d'or de nos ancêtres était un
simple idéal propliétique, qu'il appartiendra à nos
descendants de réaliser (i).
Bref, pour supprimer le crime, il est néces-
saire et suliisant de supprimer la misère ; et, pour
supprimer la misère, il suffit de la laisser s'élimi-
ner spontanément, après abrogation des lois qui
prétendent protéger le commerce et l'industrie :
par où se trouvent implicitement condamnés
tous les procédés légisiatiTs sur lesquels on
compte pour devancer cette élimination graduelle
et nécessaire du crime. Car toutes les raisons qui
valent contre Teilicacité des lois économiques
valent, a fortiori, contre Tefficacité de toutes les
lois.
Dans presque tous les ordres de règleinenls
commerciaux ~ la loi sur les céréales, par exemple,
tout le tarif douanier» la loi fameuse de iâ44*
fruits les plus récents des délibérations paisibles du
Parlement sous la direction du plus sûr de tons les
hommes d'État du siècle —, le Parlement a échoué.
Pourtant ces lois concernent toutes des objets maté-
riels et mesurables, aliments, or, monnaie, vêtements,
nombre d'habitants, etc ; elles étaient toutes des lois
modernes, faites à une époque où les sujets auxquels
elles se rapportaient devaient être l'objet d'investi-
gations nombreuses et étaient supposés parfaitement
connus. Si donc les plus sages commettent de telles
(I) ao juillet i8ôo, pp. ^^7^0.
Oigitizeci by
CHAPITaS TROISlàMB
méprises alors qa*il s*agit de choses mesurables,
n'est-on pas en droit de supposer que des lois et des
règlements mis en vigueur il y a longlemps. alors
que l'on ne pouvait se ligurer, même en rôve, les
conditions sociales d'aujourd'hui, ne sont pas les
meilleiirs moyens pour développer, dans le présent
et l'avenir, la moralité et le bien-être poblics (i) ?
Hodgskin reprend donc, une fois de plus, sa
critique de la notion de loi. Les lois sont toujoui*s
coûteuses dans leur application ; elles produisent
de la pauvreté, et la pauvreté est la eause du
crime (a). Elles sont immobiles dans une société
qui se transforme à chaque instant. Elles sont
rigides et elles s'appliquent à une matière inti-
niment variée (3). Surtout elles entretiennent
dans les esprits, par leur existence même, la
coulusion entre ce que la nature interdit et ce
que la loi condamne, entre Fimmoral et l'illégal,
entre le droit naturel et le droit positif.
Les notions que nous avons du crime et de la
peine sont en train d'acculer à d'extraordinaires
contradictions ceux qui mènent la société, ceux qui
aspirent à en diriger l'action globale, action distincte
des aetions isolées des individus, qui sont la cause
de toute sa richesse. On commence par postuler que
le crioie, c'est ce qui est détendu ; et, sans s'inquiéter
(i) novembre i855, pp. i96o-i96f.
ia] 7 Juin iS66, pp. 61M19.
(3) 3o mars 1860, pp. 339-34a
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174
THOMAS HODOSKOr
beaucoup de savoir ce qui est défendu ou quelles
espèces particulières d'actions sont défendues, on
conclut instinctivement que les actions qui blessent
ceux qui agissent au nom de la société globale sont
des crimes; et, par suite, au lieu de veiller seulement
à ce que les défenses de la nature soient respectées,
un nombre immense d'actions — par exemple yendre
ou boire un verre de bière à une heure déterminée,
lorsqu'un homme a chaud ou soit' — sont classées
comme crimes et punies (i).
. Par où s'explique l'immoralité manifeste des
I gens de loi : ayant pour métier de défendre la
' loi parce qu'elle est ancienne, parce qu elle est
. loi, leur sens moral retarde toujours sur celui
du reste des hommes, et en particulier des com-
merçants, qui créent, progressivement et insen-
.siblement, la morale spontanée de la société
naturelle (2). Ceux qui font la loi, ce sont les
riches.
Notre jurisprudence pénale, dans la mesure où
elle concerne la propriété, est une espèce de législa-
tion de classe (3).
Ceux qui l'ont créée, ce sont ceux qui, avant
rappai*ition de la richesse mobilière^ détenaient
(i) 3o septembre. i8ft4» pp* io65-tofi6. Cf. 37 mars i859,
pp. 337^
fa) sS juin i855 : pp. 671-673 Cf. i5 septembre et 3 no-
vembre iS56, pp. lozi, iaîo4-xso5.
(3) 6 septembre i856, p. 989.
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I
GHAPltRB TROlSlàMB 1^5
le pouvoir : les propriétaires du sol, mailres
d'esclaves.
Sur ce point comme sur tous les autres, les
hommes ont commencé d'agir avant d'avoir acquis,
ou pu acquérir, la connaissance des conséquences de
leurs actions. Dans tous les Étais de Tantiquité et du
nioyen-âg-c, resclavage r(''gnail en Euro[)e, et c'est
dans cet état social que les principes de notre législa-
tion pénale furent adoptés; c'est à lui qu'ils lurent
adaptés. A Torigine, les lois furent naturellement et
nécessairement Texpression de la volonté arrogante
des maîtres. . . Alors. . . la simple force brutale— la
vigueur d'un Hercule ou d'un Saïuson — était de
toutes les qualii és lu [)lus a<lmirée et la plus honorée . .
11 était alors naturel que l'homme considérât cette
qualité dominatrice comme le moyen d'obtenir le
succès en toutes choses, et, s'il visait à atteindre une
fin morale, c'était encore par les mêmes moyens
physiques. La force brute fut incorporée à des lois,
et, dans le inonde moral coiiiine dans le monde
physique, on attendit d'heureux eilets de l'emploi de
la violence. . . En dépit de la longue expérience con-
traire que nous offre, en particulier, le spectacle de la
vie domestiqué, en dépit de l'expérience des écoles et
des universités, de la marine, des armées et des
universités, expérience qui, à tous les degrés, tendait
à nous convaincre que, de tous les moyens à employer
pour atteindre un but moral, la violence étail le pire,
nous continuons à vénérer, dans le principe de la
violence, le tondemcnt de notre code actuel; et nous
demandons la sécurité, la vertu, la réforme des mœurs,
aux violences que le code prescrit sous forme de
peines : emprisonnements, déportations, pendaisons.
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THOMAS BOOOS&Uf
fusillades. • . Le principe de la violence» l'espoir de
réaliser un progrès moral par l'emploi de la force
physique, était à la base <ie toutes les perséculions
religieuses, aujourd'hui si justement stigmatisées.
Le même principe est encore la base de toute notre
législation pénale (i).
Mais, après le triomphe du principe de la
tolérance en matière religieuse, il est naturel et
nécessaire que la ruine du principe de la violence
soit un jour consommée par la disparition de
toute espèce de législation pénale.
En détail, Hodgskin démonti*e la vanité des
diverses pénalités imaginées pour prévenir le
crime. Si la peine de mort a une efficacité, ce
n*est pas celle que cherchait le législateur en
l'instituant. Reprenant une théorie déjà formulée
par lui*méme, autrefois, dans son « Voyage en
Allemagne », Hodgskin distingue deux éléments
dans la loi : d'une part, la déclaration solennelle
de ce que la nature interdit, ou est supposée
interdire, et, d'autre part, la menace d'une peine
infligée par les agents du gouvernement, menace
destinée à intimider ceux qui éprouvent une
tentation réelle de commettre lacté interdit.
Avertir que telle action déterminée constitue un
crime capital, c'est avejtir tous les citoyens,
tous ceux qui considèrent d'ailleurs leur déca-
(i) 219 décembre i855, p. 1428; 17 novembre i855,p. is6i.
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CHAPITRE TROISIÈME
pitation comme infiniment invraisemblable et
iuintaine, c[ue l'acle en question est tenu^ par la
société à laquelle il appartient, pour particuliè-
rement détestable ; c'est inspirer, à l'égard de cet
acte, une aversion exceptionnelle ; c'est détruire;
chez quiconque craint la réprobation de ses sem-
blables, la tentation de le commettre. Mais^ pour
les criminels professionnels, pour ceux qui sont
tentés de commettre le crime, qui sont sm* le
point de le commettre, la crainte de la mort, que
le législateur avait précisément le dessein d'ins-
pirer, n exerce qu'une influence insignifiante :
la menace du châtiment n'est qu'un risque ajouté
à tant d'auti'es, un charme de plus dans une vie
de dangers et d'aventures. L'action éducative de
la peine capitale est réelle, mais ce n*est pas dans
la mesure où son action consiste non pas à suppri-
mer le coupable ou à lui faire craindre sa sup-
pression, c'est dans la mesure où elle le frappe
d'infamie ou, mieux encore, Tavertit qu il est
frappé d'infamie par ses semblables (i).
Avec la mort toute peine terrestre, tout chftiiment
prend fin. Il faut pcriuettre au pécheur de vivre pour
qu'il souHre et serve de leyon aux autres (2),
La peine de mort n'est-elle pas, d'ailleurs,
(I) a mai 1867, pp. 475-476.
(aM7 mai 1866, pp. 53i-633; cf. 3i mai x856, pp. 587-58S.
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IjS THOMAS HODGBKIM
déjà virtuellement abolie (i) ? Les jurys| ne Com-
mencent-ils pas à éprouver des scrupules reli-
gieux lorsqu'ils se voient obligés par la loi d'en
demander rapplication ?
Ce n'est pas à nous, ni à aucun homme, de pré-
férer ce que notre imagination peut conjecturer de
Tavenir aux prescriptions simples de la moralité.
Nous devons tous essayer de bien agir, et puis nous
fier, pour l'événement, à celui des mains de qui
dépendent tons les événements de cette vie.... Le
jury de Devizer et le public en général chérissent la
croyance à l'immortalité, à des peines et des récom-
penses après la mort, et la trouvent incompatible
avec rinfliction de la peine de mort : tôt ou tard, et,
pour une part» en raison de cette incompatibilité, il
faudra que Ton y renonce (a).
A défaut de la peine de mort, conservera-t-on
ce que le droit anglais appelle les peines secon-
daires ? la prison ? la déportation ? La prison
crée le récidiviste, le criminel professionnel, et
le droit pénal moderne n a pas encore découvert
les procédés qui débarrasseront la société du
criminel professionnel. C'est d'ailleurs une loi, en
économie politique, qu'en subvenant à Tentretien
d'une certaine classe d'hommes, on assure la
reproduction constante, i'oilï*e régulière de la
classe d'hommes en question. Tout l'argent que
(i) 29 janvier i853, pp. Ii4-ii5.
(a) 18 août 1849, pp. 909-910; cf. 2G janvier i856, p. 84.
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OBAPITBK T&OlSlàlfB
179
coûtent il 1 Etat la déportation et les prisons
constitue une demande perpétuelle de criminels :
d*o(i une ofAre correspondante. La prison est « ce
qui nourrit le crime (i) ».
Mais la philanthropie moderne a imaginé,
pour lutter contre la criminalité, des remèdes
purement préventifs, des établissements pour la
« réforme » des jeunes détenus, un système géné-
ral d éducation du pt'uple par TEtat. Malheureu-
sement, les reformatories n*atteignent pas leur
but. On veut mettre les enfants en état de gagner,
plus tard, honnêtement leur yie ; et on leur impose,
en attendant, une existence d*esclaves, radicale-
ment différente de leur existence future d'hommes
libres (a). S'il s'agit d'élever paternellement les
enfants, mieux valait s'adresser aux parents.
— Mais ces pai^ents élevaient mal leurs enfants.
— C'est trop souvent parce qn*ils étaient misé-
rables : voici qu'on les appauvrit encore, en
demandant à la nation de subvenir, par 1 impôt,
à Tentretien des reformatories (3). Quant à Fensei-
gnement du peuple par TËtat, on sait déjà que
Hodgskin s*est déclaré hostile à ce procédé gou-
vernemental de moralisation des masses, coûteux
(I) 10^ mai x856 : pp. 5o3-5c4; cf. 90 avril 1866, aS sept.
i856, p. 1178.
(a) 99 déc. i865, pp. i4a7-i49B.
(3) 6 sept. 18S6, pp. 981-a.
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THOMAS HOOGaKUf
et nuisible comme les autres. Si les statistiques
prouvent, dans une certaine mesui^e, qu'il existe
un rapport inverse entre le nombre des criminels
et le développement de Téducation, c'est qu'il
s'agit de Téducation privée. Mais le progrès de
l'éducation privée, le fait que, spontanément, les
parents sont disposés à donner plus d argent pour
réducation de leurs enfants, implique un accrois*
sèment général de la richesse et de la prévoyance
populaires : et voilà la véritable cause de la
diminution du nombre des crimes (i).
Ni) as observons, depuis les origines de l'iiisloire,
un progrès graduel du savoir, qui, se développant
naturel iement et nécessairement à mesure que la
population augmente, amène avec soi la civilisation.
Nous espérons, certainement, qu'à la fin, et à une date
peu éloignée, ce progrès enseignera aux hommes à se
passer de policiers, de soldats et de geôliers. Ce genre
de progrès, nous le voyons partout, et peul-èlre
toujours. L'éducation, qui enrégimente conscien-
cieusement les hommes dans la stricte adhésion aux
connaissances antérieurement acquises, qui les
dresse à accepter les vues et servir les fins des édu-
cateurs, nous en avons le spectacle au Paraguay.
L'éducation, alors, est tout entière ténèbres et des-
truction; — le progrès du savoir est tout entier
lumière et vie. Mais ces deux chose&r dilTérentes et
opposées, lorsqu'elles se rapprochent Tune de l'autre
et que l'éducation est employée à répandre tfne petite
(i) 12 avril j856, pp. 3t)3-3y4*
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CHAPITRE T&OISlàllB
l8l
partie da savoir continuellement acquis, sont eon-
ibndues par bien des gens, el regardées comme une
seule el môme chose; alors les eftels bientaisants du
progrès naturel du savoir sont attribués à des sys-
tèmes comme celui du Paraguay, systèmes faits pour
FentjraTer, sinon pour rétonffer tont-à-fait (i).
Faudra-t-il, en conséquence, abolir tontes les
lois, et puis compter $ur la disparition, immédiate
ou rapide, de tous les crimes ? Uodgskin ne va
pas jusqu'à cet excès de simplisme. Si la dispari-
tion du régime de la loi est le vrai remède contre
le développement futur de la criminalité, encore V
existe-tril actuellement des crimiuels, produits
d'un état imparfait de civilisation. Que faat4l \
faire de nos criminels ? Au début de 185^, Hodg-
skin aborde le problèuie (2) pour le ramener à \
ses termes élémentaires. Il distingue entre deux '
classes de criminels : les uns, que l'on rencontre
dans toutes les circonstances et chez tous les
peuples ; les autres, qui existent seulement dans
les sociétés les plus civilisées et les plus complexes;
— les premiers, coupables par accident ou par
occasion, qui commeUent les crimes de passion ;
les auti^es, criminels professionnels,
qui vivent par et dans le crime, qui s'y sont
(I) 17 avril i847« PP- 4^^440 j cf* i<> avril, pp. (^lo-^^iu
(a) 3i janvier 1867 : How toget rid of our eriminala
pp. IIO-XII.
H. — e.
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THOIIA8 HODOSKIN
exercés dè.s renfance ou bien s'enrôlent constam-
ment dans l'armée (ks criminels, dont la vocalion et
Je métier est de transgresser et d'éluder la loi, pour
qui la société est un ennemi à dépouiller,- qui, en
définitive, exeriSent one profession dans laquelle le
vol qualifié (pettjr larcenj) est le premier grade, le
cambriolage ou la fabrication de fausse monnaie
riionneur suprême.
A propos de ceux-ci, les seuls que Hodgskin
considérera, deux problèmes se posent encore :
que faire des criminels quand nous avons mis la
main sur eux ? que laire de ceux que nous remet-
tons en liberté, une ibis leur condamnation pur-
gée ? Sur ces deux points, Hodgskin se propose
de déliai r les principes j puis d examiner les
moj'ens d^exécution.
Le 28 février, Hodgskin ti-aite de la (|tiestion
des prisons (i). 11 réclame des prisons cellulaires,
en Tabsence desquelles les prisons sont les écoles
du crime. 11 critique la metUude qui consiste à
infliger aux petits délinquants des emprisonne-
ments répétés, mais très courls, qui finissent par
ne plus agir sur T imagination du coupable, et par
devenir pour lui une habitude. Le si mai, il traite
de la peine de mort (2). Mais un article du i6
mai (3), qui contient un éloge sans réserves des
(I) Lihevated criminals. — How crime ia Jo8i€r€d,p, aaa.
(a) Th^bearing of pénal laws on the criminal classes»
pp. 4:o-4;().
(3) liepression of crime^ pp. âSii-ôâS.
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CHAPITRE TROISlàllB
l83
reformatorieSy et dénonce r«hamanitarisme faible
et morbide, aujourd'hui à la mode », u est visible-
ment plu» de Hodgskin. Wilson vient de rompre
avec lui : sans doute il a trouvé ses articles trop
doctrinaux pour une Revue d'informations com-
merciales et financières, et trop compromettants
pour une Revue où les articles ne sont pas signés;
ou bien encore, plus simplement, les doctrines
de Hodgskin lui ont déplu. Hogdskin se trouve
réduit à liaire appel directement au public et lance
des invitations à deux conférences qu*il organi-
sera, le aomai et le 3 juin, à Saint-Martiu's Hall,
pour exposer sa philosophie, toute négative, du
droit pénal.
Au début de sa première conférence (i),
Hodgskin introduit dans sa philosophie sociale
un élément nouveau, qu'il semble avoii* emprunté
à Garlyle : ce facteur, c'est Timitation.
L'homme est né dans la société, comme il est né
homme. Les lois ne créent pas la société. L'homme
est grégaire comme le mouton ; et, comme l'abeille^
il travaille en commun pour assurer sa subsistance
propre et la subsistance de l'espèce (a).
Limitation est un facteur dont V extension est
universelle.
{i)What ahaU we do mth our criminals ? Don't create
them. À lecture, delivered at St-Martin's Hall, m»y aoth
IS5:;.
(a) FP. i3-i4.
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THOMAS HODG8K1N
Dans cette condition de dépendance réciproque où
sont les hommes, la société ne serait qu'une succes-
sion de conflits, où le frottement finirait par tout
réduire en pièces, si les hommes n^étaient doués des
moyens de se mouler l'un Tautre par une action
réciproque et silencieuse ; de sorte que tous soient
subordonnés à la fin commune, qui est de tendre au
bien générai (i).
L'imitation est un iketeur dont ïintenaité ya sans
cesse croissant.
Dans le progrès de la société, l'éducation» le loisir,
des carrières dilTéri^ntes, bornant nécessairement
l'attention de chacun à des objets différents, tendent
à mettre la variété dans les connaissances et la dis-
cordance dans les habitudes ; Tinfluence silencieuse
de l'exemple est l'huile qui diminue et détruit le
frottement des individus dissemblables et des classes
dissemblables. Les procédés de l'un sont imités par
un autre. Les jouissances sont contmùellement éga-
lisées... U y a tendance constante à retourner à
TégaUté originelle de l'humanité et à la conserver
toujours pendant que tous progressent (a).
L'influence imitative des classes supérieures
. sur les classes inférieures, voilà le thème que
Hodgskin se propose de traiter ; par ce biais, il
démontrera que ni la nature ni les classes
gouvernées ne sont responsables de l'existence
{!) P. 14.
(a> P. 17.
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GUAPITRB TROlâlÀMB
l85
du crime, que les criminels soDt « le résultat
inévitable d'un système erroné ». Que deçons-
nous faire de nos criminels ? demandent les diri-
geants ; Hodgskin répond : Ne les créez pas.
Les classes supérieures ont exercé sur les
classes inférieures cette influence salutaire de leur
inspirer le goût du luxe, d'augmenter leurs besoins
et» par suite, en iin de compte, d'améliorer leur
condition. Elles ont encore, par leur exemple,
discrédite les habitudes violentes et la pratique
du meurtre. Mais, d'autre part, elles ont été, de
tout temps, les classes gouyemantes ; et, contre
les pratiques gouvernementales.cause etprototype
du crime, Hodgskin, une fois de plus, dans sa
deuxième conférence (i), reprend ses anciennes
critiques. Le droit positif est la négation du droit
naturel, du droit de propriété en particulier. La
loi, voilà le premier crime. Que l'on considère la
méthode de rémunération des fonctionnaires.
Dans les bonnes et dans les mauvaises saisons,
en temps de prospérité et en temps de crise, ils
se sont mis à l'abri des accidents naturels. La
nature donne à chacun le produit de son travail
ou bien, dans le monde de l'échange, une valeur
équivalente à la valeur de ce produit. Mais les
fij Onr chief crime : cause and cure. ~ Second lec-
ture, on what shal) we do our criminais? déllvered at
St-Mariin's Uali, june 3, 18Ô7.
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i86
TmOMAB HODGBKllf
gouvernants veulent avoir des revenus certains
et fixes, quel que soit le produit de Findustrie (i).
Ils s'accordent tn conséquence pour prélever ce
qu'il leur plait sur le produit annuel, du travail
social. Pàreux,
le droit Mcial de propriété, résultat inéçitable de
la vie sociale^ inférieur beulement en importance et
en sainteté au droit à la vie, et indispensable pour
assurer la subsistance de tous» finit par être mis sur
le même rang qu'un cérémonial de cour et par 6tre
considéré par les Chanceliers de TÉchiqnier comme
une chose qu'ils peuvent traiter à leur fantaisie à la
façon d'une place de concierge dans un ministère (3).
D'où, par réaction, les utopies communistes,
la négation du droit de propriété, Tassimilation
de la propriété au vol. Mais ces deux erreurs
contraires sont destinées à dispai*aitre Tune et
l'autre.
Tous les besoins du peuple, physiques et sfuri-
tuels, ne peuvent être satisfàits que par plus* de
liberté et moins d'impôts. Les principes annoncés en
1842, et auxquels on s'est depuis lors partiellement
conformé dans la pratique avec un succès éclatant,
doivent être introduits dans toutes les parties de
la société. La concurrence illimitée, que la nature
établit, doit être la régie de toutes nos transactions ;
et c*est par les oscillations du marché, qui est action
il) P. 20
la) P. ^.
* * Digitized by Google
CHAPITRE TROISIÂMB 187
réciproque et libre, que doivent être réglés les traite-
ments des fonctioimalres et le paiement da clergé,
aa même titre que le firofit dn boutiquier et le salaire
du travailleur. La société ne peat rester unie si
elle reste sous la domination de deux principes
hostiles (i).
Peu de monde assiste aux deux conférences ;
parmi les assistants, plusieurs manifestent leur
scandale. Hodgskin, en imprimant ses confé-
rences, s'excuse du caractère nécessairement
imparfait et sommaire qu'elles présentent et,
dans un appendice, annonce son intention de les
compléter
en faisant voir que toute législation, y compris,
naturellement, le gouyemement, est fondée sur de
faux postulats. Il est occupé à préparer pour l'impres-
sion un ouvrage qui sera intitulé démonstration db
l'absurdité DE LA LÉGISLATION. Pendant toute une
longue existence, le sujet a occupé sa pensée et sa
plume, et il se propose d'expliquer ses vues sous une
forme didactique et systématique (a).
Mais Hodgskin ne publiera pas T ouvrage
annoncé. Le loisir^ ou l'argent, ou la santé, ou
le temps (il a près de soixante-dix ans) lui fera
défaut. En janvier 1869, nous le voyons encore
habitant le faubourg d'Islington, à Londres, et
(1) P. 26.
(a) P. note.
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i88
TBOlCiiS H0D08KIN
protestant contre la légende qui attribue à Brou-
gham la fondation dn Meehanies' Institute, En
1860, il marie sa plus jeune fille, le seul de ses
sept enfants qui n'ait pas encore quitté la maison
paternelle. Lui et sa femme abandonnent alors
une maison trop vaste, située dans un quartier
devenu trop populeux. Us vont s'établir plus loin
dans la banlieue, à Hounslow, puis à Feltham.
Sans avoir complètement renoncé au journalisme,
Hodgskin s^est affranchi de la nécessité d'écrire
un article de journal par jour ; aidé à vivre par
son fils, il passe quelques paisibles années de
vieillesse, dans le repos de la campagne. Il meurt,
le ai août 1869, après quelques jours de maladie,
à Vkge de quatre-vingt-deux ans. Il semble que
ses compatriotes, ses confrères, aient oublié son
existence : pas un journal ne publie, à Londres, '
une notice sui^ sa vie et ses œuvres.
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CONCLUSION
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Ainsi s'achève, dans l'onhli, T histoire de cette
carrière manquée. Pourquoi Hodgskin ne fit-il
pas de ses facultés de penseur et d^écrivain
Tusage qu'il aurait dû faire ? On peut en trouver
la raison dans celte timidité, dans ce défaut de con-
fiance en ses propres forces, dont il avait, jeune
homme, tant soull'ert. On peut soupçonner aussi
que les besognes du journalisme lui interdirent
cette concentration de la pensée, nécessaire y)our
la rédaction d'un ouvrage d'économie politique,
de droit pénal ou de philosophie de l'histoire. Il
faut tenir compte encore des circonstances histo-
riques. Dans les années qui suivirent i83'i, il n'y
avait pas demande pour an livre d'économie
sociale doctrinale, de la part d'une niasse ouvrière
insuffisamment éclairée. Les plus instruits parmi
les ouvriers, sorte d'aristocratie parmi les travail-
leurs, s'accommodaient de l'enseignement des
disciples orthodoxes de Ricardo. Aussi bien,
lorsqu'il fallait en venir à tracer un programme
d'action pratique et de réformes, le socialisme
libertaire de Hodgskin différait-il beaucoup du
libre-échangisine des Ricardiens? Vingt ou vingt-
cinq ans plus tard, Hodgskin aurait pu, à la
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19»
THOMAS U0DG3KIN
rigueur, développer la philosophie anarchiste
de l'histoire et de la société que Spencer et
Buckle allaient pupulaiùser en Angleterre. Mais
il était vieux, Spencer et Buckle étaient jeunes ;
c'est Tannée iiiéme où parait» avec un succès
foudroyant, le premier volume de V « Histoire
de la Civilisation », que Ilods^skin, chassé de
V Economiste dispai'ait dans la retraite.
Son rôle est important, néanmoins, dans Fhis-
toire des idées, et nous ne connaissons peut-être
pas d'exemple plus propre à laisser voir quelle
utilité présente l'histoire de la filiation des doc-
trines pour la connaissance des doctrines elles-
mêmes.
Le point de départ des spéculations de
Hodgskin, c'est le radicalisme utilitaire ; mais^ '
pour qui l'étudié au point de vue logique, le
système de Bentham est un système équivoque :
à demi autoritaire, à demi libertaire. Tantôt
Bentham se fonde sur le principe de Tidentîté
spontanée des intérêts pour ailirmer que le gou-
vernement doit tendre à sa propre annihilation
et [)oui' demander qu'on abandonne la société à
l'opération naturelle de ce principe bienfaisant.
Tantôt il a£9rme qu'il appartient au gouverne-
ment, par 1 espoir des récompenses, et surtout
par la crainte des peines, de créer artificiellement
rharnionie des intérêts individuels. Godwin avait
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GONCLUSION
déjà, en se fondant exclusivement sur le premier
principe, développé Tidée d^nne « société sans
gouvernement ». Mais, lorsque Godwin écrivait,
Bentham n'avait pas encore amalgamé les deux
principes dans l'unité apparente d'un système, et
leb industriels, maîtres de l Angleterre, n'avaient
pas encore fait le snccès d'une doctrine qui leur
promettait l abolition de toutes les entraves légales
à l'esprit de spéculation commerciale, en même
tem])s que la rédaction d'un code clair et efficace
pour la répression des délits contre la propriété.
Hodgskin ressuscite Godwin contre Bentham. Le
premier, avant Herbert Spencer, il fonde une
philosophie libre-échangiste sur la critique de la
philosophie benthamique du droit. Alors que
Carlyie, dans un mouvement de réaction
passionnée contre les idées en cours, confond
dans une même réprobation le benthamisme et
le cobdenisme, Hodgskin aperçoit et met en
lumière la contradiction des deux philosophies.
Il ne peut admettre que le parti radical s'accom-
mode d'une politique tantôt antigouvernementale
et libérale, tantôt administrative et codifiante :
« la société ne saurait rester plus longtemps sou-
mise au joug de deux principes hostiles ».
Mais, si les idées de Hodgskin ont leur point
de départ dans la philosophie de Bentham, c'est
dans la philosophié de Karl Marx, on le sait.
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194
THOMAS H0i>08K]N
qu'elles vont se perdre ; et c'est sous leur ibrme
marxiste qu'elles acquerront une universelle po-
pularité. Karl Marx n'avait peut-être pas encore
lu Uodgskin lorsqu'il publia là « Misère de la
Philosophie »; cependant, sans compter que, dans
cet ouvrage, il mentionne Thompson, disciple
de Hodgskin, .il nous avertit qu'il pourrait nom-
mer bien d'autres économistes anglais à l'appui
de sa thèse. Dans le « Capital », il cite à plu-
sieurs reprises les trois ouvrages de Hodgskin,
aux passages les plus importants de sa théorie de
la valeur. Qui sait même si, de i85o à 1860, tous
deux étant journalistes, tous deux habitant Lon-
dres, Hodgskin se trouvai! U en outre, par sa
femme, en relation avec la colonie allemande,
ils ne se connurent pas personnellement? — On
ne saurait, dit Marx, admettre que le ti*avail est
cause et mesure de la valeur, et en même temps
admettre avec Ricai'do que le salaire est le prix
du travail, ou en mesure la valeur ; car, si le
travail mesure la valeur de toutes les marchan-
dises, il n'est plus une marchandise ; le salaire
représente la valeur non du travail, mais de
Touvrier, source de travail, de la force de travail
qui, pourvu que Ton prenne garde à en réparer
la fatigue et Tusure, fournit toujours plus de
valeur (pi'elle n'en crée. — Que d'analogies avec
la théorie^ de Hodgskin ! Ricardo, nous dit Hodg>
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CONCLUSION
skin« reproche à Adam Smith d*avoir tour à tour
défini la valeur par la quantité de travail néces-
saire à produire la marchandise, et par la quantité
de travail qne la marchandise, une fois produite,
est ea[)able de commander sur le marché; or, il
est évident que Tonne saurait, sans contradiction
logique, considérer la quantité de travail comme
mesurant la valeur des marchandises lorsqu'elles
s'échangent les unes contre les autres, et le
travail comme s'échangeaut lui-même contre une
marchandise; car k le travail n'est pas une
marchandise 0 ; mais, dans la seconde définition
d'Adam Smith, » substituez le mot travailleur
au mot travail », et alors peut-être exprime-t-elle
mieux que la [)remière définition, reprise par
Ricardo, la réalité des phénomènes de l'échange,
dans une société où plusieurs classes économiques
existent et où le capitaliste est une personne
distincte du travailleur, auquel il commande. —
Mais, d'autre part, il y a des analogies, également
i'rappantes, entre la philosophie sociale de
Hodgskin et celle de Herbert Spencer, qui a été
son ami et, peut-être, à certains égards, a subi
l'influence de ses livres et de ses entretiens.
Deux idées fondamentales, deux postulats, disons
si Ton veut, pour employer une expression de
Hodgskin, deux <x ]M éjugés », leur sont communs.
Ces deux préjugés, que nous proposons dappe-
Digitized
196
THOMAS HODOSKIN
lep le préjugé anarchiste et le préjugé juridique,
essayons de voir dans quelle mesure Karl Marx
les désavoue, dans quelle mesure, cependant, il
en subit rinilueuce. Ce sera peut-être le meilleur
moyen de déterminer par quels liens, psycho-
logiques et logiques, Karl Marx se rattache à
la tradition anglaise, excelle ni ment représentée»
avant Spencer, par Thomas Hodgskin.
Le premier « préjugé » de Hodgskin, c'est,
disons-nous, le préjugé anarchiste. Quil existe
un droit naturel et que, s^l existe un droit naturel,
la notion de droit positif est absurde ; voilà, sa
vie diurant, le thème fondamental, on serait tenté
de dire le thème iniicjiie de toutes ses spécula-
tions. Nous nous sommes attachés à conserver
à Tanticapitalisme de Hodgskin la place subor-
donnée qu'il a toujours occupée, dans son système,
par rapport à son anarchisme ; sa critique du
capitalisme n'a été qu'un incident, un «( épisode »,
dans la campagne incessante qu'il mène contre
tous les privilèges gouvernementaux, contre toutes
les oppressions légales. C'est dans la mesure où
il croit qu il existe des lois naturelles et justes de
la distribution qu'il conteste les fausses lois
naturelles, admises par l'école de Ricardo, causes
d'injustice et de misère. Qu'estHse donc que le
capitalisme, véritable cause de l'injustice et de la
misère ? Un accident historique, le résultat d'une
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G0NGLU810N
conquête, qui ne peut déranger ni d'une manière
très profonde ni d*ane manière très durable
l'équilibre naturel des phénomènes économiques.
Les lois positives ne peuvent avoir qu'une action
mauvaise, elles ne peuvent avoir qu'une action
insignifiante sur les lois permanentes de la
nature : voilà les deux thèses de Tanarchisme
de Hodgskin.
Assurément Karl Marx n'accepte pas, pour sa
part, la distinction, familière à l'école anglaise et
fondamentale chez Hodgskin, de l'artificiel et du
naturel. IL est d'accord avec Hodgskin pour
critiquer les prétendues lois naturelles suivant
lesquelles s'opérerait la distribution des richesses
entre le propriétaire, le capitaliste et le salarié ;
mais sa critique ne s'arrête pas devant la loi
naturelle de l'échange, respectée par Hodgskin
et sur laquelle il se fondait pour critiquer les lois
de la distribution artificielle des richesses. Pour
Karl Marx, la nature n'a pas créé de {toute éternité
des individus autonomes, et ne leur a pas enseigné
comment ils devaient échanger les produits de
leur travail respectif, prolongements de leur
personnalité, de telle sorte que chacun reçût
l'équivalent du produit intégral de son travail.
Il n'y a rien de permanent dans la nature, et la
seule loi à laquelle elle obéisse est une loi de
changement. La société humaine a préexisté à
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198 THOMAS HCMMflKnr
réchange ; c'est seulement à une époque déiiQie,
dans et par l'échange, que les individus sont
devenus des êtres séparés, indépendants les uns
des autres. Si plus tard le jeu primitif de l'échange
a été progressiyement altéré par Tappropriation
du sol et r accumulation capitaliste, c'est là un phé-
nomène historique, naturel et nécessaire comme
tout autre. Le régime capitaliste est condamné
lui-même à périr : mais ce ne sera pas pour laisser
reparaître de prétendues lois naturelles, dont les
incohérences du régime actuel auraient un instant
masqué l'opération. Lorsqu'il aura disparu, la
distribution des richesses s'opérera suivant des
règles imprévisibles aujourd'hui, mais qui diffé-
reront certainement autant de la distribution
entre producteurs autonomes qu'elles pourront
dilférer, par ailleurs, de la distribution actuelle.
Quelle que soit cependant la différence entre
la philosophie marxiste de l'histoire et l'opti-
misme naturaliste de Hodgskin, des analogies
profondes se laissent découvrir, soit que Ton con-
sidère la théorie marxiste de la valeur, soit que
Fon considère la théorie marxiste du progrès, soit
que Ton considère la manière dont Karl Marx se
représente le but final vers lequel ce progrès nous
achemine.
Karl Marx, dans sa théorie de la valeur, tient
réiément différentiel pour négligeable ; il consi-
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CONCLUSION 199
dère la rente différentielle comme un simple pré-
lèvement du propriétaire foncier snr le profit du
capitaliste; de même pour le proiit commer-
cial ; lui enfin, qui attache aux crises commer-
ciales une telle importance dans sa pliilosophie
de rhistoire, commence cependant par en
démontrer Timpossibilité théorique, pour réintro-
duire plus lard seulement, et par un détour, les
théories d'Owen et de Sismondi sur la sm>
production et Tengorgement du marché. Pour-
quoi, sur tant de points, cette tendance à atténuer
les imperfections de la distribution actuelle
des richesses ? Pour le comprendre, il faut se
reporter à Hodgskin ou, d'une façon plus géné-
rale, aux économistes ëgalitaires anglais. Hodg-
skin s'attache à diminuer l'importance de la
. rente diûérentieile, justifie expressément le pro-
fit commercial et nie le caractère normal
des crises commerciales, parce que procéder
autrement ce serait blasphémer contre la nature.
Qui, demande Hodgskin en i854» se préoccupe
aiyoui'd'hui de ce que Ricardo écrivit sm* la
rente ? C'est, pourtant, en se fondant sur la
théorie de la rente différentielle, approfondie et
uniTersalisée,qu un nouveau socialisme va surgir,
quelques années plus tard, différent de la doc-
trine de Hodgskin, différent aussi, et pour les
mêmes raisons, du collectivisme marxistei — un
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200
THOMAS UODGSKir<f
socialisme fiscal et interventionniste. Le pré-
jugé anarchiste interdisait à Hodgskin, avant
tout examen, de le tenir pour légitime; et, si
Ton songe anx ressemblances qni existent entre
la théorie de la valeur chez Hodgskin et la même
théorie chez Karl Marx, on voit comment, par
contre-coup, la pensée de Karl Marx a* subi
l'influence du préjugé anarchiste.
Cette loi de Téchange, que Karl Marx em-
prunte à Ricardo et à ses disciples, hétérodoxes
ou orthodoxes, a d'ailleurs cessé pour lui d'être
une loi étemelle ; la philosophie sociale de Marx
est une philosophie de l'histoire ; mais, si nous
cherchons quel est, dans son hypothèse, le fac-
teur explicatif de Fhistoire, il semble que nous
voyions repai^aitre, chez Karl Marx, l'opposition,
anglaise par son origine, entre la réalité natu-
relle et les artifices de l'esprit. Seule, nous dit
Karl Marx, révolution économique est autonome ;
elle commande l'évolution morale, révolution
juridique, que les philosophies idéalistes avaient
considérées comme indépendantes, comme suffi-
sant à leur propre explication, et qui ne sont, en
réalité, que le reûet de l'évolution économique.
Or, l'école anglaise avait appris à Karl Marx à
isoler ainsi l'évolution économique d'avec toutes
les autres ; à définir un monde de la richesse, où
des mobiles simples souffiwnt mie évaluation
Digitized by
CONCLUSION
20 1
quantitative, se matérialisent en quelque sorte
sous forme de numéraire et de marchandises,
monde à demi-pliysique et qui obéit à des sortes
de « lois de la nature » ; et Hodgskin, sur cette
conception du monde éconouiique, avait fondé,
avant Karl Marx, une interprétation économique
ou matérialiste de Thistoire. Marx a beau expri-
mer en termes hégéliens son matérialisme histo-
rique; c*est Hume, maître de tous les écono-
mistes anglais et en particulier de Hodgskin, qui
avait déiini Tidée comme «la copie d'une im-
pression ». Uorigine de la philosophie marxiste
de rhistoire est dans cet anarchisme économi-
que, qui est un des préjugés fondamentaux de
Hodgskin.
L'évolution économique aura un terme ; et
ce terme, Karl Marx, dans le même langage et
pour les mêmes raisons que Hodgsldn, refuse de
le déiinir : car Fesprit ne peut pas devancer la
marche des choses, dont il est le reflet et la
copie. Il est donc dillicile de conjecturer même
si, dans le régime collectiviste, TÉtat aura fini
par absorber toutes les fonctions sociales, ou
bien si nous assisterons à Taonihilation com-
plète de rÉtat ; le plus exact serait peut-être de
dire, en termes hégéliens, que nous assiste-
rons à Tidentification absolue de ces deux
termes et, par suite, à la suppression simultanée
Digitized
THOMAS HODG6KIK
de Tun et de T autre. Cependant Marx, lorsqu'il
parle de la chute, prochaine ou éloignée» du
capitalisme, préfère indéniablement parler un
langage anarchiste. Alors on ne demandera plus
à Tindividu, comme faisait Hegel, de se sacrifier
ou de se subordonner à T entité de l'Etat ; alors
I mdividu cessera d'être mystifié par les formes
substantielles de l'économie politique bourgeoise,
et de croiic que la terre ou le capital reçoivent
une part du produit de son travail par Topération
fatale des lois de la nature. Or, tout cela, c'est
du Uodgskin. Quel([ue influence qu ait pu exercer
sur Tesprit de Karl Marx Tanarchisme néo-hégé-
lien de Bruno Bauer et, sur l'esprit d Engels, le
radicalisme de Feuerbach, comment nier que
cette influence ait été confirmée et fortifiée par
rinllueucc tics économistes anarchistes de Lon-
dres, de Uodg^skin et de son disciple Thompson ?
Le second des « i)réjugés » inspirateurs de la
philosophie sociale de Hodgskiii, c'est ce que
nous avons appelé le préjugé juridique. Les lois
de la naluro, nous dit Hodgskin, sont bienfai-
santes et justes, parce qu'elles accordent à chacun
le produit intégral de son travail. Ne voit-on
pas, dès lors, quelle philosophie dui*e et triste se
dissimule sous son optimisme apparent ? 11 iaut
admettre que la justice condamne à mort le
malade, Tinfirme, le vieillard, du moment où
Oigitizeci by
CONCLUSION
leur vigueur naturelle leur fait défaut, et la philo-
sophie de Hodgskin se rapproche, dès lors,
étrangement de celle de Malthus. « La nécessité,
nous dit-il, est la mère de Tinvention ; et l'exis-
tence continuelle de la nécessité ne peut s'expli-
quer que par laccroissement continuel du peuple ».
Malthus se serait-il exprimé autrement? — Mais
Hodgskin insiste sur ce point que le résultat de
la « nécessité )», c'est Tinvention et le progrès. —
Mais, demanderons-nous à notre tour, n'est-ce pas
une manière détournée de dire, avec Malthus,'
que rinyention et le progrès ont pour condition
la « nécessité », la misère, et la misère « conti-
nuelle »?. — D'ailleurs, le droit de chacun au
produit de son travail, est-ce autre chose que le
droit de la force? Et cela n'est-il pas implicitement
avoué par Uodgsiûn ? Voulant démontrer que la
nature elle-même nous enseigne le respect du
travail d' autrui dans ses produits, il se fonde sur
ce que la nature donne, à celui qui eut la force de
produire, assez de force aussi pour défendre le
produit de son travail. Le droit au produit intégral
du travail, c'est le droit de la force pacifié et
réglé. Le juriste admet que la lutte des égoïsmes
deviendra légitime, à condition que les individus
observent cette règle de ne pas dépenser direc-
tement leur force les uns contre les autres, mais
de la dépenser directement contre la nature, et
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THOMAS UODGSKIN
seulement d*une manière indirecte les uns contre
les autres, dans la mesure où les uns se trouTeront
prendre I avantage sur les autres. Après quoi,
pour conclure que la nature est juste, il suffit
de faire abstraction de tous les monopoles
naturels, et de supposer que la nature confère
le succès À quiconque, par un travail plus intense
ou une ingéniosité plus grande, a le plus abaissé
le coût de production. Ainsi se trouve substi-
tuée à la guerre ouverte et sans lois une lutte
bien réglée, une concurrence ou, mieux encore,
un concours ; mais, en dernière analyse, la
guerre reste toujours la loi de la vie. Ou bien
Hodgskin réintégrera dans sa psychologie les
sentiments de famille, à titre de sentiments natu-
rels : et c'est ce qu'il fait, se rapprochant ainsi
davantage des économistes orthodoxes, mais il
ne peut le faire sans violer le principe de sa
philosophie du droit. Ou bien son système, qui
consiste dans Félimination de tout ce que la
société actuelle contient d éléments communistes,
aboutit non pas au socialisme, mais au . plus
extrême individualisme.
Or, le principe suivant lequel chacun aurait
droit à tout le produit de son travail n'est cer-
tainement pas le pi'iiicipe de la philosophie
marxiste. Ou bien, nous dit Karl Marx, on peut
réaliser cet idéal juridique par quelque institution
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GONGLUSIOlf
gouvernementale, où chaque individu recevra,
contre telle durée de travail fournie, telle quan-
tité du produit du trayaii national. Mais c*est
oublier que la théorie ricardienne de la valeur-
travail se réalise seulement dans et par Féchange
libre, c'est favoriser le paresseux aux dépens de
l'ouvrier industrieux, c'est aboutir à la diminu-
tion de la production et à Tappauvrissement du
genre humain. Et jusqu'ici Karl Marx se trouve
d'accord avec Hodgskin. Ou bien on compte que
Tanomalie capitaliste s'éliminera d'clle-jnême,
pour laisser enfin le jeu naturel de l'échange
• restituer à chacun toute la valeur produite par
son travail. Mais c'est manquer de sens histo-
rique, oublier que le mécanisme de l'échange
a naturellement produit raccumulation capita-
liste, et que, si le capitalisme disparait à son
tour, ce sera pour faire place ft un nouveau
régime, aussi difl'érent de Téchangisme que du
capitalisme lui-même. Et c'est ici que Mai*x se
sépare de Hodgskin. — L'interprétation écono-
mique de riiistoii'e permet, d'ailleurs, d'expliijuer
la genèse de ce prétendu idéal juridique. Il est,
comme tout idéal humain, le reflet d'une réalité
économique. Les hommes, échangeant les mar-
chandises proportionnellement aux quantités de
travail qu'elles conlienueiit, ont traduit ce fait
de la vie matérielle en théorie juridique. Que
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THOMAS HODG8KUI
le régime de Téchange vienne à disparaître, et
ridéal juridique en question deviendra vide de
sens, comme il deviendra vide d*objet. — Enfin,
c'est seulement dans des limites restreintes, selon
Marx, que les objets s'échangent les uns contre
les autres, proportionnellement anx quantités
de travail producteur. D'abord, il faut que
rhomme fasse en quelque sorte violence à la
nature pour réduire conventionnellement à un
même dénominateur des qualités de travail
diverses. G*est seulement avec le temps, avec le
progrès des machines, que le travail tend à deve-
nir une quantité naturellement homogène. Mais
alors le régime capitaliste s*est développé, et,
lorsque les capitalistes exigent des profits égaux
pour des quantités égales de capital engagées
dans des entreprises diverses, de nouveau la
théorie de la valeur-travail se trouve inappli-
cable à la rigueur.
Cependant, en dépit de cette dernière restric-
tion, la théorie de la valeur-travail est bien la
théorie marxiste de la valeur. Cette théorie, Karl
Mai*x Ta empruntée telle quelle à Ricardo ; et,
sans doute, il se propose de réfuter Ricardo ; mais
on sait quelle méthode essentiellement dialec-
tique ou historique il applique à la réfutation des
systèmes économiques. Il n'y a pas de théorie
éternellement vraie, mais il n'y a pas non plus
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GOMGLUSION 20^
de théorie élerneiiement fausse. Le temps, succes-
sivement, consacre et condamne les systèmes : une
théorie fausse, c'est une théorie qui a cessé d'être
1
m
mènes économiques, est devenue vide de sens
à dater du jour où la réalité sociale à laquelle
elle correspondait, ruinée par des contradictions
internes, a cessé d'exister. De sorte que, pour réfu-
ter Téconomie politique de Kicardo, Marx se croit
tenu» d^abordy d'établir qu'elle est vraie dn monde
de l'échange, qu'elle est « rexpressiou scienti-
fique des rapports économiques de la société
actuelle ». Si, d'ailleurs, elle n*est jamais vraie
que d'une manière approximative et imparfaite^
c'est que le mécanisme de l'échange, constam-
ment altéré par Tintervention d'éléments pertur-
bateurs, ne tend à sa réalisation que pour retour-
ner aussitôt au néant. Mais la question se pose,
de savoir si nous sommes en droit d'attribuer à la
théorie ricardienne même cette justification par*
tielle. Elle est vraie, mais elle cessera d'être vraie:
voilà ce que nous dit Karl Marx. Mais, si, par
hasard, elle était fausse ? Déjà Ricardo doutait
qu'elle fût l'expression exacte des phénomènes
de réchange. Vers i82i5, elle aurait peut-être été
réformée, en Angleterre, par Malthus, par Samuel
Bailey, par d'autres encore, si un groupe organisé
de disciples intransigeants, par l'activité de leur
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nOMAS HODGSKOf
progagande, par le simplisme même de leur eiïsei-
guemeiit, n avaient réussi à étoud'er, autour de
Ricardo, toutes les dissidences. Une autre cause
contribuait à déterminer, cependant, le triomphe
de la théorie : les adversaires démocrates de
James Mill et de MacCulloch, les premiers doctri-
naires du prolétariat, au lieu de s'attaquer à la
théorie ricardienne de la valeur* s^emparèrent du
principe pour en tirer des conséquences nouvelles,
et réfuter, en quelque sorte par Tabsurde» l'éco-
nomie politique de Ricardo. De là une sorte
d^obsession universelle, dont Karl Marx, une
vingtaine d'années plus tard, ne pouvait pas ne
pas être la victime.
Mais, sur un point, renseignement des Ricar-
dicus égalitaires est précieux pour Thistorien
des doctrines ; car il nous renseigne, et lui seul
nous renseigne, sur la véritable origine psycho-
logique de la théorie eu question, (^ue les mar-
chandises s^échangent proportionnellement aux
quantités de travail qu'elles ont coûtées, cela nous
est donné par Adam Smith et par Ricardo pour
un ffdt évident, sorte d*axiome ou de postulat
d'une nouvelle géométrie ; et l'on ne saurait tenir
pour une démonstration Tai^mentation dialec-
tique sur laquelle Marx semble vouloir fonder
cette proposition. Mais Hodgskin, philosophe
en même temps qu'économiste, en découvre chez
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CONCLUSION
309
Locke la source véritable ; si les hommes échan-
gent leurs produits proportionnellement aux quan-
tités de travail cfu' elles lenr ont coûtées, c'est dans
la mesure où ils sentent indistinctement que cha-
cun a naturellement droit au produit total de son
travail. En d'autres termes, de la doctrine de
Uodgskin, il ressort que la théorie classique de la
valeur en échange est le reflet, non pas de la
réalité économique actuelle, mais d'un idéal juri-
dique préconçu. Si Karl Marx, dans une certaine
mesure au moins, l'a faite sienne, n*a-t-il pas été la
victime, à son insu, indirectement, et en dépit
de ses efforts pour dissiper le préjugé juridique,
de ce môme préjugé juridique ? La théorie de
Uodgskin, ainsi considérée, ne suffît pas à réfuter
la philosophie économique de Karl Marx ; mais
elle suffit, certainement, pour frapper de suspi-
cion légitime l'appareil dialectique dont» chez
Karl Marx, cette philosophie s^enveloppe.
Oigitized
BIBUOGRÂPHIE
ŒUVRBS
1. An Bssay on Naval IMscipline, shewing part
of ils evil effecls ou the minds of the officers and
Ihe mindsof ihemen and on the communily; wilh an
aineuded sysleiii by whicli Pressing iiuiy be iiiiiiie-
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London, i8i3.
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lions, the Agriculture, Mauut'aclures , Commerce,
Education, Arts and Manners in that Country, parli-
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Hodgskin, tbrmerly honorary secretary to ihe insti-
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5. The natural and artilicial righl ot jnojx'rty
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(now the Lord Ghancellor), by the author of « Labour
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THOMAS UODGSKIN
defended against the claimfi o£ capital », Londoiiy
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(3o août, programme. — 6 septembre et 4 octobre)
sur les Spitaltield Acts. — 11 et a5 octobre, londation
du Mechanics' Institute).
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VEconomisty et dont void la liste, avec des omis-
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Année i8/f4^ octobre. — Connection between
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ment of I>eath (16 et 93 mai). — Études critiques sur :
les Principles of Polilical Economy de Ricardo, ed .
MacCulloch (28 novembre); les Outlines of Social
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nais? (a4 juUlet).
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BIBUOORAPHIB
2lB
Année 18^8. — Articles de fond: Jncrease of
pauperisin and crime; 17 juin: PresuinpUon oï. ihe
liierary classes; ui octobre : Mr. Macauiay'â Phiio-
sophy; 3o décembre. — Étude» critiques sur : ihe
Rights of Industry* par G. Ponleit Scrope {og avril) .
Les Principles of Political Economy, de Siuart Mill
(27 mai); the Pasl, the Présent and Ihe Future, de
Carey (28 octobre); the Ilistory of Civilisation and
Pablic OpinioD, de McKiimon (3o décembre).
Année iS^g. — Articles de fond : Marriages and
Abundance (26 niai) ; Punishment ol'dealh (18 août).
— Études critiques sur : The Nature and the Office
of ihe State, par Andrew Goventry Dick (ao janvier);
Labour and' other Capital, par Edward Kellogg (17
mars) ; Introduction to the study of the social sciences,
par 1 auteur des Oullines of Social Econoniy (26
mai); John Howard and Ihe Prison World of Europe,
par tlepworlh Dixon (i5 septembre); Suinraary of
the moral statistics of ËnglandandWales^par Joseph
Fietcher (aa septembre).
Année i85o. — Articles de fond : Scarcity. —
Marriages. Bïrths (a février); Education of the People
(a mars) ; Law and Justice (3o mars) ; National Edu-
cation (18 maiJ;Griminal Retnms (22 juin); Scarcity
and Criminalily — France and Germany (29 juin);
Diminished Criminality (20 juillet) ; The Dllfusiou of
Wealth (10 août).
Année i8ni. — Articles de fond : Educational
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Education, pauperism and crime (3i mai); Criminais
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THOMAS HOD68KIN
Pauperisin and distrcss formerly aiid now (2*3 août) ;
Iricrease oï population and decrease ot' criminality
(i3 septembre). — Études critiques sur : Social Statics,
par Herbert Spe&cer (8 février); Lectures on social
science and the organization of labour, par James
Hole (i*^*" mars); Crime in England, par Th. Flint
(23 août); A trealise on political economy, par
George Opdyke (22 novembre); A trealise on the rate
of wages» par J.-A. MacGoliodi (27 décembre).
Année i852, — Articles de fond : National E^lu-
cation(i7 janvier); Education question (7 février);
The Protectionist Policy, Mr. Henley (i3 mars);
Decrease of pauperism and criminality (27 mars) ;
The Pnnishment of Death (27 mars); Diminution of
Crime and Pauperism (17 juillet); Marriages, Births
and Deaths (ii juillet); Ireland iiuprovement — Cri-
minals — Paupers (ai août); Mr. Henley and Pauperism
(a octobre); Marriages, Births, and Deaths (6 novem-
bre). — Études critiques sur : Methods of observation
and reasoning in politics, par George Gomewall
Lewis (27 novembre) ; Money and Morals, par John
Lalor (17 juillet).
Année 18 53. — Articles de fond: The Task of
Governement : the disposai of our eriminal population
(29 janvier); Continuai decrease of pauperism (ô
mars); The Ministerial Plan of Education (3 avril);
Grime in i859 (14 mai); Pauperism. — Ireland and
En gland (2 juillet); Réduction of Pauperism (24 sep-
tembre). — Etudes critiques sur : Tlieory of Politics,
par R. Uiidreth (20 août) .
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C* and their Defence (3o juin) ; Marriages, births
and deaths, quarterly returns (4 août); Pauperism (18
août) ; What shall we endow 7 (95 août) ; Committal
of messrs Strahan, Paul, and Baies (i5 septembre);
Pauper removals and popular émigration (29 sep-
tembre); The conviction of Paul, Strahan, and fiâtes
(3 novembre); Quarterly retum of marriages (10
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bre); What stands in the way of improvement? (17
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tical Science, par Humphreys (7 avril); Natural Ele-
nients of Political Economy, par Richard Jennings
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wecdth, criminality (la janvier); Murder andpunish-
ment of death (26 janvier); Invasions oi property
et 8 mars); Criminals — Bngiand and Wales
^8 mars); Pauperism — Ireland (8 mars) ; Continued
increase of pauperism (l5niars) ; Relations betw een
â
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THOMAS HODG8KIN
crime and material wellare (i5 mars); Relations bet-
ween crime and the distribution of wealth (22 mars) ;
The sources of Grime — Dninkenness (29 mars); Re-
port of Prison lii8pectors(i!i avril); Transportation (a6
avril) ; What feeds crime? (10 mai); Shall exécutions
be public, private,or abolished (17 mai); Palmer, — a
grcat culpril (3i niai) ; Expense of Paupcrism (3i mai);
The Philosophy of i.egislation (7 juin); Marriages
and commitments (14 juin) ; Griminalily promoted by
distress (ai juin), Griminais. — Ireland, — i855 (19
juillet); Griminality and poverty in Ireland (a6 juil-
let) ; Criminal statistics (sS août); Decrease of Pau-
, péris m (23 août); Theproposed Reformatories(G sep-
tembre); Transportation. — Report of the Committee
(i3 septembre); Ireland. — Gcnsus, Cultivation, etc.
(i3 septembre); What feeds crime (26 octobre); An
admitted effect of Reformatories (6 décembre); Gri-
terion of law reform. Means of determining social
rights (i3 décembre); Griminal law reform (ao
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of onr criminals (3i janvier); Liberated criminals.
How crime is fostered (28 février) ; The bearing of
peuai laws on the criminal classes (2 mai).
10. Ses lettres (inédites) à Francis Place ( 18 i7-i8a3).
Voir F. Place, Private correspondence, vol. 11, 1817-
1837. Brit. Mus. Add. Mss. 35, i53, if. 52-2i5.
Sur Hodgskin, voir :
I. Les Place Papers du British Muséum» — a) Pri-
vate correspondence, vol. I» i8io-6(Add. Mss. 35.i5a
. ff. 184. 195, 229), et vol. II, cité ci-dessus. — b).
Schooi institutions, Add. Mss. 27 823. — Early His-
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BULIOGRAPHIE 2X9
tory of the London Mechanics' Institution (i82*3-a6),
flF. 240 sqq. — c). Polilical Narrative, vol. 111. Add.
Mss. 27,791. — Historical Sketch of Ihe National
Union of the Working Classes, to 3i dec. i83i, en
particulier ff . 368-70 : renseignements biographiques
sur Hodgskin.
2. Les ouvrages suivants, conlempoi*ains de
Hodgskin : Samuel Aead> Natural groands of right
to venàible properiy, 1829; Thomas Gooper» Lectures
on the éléments of PoUtical Economjr ad ed. i83o;
Charles Knight, the Rights of Industry, i83i (trois
réfutations). — John Lalor, Moiicy and Morals, a
bookfor the tmies, London, 1802 ; mention élogieuse
de Hodgskin dans la préface, p. XXiV ; extraits du
« Labour Detended 9, en appendice.
3. Dans Mengor, JJas Hecht aiif den ^mllen Ar-
beitsertroLg in geschichtlicher Darstellung , une
simple mention du nom dans une note (a* éd. pp.da-3
note» — trad. fr. p. 74)* Égaré par une inexactitude
commise par Engels (Kapital, Buch ll,Vorrede,p.xvu),
Menger reproche à Marx d'avoir dans sa « Misère de
la Philosophie », écrit « Hopkins » pour « Hodgskin ».
Mais Hopkins, Tauteur des Economical enquiries
relative to the laws which regulate rent, profit^ wages,
and the çalue of monejr (London, 1829) est un écri-
vain socialiste, ou tout au moins présocialiste. —
Dans la trad. angl. Tanner, voir : introduction and
bibliography by H. S. Foxwell, pp. LV sqq. — V,
encore Grahain Wallas, /.//e of Place, 1898, et G.
Godard, George Birkbeck, the pioneer of popular
éducation, London, 1884.
.y
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TABLE DES MATIÈRES
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Avant-Propos x .
Chapitre I'iumikii (1787-1823). — Enfance. — Années
de navigation. — L'« Essay on Naval Disci-
pline » (181 3). — Voyaj^e sur le continent : les
(( Travels in tlie North of Germany » (1820). —
Séjour à Édinibourg et correspondance avec '
Francis Place (i8i9-i8aa) 3
GuAPiTHK 11 (i823-i83l0. — I^e Mechanics' Ma<2:aziiu'.
— Le Meehanics' Inslitute. — Labiiut- (U lVacled
against Ihe elainis ol Cai)ital (182.")). — Popiilar
Politieal Ecouoniy (18^7). — The Natural and
Arliliciai Right of Property contrasled (i83a). 77
CuAPiTRK III (i832-iS(;<)). — Les années de journa-
lisme. — La e(>li;i])()rati()n à !'« Ëconouiist
Les deux conférences de 1867 187
Conclusion 189
BlBLIOORAPHIB SII
. Ce volume a été œmposé et liré par des ouvriers syndiqués,
mi'MlUKRIE UL BIGOT mftM».
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